Claude Demelenne

Coronavirus : dix bonnes raisons de ne pas désespérer de la Belgique

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

La Belgique était ingouvernable, chaotique, pathétique. Face au coronavirus, elle retrouve du punch. Voici dix bonnes raisons de ne pas désespérer de ce curieux pays…sans minimiser les dangers qui le menacent.

Souvent, ces derniers mois, j’ai eu honte d’être belge. Le spectacle d’un pays qui se décompose est rarement enthousiasmant. Chez nous, il était carrément clochemerlesque. La Belgique était un peu ridicule, avec ses missionnaires royaux en goguette, ses palabres surréalistes, ses noms d’oiseaux échangés par-dessus la frontière linguistique.

Cohabitation improbable

Stop ou encore ? Ancien belgicain, j’en étais arrivé à l’amère conclusion que mieux valait tourner la page. Belgique requiem. Chers amis flamands, séparons nous et restons bons amis. Gardons un toit commun, mais faisons chambre à part. La Belgique fédérale est un échec. La faute à personne. Et à tout le monde. Nous sommes trop différents. Socialos – écolos – gauchos, au Sud. Nationalistes-autonomistes-et même un peu fachos, au Nord.

Ombrageuse depuis la naissance de l’Etat belge, la cohabitation entre nos deux peuples est devenue improbable. « L’union fait la force », dit notre devise nationale. L’union est une farce, constatons nous jour après jour.

Quelques petits miracles

La crise du coronavirus a redistribué les cartes. Je n’ai pas fondamentalement changé d’avis sur les chances de survie à moyen terme de la Belgique fédérale. Sauf reflux électoral massif des nationalistes de la N-VA et du Vlaams Belang, elles sont minces. Mais à court terme, l’espoir renaît. Quelques petits miracles ont eu lieu. Il était moins une, la lutte contre le coronavirus exigeait de nouvelles postures politiques. Ce ne fut pas simple. Jusqu’au bout, marchandages, reniements et manoeuvres politiciennes ont été au rendez-vous. Ce fut tout sauf glorieux, mais en ce début de règne du gouvernement Wilmès II, la Belgique a cessé d’être la risée de ses voisins. Voici dix bonnes raisons de ne pas désespérer de la Belgique, un Etat en sursis qui a su se remettre en ordre de marche pour sauver des vies.

1.Sophie Wilmès, naissance d’une cheffe

C’est banal, mais vital. Dans une tempête, il faut un capitaine. D’abord discrète – elle n’était là, en principe, que pour un bref intérim – Sophie Wilmès a endossé les habits de la cheffe. A sa manière, sobre mais pugnace, allant à l’essentiel, sans bla-bla, pas du tout bling-bling, rassurante, au fond. La libérale apparaît atypique, au-dessus des partis, c’est ce qui fait sa force. Si, au bord du gouffre, la Belgique a retrouvé quelques couleurs, elle le doit d’abord à sa nouvelle Première ministre. Elle incarne d’ores et déjà une femme d’État aux yeux d’une large partie de l’opinion.

2.Le retour du compromis à la belge

On le croyait mort et enterré. Il refait surface. Le bon vieux compromis à la belge a permis l’émergence d’un gouvernement minoritaire disposant des pouvoirs spéciaux. Wilmès II, poids plume au parlement, maxi-pouvoirs dans sa besace. Une bizarrerie typiquement belge. Jadis, le plombier Jean-Luc Dehaene sortait sa boîte à outils pour réparer la tuyauterie tricolore. Sophie Wilmès est la première femme plombière de l’histoire tourmentée de la Belgique. Notre pays en avait bien besoin.

3.Le courage des Flamands non nationalistes

Le CD&V et l’Open VLD ont accepté de gouverner à l’échelon fédéral sans le premier parti flamand, la N-VA. Ils risquent gros, car le gouvernement Wilmès II est très minoritaire en Flandre. Chrétiens-démocrates et libéraux du Nord ont fait preuve d’un vrai courage politique. La N-VA ne se privera pas de les qualifier de « mauvais flamands ».

4.Le PS joue la carte du pragmatisme

Ce n’est pas une surprise, le PS a refusé de monter dans un gouvernement d’union nationale avec la N-VA. Bart De Wever proposait comme vice-Premier ministre…Théo Francken. Une provocation. Les socialistes ont, par contre, normalisé leurs rapports avec le MR. Paul Magnette a rendu hommage à Sophie Wilmès. Le courant passe particulièrement bien entre la libérale et Elio Di Rupo, le ministre-président wallon. Les « rouges » ont voté la confiance et accordé des pouvoirs spéciaux, sans état d’âme, au gouvernement Open VLD – CD&V – MR. C’est aussi un acte politiquement courageux car la mise sur orbite de Wilmès II et la nouvelle stature de femme d’Etat de la Première ministre, pourraient à l’avenir doper le MR, au détriment du PS.

5.L’union « nationale » en Belgique francophone

L’entente est au beau fixe entre partis francophones. Le CDH et Défi, dans l’opposition, collaborent avec les partis au pouvoir. Même le PTB, sans accorder sa confiance à Wilmès II, adopte un profil modéré, presque « constructif ». Il faut se réjouir de cette union « nationale » qui évite de s’égarer dans de vaines querelles, au moment où l’extrême urgence est évidemment ailleurs.

6.Une nouvelle génération politique a pris ses marques

C’est une bonne nouvelle, les jeunes ministres qui ont été précipitées en première ligne, dans la crise du coronavirus, n’ont pas déçu. Christie Morreale (PS), Bénédicte Linard (Ecolo) et Caroline Désir (PS) notamment – qui ont dans leurs attributions des compétences en matière de santé ou d’éducation – ont vite pris leurs marques.

7.Philippe Close, l’homme à poigne

Autant Sophie Wilmès est une divine surprise chez les « bleus », autant Philippe Close est une heureuse révélation chez les « rouges ». Le bourgmestre de Bruxelles et vice-président du PS apparaît plus que jamais, au côté de Paul Magnette, comme l’homme à poigne indispensable à son parti. Présent sur tous les fronts, également médiatique, Close est percutant, rassurant – comme Wilmès – et fuit toute langue de bois. Il jouera un rôle de premier plan dans la Belgique de demain.

8.Il existe une « autre » Flandre

C’est sans doute la meilleure nouvelle pour l’après-crise du coronavirus : il n’existe pas, en Flandre, de rejet populaire de Wilmès II. La N-VA et le Vlaams Belang l’ont certes dépeint comme un gouvernement quasi dictatorial. Ce qui est excessif est insignifiant. Pas sûr que la bêtise et l’indécence des nationalistes ne se retourneront pas contre eux. Ce qui pourrait sauver l’État belge.

9.Bart De Wever a perdu sa patte de lapin

Tout lui réussissait. C’est fini. Depuis plusieurs semaines, Bart De Wever s’emmêle les pinceaux et se plante chaque fois qu’il tente un coup politique. Certes, dans les sondages, le désamour qui frappe le leader de la N-VA gonfle le score du Vlaams Belang. A terme, il pourrait aussi profiter aux partis démocratiques flamands qui prennent aujourd’hui leurs responsabilités.

10.Halte au masochisme !

Les Belges sont parfois masochistes. Ils ont tendance à penser que rien ne tourne rond dans leur pays, que la cacophonie et la paralysie politiques empêchent tout grand projet et toute action cohérente. Ce n’est, hélas, pas toujours faux. Le climat est-il en train de changer ? La lutte contre ce terrible coronavirus semble être enfin prise à bras le corps par les autorités. Il est peut-être temps d’arrêter d’être masochiste.

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