Boris Dilliès a succédé à Armand De Decker, dont il était le dauphin désigné. © OLIVIER POLET/REPORTERS

Communales 2018 : à Uccle, tourner la page De Decker

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le bourgmestre Dilliès, qui a remplacé l’ex-ministre englué dans le Kazakhgate, subit la dissidence de l’échevin Cools. Divisé, le MR pourrait perdre la majorité absolue. Les jeux sont plus ouverts que jamais.

C’est un fief MR dans la tourmente. Le 17 juin 2017, une page de la vie politique uccloise se tourne, prématurément. Armand De Decker, bourgmestre depuis onze ans, se retire. Contraint et forcé. A 68 ans, il entend  » préserver la sérénité dans la gestion de la commune « . Loin du Kazakghate. Ce poids lourd de la vie politique belge, ancien ministre, ex-président du Sénat et proche du Palais royal, est soupçonné d’avoir oeuvré en coulisses à l’adoption de la loi sur la transaction pénale, votée en 2011. Il aurait agi en tant qu’avocat du milliardaire Patokh Chodiev, mission pour laquelle il aurait reçu des honoraires à hauteur de 700 000 euros. L’affaire a fait l’objet d’une commission d’enquête parlementaire. Les rebondissements se multiplient et la pression de l’opposition est omniprésente. La situation de De Decker était devenue intenable. Son départ ouvre le jeu comme jamais à Uccle.

MR : une nouvelle lutte fratricide

Huit jours plus tard, le 25 juin 2017, la section locale du MR se déchire au moment de lui désigner un successeur. Boris Dilliès, échevin de l’état civil et des finances, est le dauphin désigné. Ce quadragénaire, député bruxellois et vice-président du MR régional, incarne le renouveau. Mais Marc Cools, échevin de toujours, le défie.  » Je ne veux plus être le citron que l’on presse « , confie- t-il. Dilliès devient facilement le nouveau bourgmestre, avec 14 voix sur 19.  » Les proches de Charles Michel ont insisté pour qu’il saisisse cette chance unique « , glisse un observateur attentif. Mais ce combat fratricide laisse des traces et réveille les fantômes du passé, dans cette commune où le MR s’était déjà déchiré en 2000, du temps de feu Eric André. Certes, on s’exprime poliment, entre gentlemen.  » Je ne suis pas dans la critique personnelle « , assure Cools.  » Tout se passe bien depuis, nous continuons le travail « , précise Dilliès.  » Merci à Marc Cools et Boris Dilliès pour la sérénité du choix « , tweete Didier Reynders le 25 juin, sur le coup de 18 h 43. Mais la marmite bout.

Uccle est la nouvelle place forte du vice-Premier MR et ministre des Affaires étrangères, qui y a emménagé peu avant les communales de 2012. Président de la régionale bruxelloise, le Liégeois en a fait un pied-à-terre pour conquérir la capitale. Uccle est la seule des dix-neuf communes où le MR a obtenu une majorité absolue en 2012. C’est, aussi, un carrefour des tensions entre les clans. Y résident, outre Didier Reynders : Carine Gol-Lescot, veuve de l’ancien président Jean Gol ; Valentine Delwart, échevine, secrétaire générale du parti et proche de Charles Michel, ou encore Aurélie Czekalski, présidente des Jeunes MR régionaux et porte-parole du Premier ministre.

Or, la vie sans Armand De Decker n’est pas aussi sereine que Didier Reynders l’aurait voulu. Amer dans la défaite, Marc Cools annonce, en janvier dernier, qu’il présentera une liste en son nom pour le scrutin d’octobre. Avec un livre en guise de programme : Uccle en avant. La plupart des libéraux locaux ont choisi le camp du  » légitime  » Dilliès, mais la liste Cools pourrait s’ouvrir à un autre  » vieux  » de la commune, Stéphane de Lobkowicz. Membre du MR, celui-ci a rejoint le CDH après la précédente guerre fratricide au début des années 2000, quand l’ancien ministre régional Eric André, décédé en 2005, avait brigué le poste de bourgmestre. A l’époque, le FDF (devenu DéFI) avait décroché le mayorat, pour pacifier le climat. Uccle ne veut pas revivre une confrontation à ce point virulente.  » Pourtant, les ambitions personnelles et les querelles d’ego au sein du clan libéral passent encore devant l’intérêt général des Ucclois « , déplore Emmanuel De Bock, tête de liste DéFI et, par ailleurs, chef de file du parti d’Olivier Maingain au parlement bruxellois.

Communales 2018 : à Uccle, tourner la page De Decker

Majorité reconduite ou séisme

Résultat attendu ? Au soir du 14 octobre prochain, le MR devrait perdre sa seule majorité absolue bruxelloise, qui ne tenait déjà en 2012 qu’à un seul petit siège.  » Ça ne changera pas grand-chose « , soutient un ténor libéral du cru. Car le MR, en dépit de sa domination, s’est toujours ouvert à d’autres partenaires. En 2006, c’était le PS et DéFI, ce dernier l’accompagnant au pouvoir depuis trente ans. En 2012, place au CDH en plus de DéFI.  » Une majorité qui fonctionne bien « , nous déclare le bourgmestre Boris Dilliès. Et qui pourrait être reconduite. Ou amendée : tout dépend du score du CDH porté par Céline Fremault, ministre régionale de l’Economie. Boris Dilliès espère en tout cas rempiler pour tourner définitivement la page De Decker.  » Mais je ne dirai jamais rien de désobligeant à son égard. Il a toujours été digne, ici, à Uccle. Et c’est lui qui m’a donné l’opportunité de grandir…  »

D’autres cultivent pourtant un autre rêve, qui n’est peut-être plus utopique : provoquer un séisme en renvoyant le MR dans l’opposition. Pourquoi pas une coalition entre Ecolo, premier parti d’opposition actuel avec sept sièges, DéFI, la liste Cools, le CDH ou le PS, qui compte sur Bernard Hayette, secrétaire général de la délégation du parti au Parlement européen ? Tout dépend, bien sûr, de la façon dont les cartes seront rebattues. Mais il y a un enjeu : l’opposition uccloise sent, pour la première fois, qu’elle a une belle carte à jouer. Elle dénonce les problèmes de gouvernance, en ciblant Didier Reynders et Armand De Decker. Mais critique aussi vertement  » une gestion pépère  » de cette ancienne commune bourgeoise en pleine mutation.  » Ça ronronne, regrette Thibaud Wyngaard, chef de file Ecolo et secrétaire politique des verts au parlement régional. Il manque cruellement d’une vision globale et d’un projet mobilisateur pour entrer enfin dans le xxie siècle.  »

La mobilité, enjeu qui figure en haut de l’agenda politique local, en est l’illustration. En raison des travaux à rallonge et du manque d’alternative à la voiture, l’accès au centre-ville est devenu un enfer pour les Ucclois.  » J’interpellerai les autorités au sujet du métro Sud ou pour mettre la pression sur le RER, affirme Boris Dilliès. Mais je mise aussi sur des initiatives propres, notamment via des vélos électriques partagés.  »  » Il faut en effet arrêter de rejeter la faute sur les autres et prendre le taureau par les cornes « , martèle l’opposition. Qui dénonce aussi, pêle-mêle, le coût pharaonique (passé de 20 à 40 millions d’euros) du regroupement des services administratifs dans les anciens bâtiments de Fabricom ou l’augmentation de l’impôt foncier. Uccle, qui continue à traîner la réputation d’un nid privilégié, doit se réveiller.  » Ce n’est plus une commune huppée, insiste Emmanuel De Bock. Il suffit de voir les chiffres du CPAS pour s’en convaincre. La population se fragmente et le vieillissement est un autre enjeu majeur.  » Le 14 octobre sera-t-il l’occasion d’un électrochoc bienvenu ?

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