Koen Geens © Debby Termonia

« Dans un état policier, on ne se sent plus jamais en sécurité »

Michel Vandersmissen
Michel Vandersmissen Journaliste pour Knack

Koen Geens est le personnage le plus puissant en Belgique en ce qui concerne la sécurité et la justice selon quatre experts interviewés par le Knack. L’occasion d’interviewer notre ministre de la justice.

Le ministre de la Justice est visiblement ravi du titre. « Pourtant on ne doit pas y accorder trop d’importance, puisqu’être au centre des attentions est souvent synonyme d’une chute imminente. » nous dit-il en guise de préambule. Il voit dans ce titre honorifique surtout le signe du travail accompli par son équipe et les services de sécurité. « Aujourd’hui, tout le monde regarde dans la même direction, mais ça n’a pas toujours été le cas. » dit-il encore. Voici des extraits d’une longue interview accordée au Knack.

Êtes-vous parfois jaloux du fait que Jambon soit devenu le monsieur sécurité dans les médias ?

Geens: la jalousie m’est en grande partie étrangère. Je suis trop vieux pour ça. Je pense que nous avons conclu de bons arrangements et tiré une ligne claire. La justice et les affaires intérieures ont souvent été liées par des duos solides. Par exemple Stefaan De Clerck et Johan Vande Lanotte ou encore Patrick Dewael et Laurette Onkelinx. Aux Pays-Bas, les deux ministères ont même été fusionnés, mais je ne trouve pas que ce soit une bonne idée. Ce modèle inspire visiblement Jan Jambon, mais je ne suis pas d’accord avec lui. Les dernières années ont démontré qu’il est plus judicieux pour l’équilibre de l’état de droit de distinguer les deux ministères.

La frontière entre sécurité et liberté est fragile. Ne pousse-t-on pas l’avantage plus d’un côté que de l’autre ?

Non, parce que si c’était le cas, cela le serait sans moi. Garantir la liberté de chacun et le respect de la vie privée par le juge d’instruction reste pour moi, et dans toutes les circonstances, un droit de base. Je crois que nous y sommes parvenus malgré le fait que les méthodes d’enquête se sont accélérées et ont été perfectionnées. Par exemple, en rendant possibles les perquisitions de nuit. L’idée, qu’en tant que journaliste ou homme politique, on puisse être mis sur écoute sans que l’on ait demandé l’approbation d’un juge, me terrifie.

D’autres disent : la sécurité avant tout.

La sécurité absolue mène à l’insécurité pour chacun. Au rez-de-chaussée des bâtiments de la sécurité de l’état et dans le palais de justice, il y a en permanence des magistrats et des juges d’instruction à disposition si l’on doit dans l’urgence signer des perquisitions, des arrestations ou encore réaliser des écoutes.

C’est aussi pour cette raison que vous être contre l’instauration d’un état d’urgence ?

Est-ce que l’état d’urgence a empêché un policier de se faire abattre sur les Champs-Élysées? Non. En cas d’état d’urgence, on peut enfermer des gens sans autres formes de procès. La terreur et l’insécurité viennent par vague. Il y a des pics et des périodes plus calmes. On ne peut dire à l’avance quand la période va se calmer. En attendant, il y a beaucoup d’innocents en prison. Ce qui provoque beaucoup d’aigreur. Une aigreur qui peut se révéler à son tour dangereuse.

Nous sommes à moitié de mandat. Quel est, à vos yeux, votre principal accomplissement en tant que ministre de la Justice ?

Je pourrais me limiter à notre gestion de la crise sécuritaire. Tout le monde pourrait l’accepter. Mais nous n’avons pas fait que cela. Nous continuons à moderniser nos lois grâce à notre approche « pot-pourri » (une série de projets de loi portant sur un large éventail de sujets différents, NDLR).

Que retrouve-t-on dans votre déjà cinquième loi « pot-pourri » ?

Cela concerne le secret professionnel, de nouvelles procédures pour la Cour de cassation et les actes notariés. À côté de cela on va aussi retrouver un autre projet de loi sur les citoyens indics et les repentis qui viennent se livrer en échange d’une remise de peine et dans certains cas d’une nouvelle identité ou une protection. Cela se passe sous contrôle judiciaire et dans les cas de criminalité les plus graves.

Nos experts trouvent cette approche pragmatique, car elle permettrait de réparer de nombreux cas. Pourquoi avoir opté pour cette façon de faire ?

Lorsque j’ai pris mes fonctions, deux de mes bons amis Stefaan De Clerck et Jo Vandeurzen avaient déjà dû démissionner de cette fonction. On est donc dans un fauteuil éjectable lorsqu’on est ministre de la Justice. Nous n’avions que 50% de chance de réussir à introduire un nouveau code pénal. En faisant ces lois pots-pourris, nous insufflons de l’oxygène au sein du système tout en favorisant la venue d’autre grand projet comme un nouveau code pénal.

Quelles réformes sont encore urgemment nécessaires pour augmenter la sécurité ?

Lors de la commission qui a suivi les attentats du 22 mars, j’ai défendu trois axes : une meilleure transmission de l’info, une meilleure collaboration entre la police et le parquet et un renforcement de la sécurité de l’état.

La circulation de l’information n’est-elle pas encore optimale ? Non. Le flux d’information entre tous les services de la prévention jusqu’au traitement de la peine ne se déroule pas encore de façon optimale. Et c’est peu de le dire. Les P.-V. sont peu ou prou la seule chose qui est transmise par les policiers au parquet. Lorsqu’il s’agit d’informations informelles, le parquet n’est souvent pas au courant. Certains tronçons de cette chaîne d’informations ont été améliorés comme pour la banque de données dynamique des combattants partis en Syrie. Dans ce cas précis, tous les services concernés sont prévenus en temps réel.

Il existe un paradoxe: jamais la sécurité n’avait été un thème de société si important et pourtant il n’y a jamais eu aussi peu de faits criminels.

Ce n’est pas pour rien que Donald Trump en a fait un de ses thèmes préférés et qu’il a marqué des points avec cela. Il y a une demande pour une politique sécuritaire plus stricte. Mais il y a bien sûr des limites. Cela peut sembler étrange, mais dans une société libre on ne peut se passer d’un tout petit peu d’insécurité. Dans le cas contraire, on se retrouve dans un état policier et on ne sent plus jamais en sécurité.

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