© Sammy Slabbinck

Comment la crise de réfugiés et la lutte contre le terrorisme érodent notre état de droit

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

À la une de l’actualité depuis trois mois, la commune de Coxyde doit cette médiatisation à son bourgmestre Marc Vanden Bussche (Open VLD)qui a fustigé la présence de 350 réfugiés dans sa commune. Si en pratique les réfugiés provoquent moins de nuisances que ce que les habitants et le bourgmestre avaient craint, les tensions sont loin d’avoir disparu, comme en témoigne « l’incident de la piscine ».

Commençons par rappeler les faits, même si les événements qui ont eu lieu à piscine sont sujets à interprétation. D’après le quotidien Het Nieuwsblad, « l’accompagnatrice de l’école a lancé l’alerte en voyant un demandeur d’asile de 23 ans attirer une fillette de 10 ans contre lui sous le toboggan. Elle pleurait. » À en croire Het Laatste Nieuws, selon trois témoins, la fillette a été palpée par un demandeur d’asile ». Et selon De Standaard, la petite fille s’est mise à pleurer après avoir été « saisie par un homme à l’arrivée du toboggan aquatique ». Quoi qu’il en soit, les sauveteurs ont appelé la police. Après audition et en accord avec le parquet, l’homme a été relâché. Il a probablement convaincu les autorités en expliquant « qu’il n’avait pas de mauvaises intentions, et que le contact avec la petite fille a eu lieu par hasard à l’arrivée du toboggan ». Aussi ne lui a-t-on pas imposé de conditions supplémentaires.

Mais c’était sans compter le Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration Theo Francken. Depuis les agressions massives à Cologne le soir de la Saint-Sylvestre, la Belgique aussi applique une tolérance zéro contre toute forme de comportement misogyne de la part de demandeurs d’asile. Francken a immédiatement décidé de transférer l' »auteur » vers un centre d’asile fermé. Pour justifier sa décision, il a établi lui-même le lien avec Cologne : « Après Cologne, il est de notre devoir d’agir très durement contre les infractions à l’intégrité physique, et certainement contre des jeunes filles. Ceux qui se conduisent mal seront mis à disposition du gouvernement.  » Francken a pris cette décision « sur base du rapport de police ». Comme à son habitude, il a formulé ses motivations encore un peu plus vertement sur son médium préféré Twitter : « Les demandeurs d’asile sont dans des centres d’asile ouverts. Ils sont libres d’aller nager. Mais bas les pattes. » Et, encore plus explicite: « La justice doit arrêter les demandeurs d’asile agresseurs, sinon c’est moi qui m’en occuperai. »

Son approche a été saluée par le vice-premier ministre Alexander De Croo (Open VLD). Le libéral flamand a en effet déclaré sur Radio 1 que la justice avait géré les plaintes du bourgmestre « de façon peu réactive ». « Si le parquet et la police se montrent plus proactifs, il n’y aura plus de problèmes » a-t-il ajouté. En fait, De Croo remet en cause le rapport entre le pouvoir exécutif et la justice. Le parquet estime qu’il ne s’est rien passé alors qu’un bourgmestre trouve qu’il y a eu une grande injustice. Mais cette indépendance ne constitue-t-elle pas la base de l’état de droit ? Le ministre de la Justice et par extension la majorité politique ont tout à fait le droit de placer des accents et de fixer des priorités pour la politique de poursuites. Le ministre dispose même d’un droit d’injonction positive, c’est-à-dire qu’il peut obliger le parquet à mener une enquête. Cependant, il ne peut jamais déterminer à l’avance le résultat d’une enquête.

Le juge de paix honoraire Jan Nolf voit cette évolution d’un mauvais oeil. « Je suis vraiment fâché de ce qui s’est passé à Coxyde. Dans le meilleur des cas, ce « contact » entre le demandeur d’asile est cette fille était un malentendu. Dans le pire des cas, c’était un délit pour lequel le parquet doit intervenir, mais alors il faut qu’il traite les demandeurs d’asile de la même façon que n’importe quel jeune. Combien de garçons n’ont-ils pas déjà touché une fille à la piscine, intentionnellement ou non ? Un juge doit tenter de rester raisonnable dans ses jugements, mais les politiques semblent de plus en plus réagir de façon irréfléchie au prétendu souhait du public électoral. »

Jan Nolf note une « nette érosion de l’état de droit », et cela l’inquiète beaucoup, car outre l’incident de la piscine, il y a une multitude de mesures musclées approuvées par l’opinion publique. Nolf est contre les perquisitions nocturnes annoncées et le prolongement de la détention préventive de 24 à 72 heures, comme annoncé par le premier ministre Charles Michel (MR) à la Chambre après les attentats de Paris. « Charles Michel veut se débarrasser de règles prétendument dépassées de l’époque de Napoléon. Mais par quoi souhaite-t-il les remplacer ? Une détention préventive plus longue, des perquisitions nocturnes – ce sont là justement les abus de l’ancien régime abolis par Napoléon. Mais pour Michel ces pratiques médiévales sont modernes. (soupirs) Je crains qu’on évolue peu à peu vers un régime autoritaire. Malheureusement, tôt ou tard, toute autocratie dégénère en kleptocratie : un vol légalisé par l’élite, les industriels à qui on donne un cadre légal qui leur permet d’exploiter les gens, justement parce que certaines personnes ne peuvent plus faire valoir tous les droits, et risquent davantage de poursuites de la police et de la justice. La façon dont un entrepreneur comme Fernand Huts utilise la crise de l’asile pour engager de la main-d’oeuvre bon marché tout en remettant en question une série de protections sociales n’est qu’une première étape. Si l’état de droit est sous pression, notre modèle de prospérité sociale est également en cause. Savez-vous quelle est la première mesure du préfet du Nord après l’attentat au Bataclan à Paris ? Il a interdit la vente d’alcool à Lille. Le Canard Enchaîné s’est moqué de cette décision : l’instauration du régime islamique, au nom des valeurs de la République, voilà ce qui se passe quand l’état de droit s’évapore. »

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