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Crise dans le secteur laitier

Quelques mois après la fin des quotas, décrétée le 1er avril 2015 au niveau européen, le secteur laitier traverse une nouvelle crise profonde, marquée par un effondrement des prix. Cette troisième crise grave en moins de 10 ans plonge des milliers d’agriculteurs dans des situations dramatiques.

Quelques chiffres permettent de mesurer l’ampleur de ces nouvelles turbulences. Le litre de lait payé actuellement aux producteurs wallons tourne en moyenne autour des 25 centimes alors que son coût de production, hors main d’oeuvre, est estimé à 33 centimes. A la mi-2014, le litre de lait payé aux agriculteurs flirtait encore avec les 40 centimes.

« Le marché est tombé par terre », résume Erwin Schöpges, producteur laitier membre du Groupement de producteurs laitiers MIG et de l’European milk board (EMB). Il est vrai toutefois que les coûts de production varient, parfois fortement, d’une exploitation à une autre. Mais aucun producteur n’est dans une situation confortable. « Aujourd’hui, il y a des exploitations qui sont mal mais qui parviennent à faire le gros dos et d’autres qui sont à la rupture. Mais dans l’état actuel des choses, personne ne gagne de l’argent. Certains perdent encore plus que d’autres », explique Alain Masure, directeur du services d’études de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA).

D’aucuns estiment que la situation actuelle est similaire, voire pire, à celle vécue en 2009. Nombre d’agriculteurs avaient alors crié leur colère en menant divers actions musclées. Qui ne se souvient pas de l’épandage de trois millions de litres de lait, en septembre 2009, dans un champ près de Ciney? « Pour moi, la situation est bien pire qu’en 2009, d’autant qu’à l’époque, nos charges étaient plus basses qu’aujourd’hui », estime Gérard Rixhon, producteur laitier et président de la commission « lait » au sein de la FWA. « La situation est catastrophique, pareille qu’en 2009. Et si cela continue ainsi dans les mois à venir, ce sera pire qu’en 2009. L’année 2014 a été plus ou moins correcte.

Cela a permis de rembourser des factures mais pas de reconstituer une trésorerie suffisante », confirme Erwin Schöpges. Les causes de la crise actuelle sont multiples et il serait simpliste de pointer uniquement du doigt la fin des quotas. Il est vrai que celle-ci a permis à plusieurs pays du nord de l’Europe d’augmenter sensiblement leur production. La Belgique elle-même, à l’approche de la suppression des quotas, a vu sa production laitière bondir de 5% en 2014, à plus de 3,4 milliards de litres, selon les chiffres de la Confédération laitière belge (CBL). Depuis 2006, les livraisons de lait dans notre pays ont augmenté de 18,5%. Dans ce contexte de hausse de la production européenne, l’embargo décrété par la Russie en août 2014 a été particulièrement dommageable. Un tiers des exportations de fromage de l’Union européenne se faisait à destination de la Russie, de même qu’un quart des exportations de beurre. Selon la CBL, la fin de l’accès au marché russe « représente un surplus de 2,6 milliards de litres de lait en Europe ». Un débouché de moins auquel s’ajoute un appétit chinois moins vorace qu’attendu. La Chine, traditionnellement gros acheteur de poudre de lait, a en effet réduit ses importations ces derniers mois.

En Belgique, « on assiste aussi à une pression de certains acteurs de la distribution, en l’occurrence les hard-discounters, sur les laiteries pour que celles-ci baissent les prix », constate encore Alain Masure.

Quelles solutions apporter, dès lors, pour redresser le marché et offrir aux producteurs des prix rémunérateurs? Si un retour aux quotas semble exclu, d’aucuns plaident pour un relèvement du prix d’intervention qui permet le rachat du lait transformé pour soutenir les producteurs lorsqu’un certain seuil est atteint. Ce prix se situe actuellement à environ 18 centimes le litre, ce qui est particulièrement bas, et rend de facto ce mécanisme inopérant. Le « paquet lait » européen, en vigueur depuis octobre 2012, offre bien la possibilité aux producteurs, moyennant certaines limites, de négocier collectivement avec les transformateurs, via des organisations de producteurs. Mais cette nouveauté n’est pas la panacée.

« Au sein de la commission « lait » de la FWA, nous avons réfléchi à un système de contrats entre les producteurs et les laiteries. Il s’agirait notamment de prévoir un prix déterminé pour un certain volume de lait et durant une certaine période. Cela permettrait aux producteurs d’avoir une plus grande visibilité sur leurs revenus et aux laiteries d’avoir un volume garanti. Mais celles-ci ont rejeté l’idée », explique Gérard Rixhon. Autre solution pour les producteurs: se fédérer au sein d’une coopérative. A l’instar de Faircoop, qui compte quelque 500 membres en Belgique et commercialise le lait Fairebel.

« Tous les mois, les ventes augmentent. C’est une solution qu peut fonctionner si on parvenait à doubler ou tripler les volumes. Cela pourrait devenir un revenu intéressant pour les agriculteurs », situe Erwin Schöpges, membre de la coopérative. Mais crises après crises, les vocations souffrent. Et peu de jeunes sont prêts à reprendre l’exploitation de leurs parents. Quel jeune oserait encore se lancer dans un secteur demandant de lourds investissements et marqué par des prix généralement bas et à tout le moins volatils?

La chute du nombre d’exploitations avec vaches laitières en Wallonie au cours des 30 dernières années témoigne de cette réalité. De quelque 15.000 producteurs en 1984, époque de l’instauration des quotas, leur nombre est passé à un peu moins de 3.500. Un plancher, si rien ne change, qui risque de tomber encore plus bas…

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