Le 27 août dernier, un an après celle obtenue aux Jeux olympiques de Rio, les Red Lions décrochaient une médaille d'argent lors de la finale, à Amsterdam, de l'Euro 2017. La première place est désormais en ligne de mire... © BELGAIMAGE

Comment le hockey est devenu grand

Le Vif

Confidentiel et absent de la scène internationale il y a quinze ans, le hockey belge compte désormais près de 50 000 joueurs et est double vice-champion d’Europe. Une success story dont on ne connaît pas encore les limites.

Une année, jour pour jour, s’est écoulée entre la finale perdue par l’équipe nationale belge de hockey aux Jeux olympiques de Rio et les championnats d’Europe d’Amsterdam où, le week-end dernier, les équipes nationales, tant masculine que féminine, sont devenues vice-championnes d’Europe derrière les Néerlandais. Si le résultat des Panthers n’était pas attendu si tôt, les médailles d’argent des Red Lions ressemblent paradoxalement à une déception : tant aux JO qu’à l’Euro, les Belges ont battu les meilleurs pour buter sur la dernière marche. En revanche, ce qui est acquis désormais, c’est que la Belgique fait jeu égal avec les trois meilleures équipes du monde, l’Australie, l’Allemagne et les Pays-Bas. Une réussite extraordinaire, d’autant plus quand on connaît le chemin parcouru.

Pour le comprendre, il faut revenir vingt ans en arrière. Notre pays compte alors à peine 7 000 hockeyeurs, surtout dans les quartiers chics de Bruxelles. A chaque rencontre contre l’Allemagne ou les Pays-Bas, la Belgique prend 8, 9, 10-0… On dit alors le fossé infranchissable. Mais la Fédération (ARBH) décide de modifier son approche du sport, de la professionnaliser, mettant l’accent sur la préparation physique et mentale. En mars 2004, la Belgique rate les Jeux olympiques pour… 14 secondes contre l’Afrique du Sud à Madrid (les Belges menaient encore à 14 secondes de la fin et seront battus aux strokes).

Marc Coudron, président de la Fédération belge de hockey.
Marc Coudron, président de la Fédération belge de hockey.© BRUNO FAHY/belgaimage

Un traumatisme pour Marc Coudron, alors capitaine, qui met un terme à sa carrière de joueur (358 sélections) ce soir-là. Avant de prendre la présidence de l’ARBH et d’y intensifier l’effort, engageant un directeur technique professionnel et des coachs australiens, néerlandais, néo-zélandais. Depuis, l’ascension est linéaire et spectaculaire : les Belges sont 9e aux Jeux de Pékin en 2008, 5e à Londres et 2e à Rio.  » La mentalité a totalement changé, rappelle Jean-François Jourdain, qui suit le hockey à La Libre depuis… trente-sept ans et vient de publier un livre relatant cette saga (De  » ground zero  » à l’argent olympique, Caïra Edition). La génération dorée des Jérôme Truyens et John-John Dohmen n’a peur de rien : ils savent qu’ils peuvent battre l’Australie, l’Allemagne, les Pays-Bas alors que ces pays étaient hors de portée pour leurs prédécesseurs. Il n’y a plus de complexe belge.  » Le président Marc Coudron opine :  » J’ai connu une époque où, face à ces équipes, nous montions sur le terrain pour ne pas perdre. Aujourd’hui, on joue pour gagner. Et croyez-moi, d’ici à 2024, cette équipe aura été au moins une fois championne olympique, une fois championne du monde et une fois championne d’Europe !  »

Alors qu’aucune équipe belge de sport collectif ne s’était qualifiée pour les Jeux depuis 1976 (le hockey déjà), ce sport va faire office d’exemple pour le monde olympique qui le soutiendra dès les années 1990.  » Le hockey fait montre d’une ambition à la fois obstinée et raisonnée, se réjouit Pierre-Olivier Beckers, président du COIB (Comité olympique interfédéral belge) et accessoirement hockeyeur au Racing. Nous avons décidé d’accompagner ce sport car son objectif affiché était le nôtre : aligner un jour une équipe aux Jeux. Les sports collectifs ont l’avantage de rassembler le pays mieux qu’un individu et aussi de pouvoir faire vibrer la nation durant toute la durée des JO. Le hockey est l’illustration du credo du COIB : ce sont les résultats au plus haut niveau qui stimulent la pratique du sport pour tous, a fortiori quand, comme avec Justine Henin et Kim Clijsters en tennis ou aujourd’hui avec Nafissatou Thiam en athlétisme, ils sont réalisés par des sportifs qui véhiculent une image positive. Le résultat est palpable puisque les affiliations explosent dans les clubs de hockey.  »

Et là, on peut parler de phénomène. Au fil des résultats engrangés par les Red Lions (et les Red Panthers, qui grimpent à leur rythme) et de la médiatisation qui en découle, les clubs de hockey croissent et se multiplient. De 7 000 membres en 1994, on est passé à 17 000 en 2005 (avant le retour aux JO), 24 000 en 2010, 37 000 en 2015 et 44 000 cet été. De plus, le hockey présente une parité linguistique et, d’ici à 2020, devrait également connaître la parité des sexes.  » Cette double spécificité de notre sport est une chance, glisse Coudron, car les sponsors touchent, chez nous, à la fois un public des deux sexes et des deux Communautés.  »

En 20 ans, la Belgique est passée de 7 000 à 44 000 hockeyeurs, amateurs et professionnels confondus.
En 20 ans, la Belgique est passée de 7 000 à 44 000 hockeyeurs, amateurs et professionnels confondus.© CHRISTOPHE KETELS/belgaimage

La barre des 50 000 membres est désormais en vue (ils sont 300 000 aux Pays-Bas).  » Ce n’est pas un objectif en soi, dit Serge Pilet, secrétaire général de l’ARBH. Recruter pour recruter ne sert à rien ; notre principale préoccupation est de pouvoir accueillir ces nouveaux membres dans un cadre qualitatif, c’est-à-dire avec des coachs formés, partageant les valeurs du hockey et dans des infrastructures adéquates. Même si le nombre de terrains et de clubs augmente fortement, notamment dans des régions où l’on n’imaginait pas jouer au hockey il y a quelques années encore, les infrastructures restent un frein à l’expansion de la pratique. C’est surtout le cas à Bruxelles où les clubs sont un peu enfermés.  » Marc Coudron avance d’ailleurs l’idée d’un cadastre des terrains synthétiques, qui pourraient être mutualisés entre différents clubs, différents sports, mais aussi occupés la journée par des écoles ou des institutions pour handicapés.

Des discussions éminemment politiques. En 2012, après l’avoir repoussée deux fois, la dernière fédération unitaire du pays a fini par voter la régionalisation pour accéder aux subsides des Communautés.  » J’y étais opposé car, pour moi, c’était une séparation, et je ne voyais pas de raison de divorcer, admet Coudron a posteriori, mais nous avons été victimes de notre succès : avec nos deux équipes qualifiées pour les JO, le COIB ne pouvait plus assumer seul. Très vite, nous avons été rassurés par la collaboration avec les gouvernements flamand et francophone, avec l’Adeps et Sport Vlaanderen. Sans aides publiques, nous n’aurions pas pu monter plus haut. Aucune de mes craintes n’a été rencontrée, d’autant que la Fédération, les ligues flamande et francophone sont dans le même bâtiment, la collaboration est donc maximale et le contact permanent.  » Tous les sports ne peuvent en dire autant.

Par Jean-François Lauwens.

Ces clichés qui ont la vie dure
Comment le hockey est devenu grand
© Dirk Billen/Infographie Le Vif

Un sport de riches ?

Le hockey s’est considérablement démocratisé. On ne dira pas qu’on le trouve dans les quartiers difficiles, mais il ne se limite plus socialement à une élite qui le pratiquait par tradition familiale dans des cercles huppés de tennis en attendant les interclubs. Son évolution ressemble assez à celle du tennis avec l’avènement de Bjorn Borg dans les années 1970.

Un sport bruxellois ?

Depuis sa création en 1919 jusqu’au premier sacre du Dragons (Brasschaat) en 1997, le titre national n’a quasiment jamais échappé aux cercles bruxellois. Depuis vingt ans, inversion : trois titres pour le Léopold (Uccle), point barre. En parallèle, le hockey a connu une spectaculaire progression autour d’Anvers à tel point que la métropole, qui n’a pas de club sur son territoire, organisera l’Euro 2019 dans un stade qu’elle a construit dans l’espoir de voir un club s’y créer. Autre zone en expansion : l’axe E411 où de jeunes clubs ont, à Wavre, Louvain-la-Neuve, Rixensart, Perwez, Namur, connu une véritable explosion. Enfin, la Fédération a réussi son pari de voir se créer des clubs à Mons, Enghien, dans le Limbourg, le Luxembourg (Arlon, Marche) et dans de nombreuses villes flamandes qui, de Furnes à Maasmechelen, n’avaient jamais vu un stick.

Un sport francophone ?

Au dernier pointage, il y a 22 800 pratiquants francophones (dont les membres de tous les clubs bruxellois) et 21 200 Flamands. Mais le Dragons est désormais le plus grand club, il a été champion une fois sur deux depuis vingt ans, les plus gros clubs du pays sont anversois, ils sont aussi les plus nantis en nombre de terrains (Dragons, Beerschot, Braxgata, Victory). Enfin, le hockey a longtemps été sociologiquement vu comme le sport de la bourgeoisie francophone de Flandre. La tradition s’est perdue à la Gantoise, se perd à l’Herakles (Lierre) et Louvain, mais est encore vivace au Beerschot (Anvers) et au Saint-Georges (Courtrai).

Un sport masculin ?

La croissance est spectaculaire chez les filles : actuellement, on en est à 45 % de joueuses. La parité devrait être une réalité en 2020.

Un sport d’amateurs ?

Heureusement oui, mais les clubs de l’élite rétribuent leurs joueurs, a fortiori quand ils viennent de l’étranger. Depuis trois ans, les internationaux sont sous contrat avec la Fédération. Un salaire décent qui leur permet d’assumer une vie de « pro » : quatre entraînements par semaine, plus évidemment les matchs et entraînements en club. Le système a permis de conserver plus longtemps les joueurs au sommet une fois leurs études terminées.

Un sport de salon ?

L’image d’un sport pratiqué par des petits artistes indiens a plusieurs décennies de retard. Depuis le passage au terrain synthétique, le hockey est l’apanage de vrais athlètes, néerlandais, allemands ou australiens. Chaque décision prise par la Fédération internationale (fin du gazon, suppression du hors-jeu, changements illimités, self-pass, arbitrage vidéo, introduction des quarts-temps…) l’a été dans le sens du spectacle et d’une amélioration du jeu, mais aussi de sa vitesse et de sa puissance physique.

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