Conseils non-stop

Le courtier en assurances a, à l’égard de son client, un devoir de conseil et d’assistance qu’il doit assumer durant toute la durée du contrat. Notamment en cas de sinistre.

Le courtier doit, en toutes circonstances, être particulièrement diligent, bref agir en bon père de famille. Ce qui se traduit en principe par une obligation de moyens: il s’engage uniquement à mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour remplir sa tâche. Il n’est donc aucunement responsable de l’issue favorable ou non de ses démarches: l’assureur a, par exemple, toujours le droit de refuser de couvrir le risque qui lui est proposé. Le courtier ne sera en rien responsable de la décision de la compagnie. Il n’est pas plus garant du bon fonctionnement du contrat souscrit: l’assureur sera en droit de refuser de prendre en charge un sinistre au vu des conditions du contrat…

Obligation de résultat

Néanmoins, l’étendue de la responsabilité du courtier dépendra des tâches qui lui ont été confiées. Son obligation de moyen peut ainsi se transformer dans certains cas en une obligation de résultat. S’il lui est, par exemple, demandé de faire le nécessaire pour faire modifier un contrat afin que son client soit mieux couvert.

Un client avait demandé à son courtier d’adapter son contrat d’assurance Incendie. La couverture relative aux meubles devait être portée de 240.000 F à 800.000 F. Le courtier a apparemment oublié d’effectuer la démarche auprès de l’assureur, commettant ainsi une faute. S’en étant rendu compte par la suite, il aurait dû demander à l’assureur d’octroyer à son client une couverture provisoire immédiate en attendant la régularisation du dossier. Un incendie s’est produit. En raison de sa négligence, le courtier a été reconnu responsable du dommage subi par son assuré.

Et le juge d’ajouter qu’on ne pouvait pas reprocher à l’assuré de n’avoir pas rappelé son affaire au courtier « alors qu’il avait fait le choix d’un professionnel en qui il pouvait légitimement avoir confiance » (Cour d’appel de Liège, 20 octobre 1992, J.L.M.B., 1993, p. 423).

La détermination de la responsabilité de l’intermédiaire sera toujours une question de fait relevant de l’appréciation du juge. Trois cas récents sont venus éclairer cette problématique.

Assistance à la souscription

La loi sur le contrat d’assurance prévoit clairement que c’est le preneur d’assurance qui doit « déclarer exactement, lors de la conclusion du contrat, toutes les circonstances connues de lui et qu’il doit raisonnablement considérer comme constituant pour l’assureur des éléments d’appréciation du risque ». Et l’assureur n’a pas à vérifier les déclarations du candidat-assuré.

Un automobiliste, impliqué dans un accident dont il était seul responsable, avait demandé l’intervention de son assureur Omnium pour se faire rembourser le coût des réparations. L’assureur refusa, arguant du fait qu’à la souscription du contrat, l’assuré s’était rendu coupable d’une fausse déclaration. Il avait en effet répondu n’avoir jamais été assuré auprès d’une autre compagnie alors qu’il avait souscrit antérieurement un contrat auprès de 2 assureurs successifs et que ceux-ci avaient résilié le contrat, l’un pour non-paiement des primes, l’autre en raison de sinistres.

La fausse déclaration était établie. Quant à son courtier, même s’il avait rempli la proposition d’assurance en transcrivant correctement les réponses données par son client, il était néanmoins au courant de ces antécédents. Le dossier de son client contenait en effet les documents relatifs à la résiliation de ces contrats.

Pour le juge, l’intermédiaire a, en sa qualité de professionnel de l’assurance, une obligation d’assistance et d’information à l’égard de son client.

Dans le cas présent, il lui revenait d’informer son client de ses obligations à l’égard de l’assureur et d’insister sur les « conséquences désastreuses » que pourraient entraîner une réticence ou une fausse déclaration de sa part.

En raison de cette obligation d’assistance et d’information et compte tenu des renseignements dont l’intermédiaire disposait, le juge considéra par conséquent que ce courtier avait commis une faute en relation causale avec le dommage subi par son client. Toutefois, l’assuré avait, lui aussi, commis une faute en cachant ses antécédents. Le juge les renvoya dos à dos: le courtier fut condamné à rembourser la moitié des frais de réparations (Cour d’appel de Liège, 9 septembre 1997, J.L.M.B., 1998, p. 555).

Ne pas signer les yeux fermés

Un assuré demande d’être couvert contre le vol de sa voiture et rentre une proposition d’assurance par l’intermédiaire de son courtier. Cette proposition ne faisait pas mention d’une quelconque obligation de marquage des vitres. Par contre, le contrat reprenait, juste au-dessus de la signature de l’assuré, une clause selon laquelle celui-ci déclarait, sous peine de déchéance, que son véhicule avait fait l’objet d’un marquage antivol. Et le véhicule en question fut évidemment volé. C’est alors que les ennuis commencèrent pour cet assuré. L’assureur refusa d’intervenir, se basant sur le défaut de marquage des vitres. Ce que l’assuré ne nia pas. Mais il soutint que les relations étaient régies par la proposition d’assurance qui, elle, ne comportait pas une telle obligation de marquage.

La Cour balaya cet argument d’un revers de manche: une proposition d’assurance ne peut jamais constituer un contrat d’assurance engageant l’assureur vis-à-vis de son assuré. Elle doit d’ailleurs mentionner qu’elle n’oblige pas les parties à conclure le contrat.

Et c’est logique: à ce stade, tous les éléments essentiels du contrat ne sont pas encore connus (le montant définitif de la prime, le contenu des conditions générales et particulières…). La signature d’une proposition d’assurance n’a pour effet que de permettre à l’assureur d’apprécier le risque qu’on lui demande de couvrir sur base des renseignements qu’elle contient avant, le cas échéant, de soumettre au candidat-assuré un contrat en bonne et due forme. L’une et l’autre des parties peuvent d’ailleurs renoncer à s’engager plus avant. En fonction des éléments portés à sa connaissance, la compagnie d’assurances peut refuser de prendre le risque en charge ou poser ses conditions. Que l’assuré pourra encore refuser s’il les juge trop sévères.

Dans ce cas-ci, en signant son contrat sans aucune réserve, l’assuré en avait accepté les différentes clauses. D’où l’intérêt de lire toujours attentivement ce que l’on signe. Par la suite, il n’est plus possible de faire marche arrière: les conditions du contrat tiennent en effet lieu de loi entre les parties.

Dans le cas présent, on ne peut pas non plus accuser l’assureur d’avoir glissé « subrepticement » la clause litigieuse dans le contrat et d’avoir ainsi commis une faute, à partir du moment où l’assureur ne traitait pas directement avec l’assuré, mais par le truchement d’un intermédiaire professionnel qui ne pouvait ignorer le processus d’élaboration d’un contrat d’assurance. Pour le juge, « l’assureur pouvait ainsi légitimement supposer que l’assuré était en mesure de bénéficier de tous les renseignements et éclaircissements indispensables à la bonne compréhension du contrat qui lui était proposé eu égard à l’obligation de conseil à laquelle doit satisfaire cet intermédiaire professionnel ».

Quant à l’assuré, il ne pouvait pas non plus ignorer la présence de cette clause qui figurait juste au-dessus de sa signature et « dans des caractères qui permettent manifestement à tout lecteur normalement prudent et diligent de s’apercevoir de son existence ». Toujours ce critère du « bon père de famille ». Un homme normalement prudent ou diligent aurait vu cette clause. Dans ces conditions, il pouvait parfaitement réagir: la refuser, la renégocier ou accepter tout simplement de faire marquer les vitres de son véhicule. N’ayant rien fait, il doit en accepter toutes les conséquences: la clause lui était opposable.

Néanmoins, le client soutient ensuite que son courtier avait une double mission à son égard: négocier les conditions du contrat et donc l’avertir des exigences particulières de la compagnie; attirer spécialement son attention sur les stipulations particulières du contrat avant de le signer.

En effet, le courtier n’ignorait pas que la compagnie recherchait des garanties techniques particulières contre le vol du véhicule à assurer. Un premier système de protection ne pouvant pas être placé sur cette voiture pour des raisons techniques, le courtier devait normalement s’attendre à ce que l’assureur propose une autre solution. Le courtier savait aussi que les vitres n’étaient pas marquées.

Dans ces conditions, le juge estima que le devoir de conseil du courtier lui imposait d’attirer l’attention de son client sur la condition imposée par la compagnie pour contracter et dont la non-observance entraînait la déchéance du bénéfice de la garantie. L’intermédiaire qui soumet un contrat d’assurance à l’approbation de son client et qui sait ou ne peut ignorer que ce dernier ne répond pas aux conditions imposées par la compagnie, doit nécessairement l’informer des risques qu’il court s’il ne les respecte pas. En décider autrement reviendrait, pour le juge, à vider le devoir de conseil du courtier de tout contenu. Ce dernier a donc commis une faute dans le cas présent. Mais le client également, en n’ayant pas prêté une attention suffisante au texte qu’il acceptait et dont les mentions étaient claires et non équivoques. Par contre, aucune faute ne peut être reprochée à l’assureur. Conclusion: partage des frais pour moitié entre le client et son courtier.

Assistance en cas de sinistre

Le devoir d’information du courtier ne se limite pas seulement à la phase de souscription d’un contrat, mais se prolonge tout au long de la durée de celui-ci. Pour garantir le remboursement d’un prêt hypothécaire, Monsieur et Madame avaient conclu un contrat d’assurance pour couvrir les risques de décès et d’invalidité. En 1988, Monsieur fut victime d’un grave accident du travail. Le gérant de son agence bancaire, qui jouait auprès du couple un rôle de courtier, lui déconseilla d’entreprendre la moindre démarche auprès de la compagnie d’assurances, lui affirmant même que le risque d’invalidité n’était pas couvert. Cette information était tout à fait erronée. C’est la nouvelle gérante de l’agence qui se rendit compte de l’erreur commise par son prédécesseur et qui procéda à la déclaration de sinistre en 1991. Malgré cette déclaration tardive, la compagnie accepta sa prise en charge, mais uniquement à partir de cette déclaration. Par conséquent, alors qu’il aurait eu droit à une intervention de l’assureur dès l’accident, ce couple dut prendre en charge les échéances du prêt durant ces 3 ans (entre 1988 et 1991), soit un montant de quelque 500.000 F.

Le couple se retourna bien évidemment contre ce gérant. Ce dernier soutint qu’il suffisait de lire le contrat d’assurance pour se rendre compte qu’un délai de 2 mois était prescrit pour une déclaration de sinistre.

Le juge en douta: pour lui, il ressortait plutôt du contrat que les stipulations concernant la couverture du risque d’invalidité, mêlant des notions telles que « invalidité physiologique », « invalidité économique », « maladie », « accident »… étaient proprement incompréhensibles pour des profanes comme ce couple, un chauffeur routier et son épouse. Ils auraient évidemment pu déclarer le sinistre auprès de leur assureur. Mais ils ont fait valoir que c’est la mauvaise information qui les en a dissuadés. Ce que l’on peut aisément comprendre. Le juge les invita à rapporter la preuve des différents faits. S’ils y parviennent, ils démontreront aussi par la même occasion l’existence d’un lien de causalité entre l’information inexacte donnée par le gérant-courtier et l’absence de déclaration de sinistre. Dans ce cas, la responsabilité du gérant se trouvera clairement engagée (Cour d’appel de Mons, 22 mai 1997, J.L.M.B., 1998, p.542).

La complexité grandissante du monde de l’assurance entraîne une protection renforcée du consommateur et par la même occasion, une responsabilité de plus en plus lourde du courtier professionnel. Si l’assuré s’en remet à un intermédiaire, on exigera de ce dernier qu’il remplisse son devoir d’information et de conseil de manière professionnelle. La loi sur l’intermédiation en assurances a d’ailleurs consacré ce devoir de compétence, voulant nettoyer le marché de tous les « amateurs ». Le juge sera toujours là pour veiller à ce que ce rôle de professionnel soit rempli correctement.

Pierre Doyen

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