© F.Pauwels / Huma

 » Dans le monde arabe, vous pouvez les chercher, les islamo-progressistes ! « 

Mis sous les feux de l’actualité en tant que référent en matière d’abus sexuels commis par des prêtres, Mgr Harpigny est aussi un islamologue de renom et un évêque inquiet pour l’avenir de l’Eglise. Entretien exclusif.

En Flandre, près de 6 000 personnes – des prêtres, des élus, d’autres croyants – ont signé, ces jours-ci, une pétition qui appelle à de profondes réformes dans l’Eglise. Destiné à interpeller les évêques, ce manifeste met l’accent sur le grand nombre de paroisses dépourvues de prêtres et plaide pour qu’elles soient confiées à des laïcs, y compris des femmes. Les signataires estiment que les hommes et les femmes mariés devraient pouvoir accéder au sacerdoce. Ils prennent aussi la défense des divorcés remariés, auxquels Mgr Léonard a déconseillé d’enseigner la religion ou d’exercer des fonctions de direction dans l’enseignement catholique.

Autant de thèmes qui ne laissent pas Mgr Guy Harpigny indifférent. En Hainaut, son diocèse, trois prêtres seulement ont été ordonnés depuis 2003. Confronté à cette crise des vocations et à des paroisses désertées par les jeunes, l’évêque de Tournai a décidé de convoquer un « synode », grande consultation ouverte aux clercs et aux laïcs. Pratique courante en France et en Italie, c’est une première en Belgique. Harpigny veut-il faire oublier son image de prélat autoritaire, critiqué pour certaines décisions prises sans concertation ? Ou, plus largement, tente-t-il de combler le fossé qui n’a cessé de s’élargir entre la hiérarchie et le « peuple de Dieu » ?

Le Vif/L’Express : Il y a quarante ans, votre diocèse comptait 1 200 prêtres, effectif qui a fondu comme neige au soleil. L’Eglise permettra-t-elle un jour à des hommes mariés d’accéder à la prêtrise ?

Guy Harpigny : C’est vrai, il nous reste moins de 400 prêtres, dont 150 réellement encore en activité, pour s’occuper des 579 paroisses du diocèse. Le doyen d’Antoing est en charge, à lui seul, de 22 paroisses ! D’autres curés en ont près d’une vingtaine. Ici comme ailleurs en Belgique, l’âge moyen des prêtres dépasse 70 ans. Mais ce n’est pas en faisant de la retape, en recrutant des gens qui n’ont rien d’autre à faire, qu’on sauvera l’Eglise. On me dit qu’en Orient les prêtres peuvent être mariés. Et alors ? Moi, je ne suis pas évêque en Orient, mais à Tournai !

Que dites vous aux prêtres qui, face au poids des ans, à la charge de travail et au scandale de la pédophile qui a éclaboussé l’Eglise se disent fatigués, démotivés, voire désespérés ?

Ceux-là ont été formés dans les années cinquante à septante. Vatican II a apporté un souffle puissant dans le diocèse, mais on a cru qu’en annonçant l’Evangile d’une manière nouvelle, tout serait plus simple. Ce discours ne tient plus.

Que pensez-vous des derniers propos controversés de Mgr Léonard à propos des divorcés remariés ?

Mon Dieu, que puis-je dire là-dessus ? Mgr Léonard envisageait seulement l’avenir, il suggérait aux divorcés remariés de réfléchir au cas où on leur proposerait d’enseigner la religion ou de diriger une école catholique. On en a déduit qu’il était contre eux. Pourquoi toujours relever ces petites phrases ? Celle-ci a été publiée dans une simple revue diocésaine, qui n’est quand même pas un grand média ! Mgr Léonard se laisse parfois emporter, comme quand il a dit que le sida était une forme de « justice immanente ». Son but n’était pas de dire que si quelqu’un tombe malade du sida, c’est de sa faute.

Ex-doyen de Mons, vous gardez de bons contacts avec Elio Di Rupo, maïeur empêché de la ville ?

Il s’est rendu à mes adieux quand j’ai été nommé évêque. Chaque fois que j’assiste aux fêtes du Doudou, il m’invite à sa table avec les autorités montoises. En mai 2007, le lendemain du soir où j’ai été agressé et blessé par deux individus qui avaient forcé la porte de mes appartements, il est venu me saluer. Il a fallu plusieurs mois pour que je me sente à nouveau en sécurité. Di Rupo est intervenu auprès de la Régie des bâtiments pour qu’on sécurise mon domicile.

Que vous inspirent le mouvement des Indignés et le poids grandissant des marchés financiers, vous qui êtes à la tête d’un diocèse particulièrement frappé par la crise ?

Aujourd’hui, la mondialisation a pris le dessus. Il ne faut pas jeter la pierre aux hommes politiques, qui font ce qu’ils peuvent. Nous avons besoin de jeunes qui s’engagent en politique, notamment pour éviter que s’élargisse encore l’écart entre les plus riches et les plus pauvres. A Mons, j’ai trouvé scandaleux et inhumain le sort réservé aux sans-papiers victimes de passeurs. Heureusement que Dieu juge aussi, car la justice humaine tarde souvent à intervenir.

L’arrivée au pouvoir des islamo-conservateurs dans les pays du Printemps arabe vous inquiète ?

Comme citoyen, je me réjouis du renversement de régimes dictatoriaux, mais je me demande comment la situation va évoluer pour les chrétiens de ces pays. Si le régime de Bachar al-Assad tombe en Syrie, il se pourrait que leur vie soit pire qu’aujourd’hui. C’est ce qu’ils me disent.

En octobre dernier, à Lille, l’islamologue que vous êtes a estimé qu’ « il y a de quoi craindre l’islam si on s’en réfère à l’Histoire ». Vous avez aussi évoqué la présence des musulmans dans nos sociétés.

Un tiers de la population de Bruxelles est aujourd’hui musulmane et les musulmans pourraient y constituer la majorité dans les cinq ans à venir. La crainte de l’islam naît du sentiment qu’on est menacé. Nous sommes face à une culture différente, à d’autres relations familiales, à une autre façon de s’alimenter, de s’habiller… Mais la peur est mauvaise conseillère. Il vaut mieux agir, se demander quelle société nous pouvons construire ensemble. Se considérer comme meilleurs que ceux qui vivent autrement n’est pas une réaction évangélique.

ENTRETIEN : OLIVIER ROGEAU

Retrouvez l’intégralité de cette interview dans le VIf/L’Express du 9 décembre 2011.

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