Selon Richard Wiseman (Goldman Sachs AM), cette tranche d'âge va devenir celle qui gagnera le plus d'argent sur l'ensemble de la planète.

Comment réinventer le modèle économique et créer des emplois durables ? Voici nos solutions

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Notre modèle de croissance basée sur le pouvoir d’achat s’épuise. Les effets pervers, sociaux et environnementaux, poussent les gens dans la rue. L’Etat pourrait pourtant soutenir la reconstruction d’un nouveau monde, axé sur le bien-être. Et générateur d’emplois durables. Voici quelques clés pour y parvenir. Notre enquête, en partenariat avec eChange.

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Indignez-vous ! Le mot d’ordre, lancé en 2010 par le Français Stéphane Hessel, a visiblement été entendu. Notre société se trouve à un carrefour et la révolte gronde. Des gilets jaunes aux marcheurs pour le climat en passant par les frondes syndicales, de nombreux citoyens crient leur désir d’un autre système socio-économique. Marre de cette machine qui broie des vies et détruit la planète. Ras-le-bol de ces travailleurs considérés comme des Kleenex bons à jeter, au bord du burn-out.

L’inquiétude qui sous-tend ces expressions fortes repose aussi, de manière plus diffuse, sur l’inquiétude de voir notre prospérité régresser. Avec ce mantra, en guise d’angoisse sourde : la génération de nos enfants vivra forcément moins bien que nous. Les Trente glorieuses, ces années de prospérité économique consécutive à la Seconde Guerre mondiale, semblent décidément bien loin. Onze ans après la crise financière de 2007-2008, les experts annoncent d’ailleurs l’imminence d’un nouveau séisme.

Le chaos est-il inévitable ? Comment éviter le marasme et mener à bien une transition économique, susceptible de générer des emplois durables ? C’est l’objet de notre quatrième dossier préélectoral orienté vers les solutions, rédigé en partenariat avec eChange, plateforme de dialogue entre politiques, experts et citoyens. Le sujet a fait l’objet d’un débat public à Liège, mercredi 24 avril, organisé avec le soutien de LN24, la première chaîne belge d’information en continu. Il s’agit, ni plus ni moins, de poser les jalons d’une refonte d’un nouveau contrat sociétal.

Pour Thomas Dermine,
Pour Thomas Dermine,  » les technologies offrent de nouvelles réponses et les perspectives en matière de bien-être et de pouvoir d’achat en sont fortement améliorées. « © Georgijevic/GETTY IMAGES

Solution 1 – Un nouveau pacte économique, social et environnemental

Il convient de faire de nos faiblesses du moment un atout pour mieux rebondir.  » Nous sommes effectivement à un moment d’épuisement de notre modèle de croissance basé sur le pouvoir d’achat, constate Laurent de Briey, coordinateur d’eChange, professeur de philosophie politique à l’université de Namur et chef de cabinet de Marie-Martine Schyns (CDH), ministre francophone de l’Enseignement. Ce modèle a apporté beaucoup de choses positives et il ne s’agit pas de dire que nous nous sommes fourvoyés dans le passé, ni que tout était forcément mauvais. Mais les effets négatifs, qu’ils soient environnementaux ou sociaux, sont de plus en plus apparents. L’apparition de nouveaux marchés ou l’essor du numérique ralentissent, en outre, les gains de productivité dans nos pays. L’endettement croissant, qu’il soit public ou privé d’ailleurs, était la rustine qui faisait tenir le système et soutenait artificiellement le pouvoir d’achat. Ce n’est pas par hasard si le modèle a craqué, en 2007, à partir de la question du crédit. Tout cela amène les experts de différents bords rassemblés par eChange à considérer qu’un nouveau pacte économique, social et environnemental serait nécessaire.  »

Peut-être faudrait-il, désormais, faire croître ce qui est utile et décroître ce qui est inutile.

Si l’état des lieux est négatif, il peut en effet constituer une opportunité. Les réponses aux lacunes constatées doivent être la source de ce pacte.  » Au-delà de l’essoufflement du modèle, il y a une aspiration de plus en plus évidente à autre chose, souligne Etienne de Callataÿ, chief economist d’Orcadia Asset Management. La génération des milleniums est à la recherche d’un autre type d’existence, conciliant mieux vies privée et professionnelle.  »  » Beaucoup d’études montrent que nos enfants connaîtront une croissance plus mesurée que la génération précédente, c’est vrai, complète Thomas Dermine, responsable du plan Catch de reconversion de l’ancien site Caterpillar à Charleroi et récemment élu Wallon de l’année par l’institut Destrée. Mais dans le même temps, l’accès à la culture et à toute une série de services est devenu plus facile, les technologies offrent de nouvelles réponses et les perspectives en matière de bien-être et de pouvoir d’achat en sont fortement améliorées.  »

Le Bouthan a remplacé le Produit intérieur brut par le Bonheur intérieur brut.
Le Bouthan a remplacé le Produit intérieur brut par le Bonheur intérieur brut.© GETTY IMAGES

Il reste, somme toute, à généraliser cette perception et à changer les paramètres de notre croissance.  » La transformation de la société, inéluctable, fait légitimement peur aux gens, pointe Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca. Notre challenge, c’est de les rassurer en formulant une perspective, en donnant une image positive du futur. J’entends toujours dire que nos enfants vivront moins bien que nous, mais je ne vois aucune raison pour que ce soit le cas. C’est à nous de dessiner cet avenir meilleur. Le sentiment d’urgence s’exprime dans la rue, que ce soit avec les gilets jaunes ou avec les marcheurs pour le climat. Utilisons cette énergie et cette conviction pour faire évoluer le système.  »

Reste à savoir comment.  » Ce que l’on exprimait avec Johnny Thijs (ancien CEO de bpost) et Baudouin Meunier (ancien CEO du CHU de Mont-Godinne) dans notre carte blanche publiée dans Le Soir et De Standaard en mai 2016, est toujours à l’ordre du jour, estime Bernard Delvaux. Il y a, en Belgique, sept grands thèmes sur lesquels on a besoin de se figurer l’avenir : la mobilité, la stratégie énergétique, la problématique sociale et la compétitivité, la migration, le vieillissement, la question environnementale, de façon transversale, et l’enseignement. Dans chacun de ces domaines, on pourrait faire ce que l’on fait dans une entreprise : se projeter à trois ans ou cinq ans, faire un plan stratégique, voir comment mesurer le succès au-delà du Produit intérieur brut…  »

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Une logique managériale, en somme ? Ce n’est pas la seule référence possible.  » Ce qui me frappe dans les mobilisations actuelles, c’est de retrouver une volonté intergénérationnelle, déclare Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC. Nous nous demandons ce que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants, qui nous demandent eux-mêmes en retour des comptes pour l’avenir. Autrement dit : il y a un appel général à réintroduire de la perspective, une vision longue. C’est précisément ce qui s’était passé en 1944, quand a été conclu le pacte social : définir un objectif à long terme et s’y tenir, par-delà les alternances politiques ou les conjonctures économiques. Il faut ensuite mettre tout le monde autour de la table pour déterminer la façon d’y arriver et assigner à chacun sa part de travail, sans être un Jupiter régnant qui détermine tout.  » Une allusion à l’approche d’Emmanuel Macron, en France.

Or, selon les experts réunis autour de la table, une démarche concertée est possible, en Belgique, en 2019. De nombreux acteurs de la société, des mutualités aux syndicats en passant par des académiques et des politiques, appellent à passer à l’acte.  » De grandes réformes lancées ces dernières années, de la réforme de l’Etat à celles de la justice et de la police, ont montré que les partis et les citoyens peuvent s’aligner lorsqu’il y a la combinaison d’un incident majeur incitant à agir et d’une vision à long terme « , rappelle Thomas Dermine. Voilà un chantier majeur à mettre en oeuvre après les élections fédérales, régionales et europénnes du 26 mai.

Une part significative des jeunes quittent notre modèle de société.
Une part significative des jeunes quittent notre modèle de société.© Jean-Luc Flémal/BELGAIMAGE

Solution 2 – Adapter l’économie en mode numérique

Pour y arriver, il s’agit, avant tout, de ne pas rater le train de la révolution numérique. Les plans pour une e-révolution se multiplient, au fédéral comme en Wallonie ou à Bruxelles, mais l’essai n’a pas encore été concrétisé à la hauteur des espoirs énoncés.  » Notre économie doit être tournée vers l’innovation, disposer de la flexibilité suffisante pour s’y adapter rapidement et se donner les infrastructures et les compétences nécessaires afin de tirer parti de la révolution numérique en cours, et non de la subir, et des gains de productivité qu’elle va générer « , insiste la note d’eChange. Les réformes nécessaires pour assouplir notre économie risquent toutefois de faire débat sur le plan social, comme en témoigne le chantier mis sur la table par la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) sur le travail de nuit : il s’agirait de faire passer de 20 heures à minuit l’horaire où débute le régime spécial, comme aux Pays-Bas.

Les experts d’eChange insistent aussi sur l’urgence absolue de soutenir la recherche et développement, bien plus que ce n’est le cas aujourd’hui.

Selon Marie-Hélène Ska (CSC),
Selon Marie-Hélène Ska (CSC),  » les politiques ne voient plus les réalités « .© BENOIT DOPPAGNE/BELGAIMAGE

Solution 3 – Favoriser les secteurs sociaux et environnementaux

Une foi aveugle en ce développement technologique ne sera pas suffisant. Il doit s’accompagner d’une approche humaniste.  » Ces dernières années, tous nos responsables politiques ont affirmé que la Belgique était un petit pays ouvert au coeur de l’Europe, relève Marie-Hélène Ska. Sur le mode : « Il y a beaucoup d’e-commerce aux Pays-Bas, voyons comment on peut à tout prix en avoir chez nous. » Mais sans penser aux types d’activités pertinentes pour un territoire comme le nôtre. Nous devrions définir le type d’activités que l’on veut soutenir, dans le cadre d’une stratégie territoriale. Un bon exemple est ce que l’on fait avec la reconversion du site de Caterpillar.  »  » Il y aura peut-être de l’e-commerce sur le site de Caterpillar « , interrompt Thomas Dermine, qui a la charge de ce vaste redéploiement postindustriel.  » D’accord, mais cela doit se faire en utilisant et en respectant la main-d’oeuvre locale dont on dispose, rétorque Marie-Hélène Ska. Or, jusqu’ici, notre modèle prônait la croissance à tout prix. Peut-être faudrait-il, désormais, faire croître ce qui est utile et décroître ce qui est inutile. Le non-marchand et le secteur de la santé n’ont pas seulement un coût, ils représentent une source importante de sens et de bien-être. Alors que de trop nombreuses innovations vendues à grands renforts de communication ne servent à rien.  »

 » Cela pose la question fondamentale de savoir comment on va mesurer notre bien-être demain, prolonge Bernard Delvaux. Le travail est un facteur de croissance économique mais aussi de cohésion sociale. On pourrait se fixer des objectifs sur le travail durable mais aussi intégrer davantage les externalités. Aujourd’hui, on ne mesure pas du tout les effets négatifs sur l’environnement, par exemple. Ce n’est pas simple et il est clair que l’on devra, dans un premier temps, procéder par essais et erreurs. Mais l’exemple du Bhoutan est fabuleux : ce pays d’Asie, l’un des pays les plus pauvres du monde, a remplacé le Produit intérieur brut par le Bonheur intérieur brut. Ce qui raconte une histoire différente.  » Il est crucial de changer de paradigme. Sans tout casser au risque de mettre à mal notre prospérité.

Laurent de Briey, professeur de philosophie poli-tique à l'université de Namur et chef de cabinet de Marie-Martine Schyns (CDH), ministre francophone de l'Enseignement.
Laurent de Briey, professeur de philosophie poli-tique à l’université de Namur et chef de cabinet de Marie-Martine Schyns (CDH), ministre francophone de l’Enseignement.© DR

 » Voilà qui pose la question du rôle de l’Etat dans l’économie, estime Thomas Dermine. L’Etat doit fixer les règles du jeu et le cadre, en déterminant les indicateurs que nous privilégions. Par exemple, fixer les critères d’un emploi de qualité ou du respect de l’environnement, mais pas au-delà : l’Etat n’a pas à dire si l’on peut ou doit faire de l’e-commerce ou pas. Un Etat stratège qui définit les secteurs stratégiques me semble démesuré. Son autre rôle, c’est la formation du capital humain, tout au long de la vie. C’est une mission de base que le contexte économique changeant va renforcer fortement.  » La note d’eChange précise que la Belgique devrait se fixer comme objectif d’être dans le top 10 international en matière de qualité de l’enseignement dans les dix ans. C’est l’un des objectifs du Pacte d’excellence, ce chantier de réformes initié en Communauté française, qui représente une sorte de laboratoire du modus operandi souhaité par eChange.

Les mentalités évoluent dans le sens d’une forme moderne de protectionnisme.

Certains secteurs devraient être encouragés, via des indicateurs qui leur sont favorables.  » Le secteur de la santé est un bel exemple, pour répondre aux besoins engendrés par le vieillissement de la population, souligne Baudouin Meunier. Nous sommes conscients qu’on doit revoir le modèle en profondeur et Maggie De Block (Open VLD), ministre sortante de la Santé, a commencé à le faire. Elle a développé une vraie vision à long terme qui dépasse la législature, en s’appuyant sur des rapports d’experts. Si on poursuit cette politique, on aura non seulement des effets positifs en matière de santé, mais aussi de politique économique parce cela induit des investissements en logistique, en informatique… Quand les acteurs travaillant dans ces domaines savent dans quel jeu ils jouent, ils savent comment investir.  » En donnant des orientations claires, on stimule une croissance vertueuse.

 » Prenons le secteur de l’épuration des eaux, dans lequel on sait qu’on devra aussi faire des efforts, ajoute Marie-Hélène Ska. Le rôle de l’Etat consiste à dire qu’on devra y travailler de manière structurelle dans les dix ou quinze années à venir. En se demandant comment faire en sorte que ce soient des entreprises d’ici qui s’en chargent et en soutenant ce secteur.  » La note parle encore, pêle-mêle, d’économie circulaire, de fabrication de batteries, de gestion des données médicales, de mobilité active ou partagée… Bref, dessiner en ligne claire une autre économie.

Etienne de Callataÿ, chief economist d'Orcadia Asset Management :
Etienne de Callataÿ, chief economist d’Orcadia Asset Management : « il y a une aspiration évidente à autre chose. »© Jean-Luc Flémal/ISOPIX

Solution 4 – Acheter wallon et relocaliser

Cette  » nouvelle économie  » doit aussi apporter une réponse aux craintes suscitées par la globalisation. En recentrant l’activité sur notre territoire.  » Il ne s’agit pas de tomber dans la vision d’une économie planifiée à la chinoise, précise Bernard Delvaux. Nous devons être plus opportunistes, plus agiles, et aligner en permanence la demande et l’offre de compétences. Mais si on veut développer de l’activité économique, c’est aussi pour maintenir la cohésion sociale. Il faut envisager la perspective d’une relocalisation de certaines activités en Belgique. Je suis très frappé par cette culture américaine qui consiste à acheter américain. Ce n’est pas dans la loi, c’est dans les esprits. On devrait développer cet esprit-là, nous aussi, au minimum au niveau européen.  » Paul Magnette (PS), lorsqu’il était ministre-président wallon, avait lancé l’idée d’une campagne  » Achetez wallon « , sans grands résultats, avant la chute de sa majorité, l’été 2017. Mais les mentalités évoluent petit à petit dans le sens de cette forme moderne de protectionnisme.

 » Je crois à un mécanisme d’ajustement aux frontières, détaille de façon plus précise Laurent de Briey. Il s’agit de défendre l’idée que le jeu de la concurrence doit se faire sur les stricts facteurs économiques, en neutralisant les choix politiques et les impacts environnementaux. En d’autres termes, on pourrait taxer aux frontières de l’Europe les biens moins taxés là où ils ont été produits, de façon à éliminer toute concurrence déloyale avec nos produits. Ce qui donnerait une autonomie politique plus grande à notre espace en limitant le dumping social, fiscal et environnemental.  » Comme beaucoup de politiques ambitieuses, cette stratégie ne pourrait se déployer qu’à l’échelle de l’Union européenne.

Thomas Dermine, responsable du plan Catch de reconversion de l'ancien site Caterpillar à Charleroi.
Thomas Dermine, responsable du plan Catch de reconversion de l’ancien site Caterpillar à Charleroi.© MAXIME ASSELBERGHS

Solution 5 – Un revenu de participation ou une allocation autonomie

Lorsque l’on parle de politique économique, on dépasse de loin les bilans comptables des entreprises pour rejoindre une vision de société, en ce compris démocratique et sociale.  » On a souvent une vision très matérialiste des choses, mais à côté des exigences économiques, les gilets jaunes ont des demandes de citoyenneté et de respect des autorités à l’égard de la population « , rappelle Etienne de Callataÿ.  » Ils ont l’impression que la démocratie ne tient pas compte de leurs besoins et qu’elle n’est pas suffisamment efficace, enchaîne Baudouin Meunier. En France, 2,8 millions de jeunes sont hors système : ni à l’école, ni couverts par l’aide sociale.  »  » Dans le Hainaut, c’est un sur quatre, complète Thomas Dermine. Je pense qu’on va assister à un clash intergénérationnel énorme lié à la surreprésentation politique de la génération des 50 ans et plus, au fait que les ajustements budgétaires réalisés depuis 2008 se font au détriment des jeunes : on a davantage touché les mécanismes d’accès au travail qu’aux systèmes de pension.  »

La situation sociale est explosive.  » Nos responsables politiques ne voient plus les réalités, appuie Marie-Hélène Ska. Une part importante de la population a le sentiment d’être invisible à leurs yeux. On nie toute capacité de mise en projet de la part des gens. Je persiste à dire qu’on fabrique de la dynamite : ce qui se passe en France avec les gilets jaunes, c’est une bombe à retardement.  »  » Je n’ai pas l’impression que le monde politique réalise ce constat, acquiesce Bernard Delvaux. Que faut-il faire pour que ce soit le cas ? Les cartes blanches et même la concertation sociale au sein du Groupe de Dix ne suffisent pas. Ce qui les fait bouger, c’est l’opinion, dans la rue ou via les réseaux sociaux.  »

Bernard Delvaux, CEO de Sonaca :
Bernard Delvaux, CEO de Sonaca :  » Dans un premier temps, procéder par essais et erreurs. « © Anthony Dehez/REPORTERS

Mais que faut-il revendiquer ? Laurent de Briey reprend l’idée d’une taxation des produits provenant de pays ne disposant pas des mêmes critères sociaux et environnementaux que les nôtres.  » On pourrait utiliser l’argent qui en découle – ou au moins une partie – pour financer un revenu de participation qui serait donné à chacun. Ce revenu, à la différence d’une allocation universelle inconditionnelle, serait lié à une participation socialement utile. Il y aurait un message fort de l’Etat : on investit en vous, mais on attend quelque chose en retour.  »

 » A la CSC, nous travaillons sur une idée proche, celle d’une allocation d’autonomie pour les jeunes à partir de 18 ans, réagit Marie-Hélène Ska. Ce serait une nouvelle branche de la sécurité sociale pour faire en sorte que, demain, tout le monde soit intégré dans le système. Autonomie ne veut pas dire « faire ce qu’on veut quand on veut ». Il y aurait une contrepartie, sous forme de projet. On ne veut d’ailleurs pas faire de cette allocation une mesure en tant que telle, il faut l’insérer dans un système plus large, avec une vision émancipatrice des jeunes.  »  » C’est la version anglo-saxonne de l’allocation universelle « , approuve Etienne de Callataÿ. Plusieurs professeurs d’université, dont le philosophe et économiste Philippe Van Parijs (UCLouvain, Harvard), ont mis en évidence les bienfaits que pourrait apporter une telle allocation, à la fois pour relancer l’économie et induire un changement de société en stimulant l’initiative individuelle.

Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC :
Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC :  » Il faut une stratégie territoriale. « © Christophe Licoppe/PHOTO NEWS

 » J’ai un copain qui fait une thèse sur la « départicipation » des jeunes et il démontre qu’elle est due à plusieurs facteurs, souligne Thomas Dermine. Tout d’abord, je l’ai dit, il est aujourd’hui possible de vivre correctement à moindre coût, tant au niveau de l’alimentation qu’ à celui de l’accès à la culture. Mais une part significative de ces jeunes quittent aussi notre modèle de société parce qu’ils se font happer par les jeux vidéo et leurs mondes parallèles. En d’autres termes, avec 200 euros par mois, vous pouvez très bien avoir des choses à faire durant toute la journée. Or, le coût pour la société des gens qui n’ont pas d’emploi est énorme. On pourrait mettre en place de vastes programmes de réinsertion sociale sur certains projets prioritaires – dans la rénovation des bâtiments, en matière environnementale… Ou tenter de créer des territoires « zéro chômeurs », comme le propose Emmanuel Macron. Cela pourrait aussi soutenir l’idée de remettre le collectif au service de grands projets.  » Pour reconstruire un rêve…

Baudouin Meunier, ex-CEO du CHU de Mont-Godinne.
Baudouin Meunier, ex-CEO du CHU de Mont-Godinne.© DR

Solution 6 Une négociation politique d’un genre nouveau

Chemin faisant, on redonnerait un nouvel élan à la Belgique.  » Ce débat démontre que la politique économique ne doit pas vivre pour elle-même, insiste Baudouin Meunier. Nous ne nous en sortirons que si celle-ci se met au service d’une vision de société. Il vaut mieux, pour relancer l’économie, s’articuler autour de projets constructifs, susceptibles de faire naître un monde meilleur pour nos enfants. Il y a une perception aujourd’hui dans la société qu’il faut un nouveau monde ? Très bien, essayons de le construire ! La situation s’améliorera automatiquement parce que les gens vont reprendre confiance et parce que, si on le fait convenablement, cela se fera avec des emplois durables, localisés en Belgique. Comment arriver à ce que le monde politique en prenne conscience ? Et comment le mettre en application ? Je rêve qu’après les élections de mai, il y ait une négociation entre tous les partis composant les majorités dans tous les niveaux de pouvoir, par thème. On développerait les visions en voyant comment, ensuite, chaque niveau de pouvoir peut contribuer à leur concrétisation.  » Il n’est pas question de retransférer les compétences à l’échelon fédéral, mais bien de mettre de l’huile dans les rouages du système.

 » On en revient au rôle de l’Etat, dit Laurent de Briey. J’ai l’impression qu’il peut utiliser quatre types de leviers. Un : il doit donner des impulsions pour changer la culture. Il faut oser à nouveau poser des choix collectifs en passant de la quantité à la qualité et en définissant cette qualité. C’est un basculement majeur par rapport à notre modèle de liberté individuelle qui a été façonné, au fil des années, par la publicité. Deux : l’Etat fixe le cadre, avec des indicateurs et avec le système de prix. Il doit user de la fiscalité pour taxer quelque chose lorsque les nuisances sont trop importantes ou subsidier des activités à encourager. Nous sommes, certes, dans une économie de marché mais 50 % du prix, en moyenne, est déterminé par la fiscalité – ce n’est pas rien. Trois : l’Etat est un initiateur qui peut mener des politiques d’investissement. Au niveau fédéral, quelque chose d’intéressant émergeait à la fin de cette législature avec le Pacte d’investissements. Quatre : l’Etat peut jouer un rôle de stabilisateur pour assurer la cohésion sociale avec la politique d’éducation.  » Ce sont autant de missions qui démontrent combien la politique peut encore jouer un rôle pour réguler l’économie.

 » L’élément culturel est fondamental, conclut Baudouin Meunier. On ne transforme pas une société en rappelant un carcan, ni en donnant un objectif budgétaire ou financier. Il faut s’inspirer des stratégies de développement pour les entreprises : on y arrive en améliorant la qualité ou en augmentant les parts de marché et, à partir de là, en mobilisant les gens sur quelque chose de positif.  »

Septante-cinq ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un nouveau pacte économique, social et environnemental poserait les fondations d’une Belgique réconciliée avec elle-même et avec les enjeux urgents de notre époque. Reste à savoir si une large majorité susceptible de le sceller pourra se dégager des urnes, le 26 mai. A vrai dire, si on lit entre les lignes, on comprend que cela passerait par une coalition sans la N-VA.

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