Le lion est, à l'origine, un symbole partagé par les provinces belges. © BERT VAN DEN BROUCKE/PHOTO NEWS

« Clovis, Charlemagne, Charles-Quint : les Français en feraient des musées. Nous, rien »

Patrick Weber, chroniqueur royal à RTL, réhabilite la fabuleuse richesse historique d’une Belgique venue du fond des âges :  » Quel dommage de ne pas la revendiquer avec fierté ! »

Cette « Belgique » que vous revisitez depuis la préhistoire, c’est une réhabilitation de l’histoire à l’ancienne ?

Je ne suis pas et je ne me prends pas pour Henri Pirenne, je n’en ai pas le talent. Je peux comprendre que l’histoire de cette Belgique tour à tour bourguignonne, espagnole, autrichienne, française, hollandaise, soit très compliquée à enseigner mais elle souffre d’une simplification qui arrange pas mal de monde. Prenez le référent linguistique, fondé sur l’axe nord-sud d’une frontière linguistique prétendument intangible, et qui est devenu l’alpha et l’oméga de tout. A tort : nous n’avons pas toujours parlé le français dans ce pays, et le néerlandais tel qu’il est parlé de nos jours est assez récent.

A vous lire, la Belgique se perd dans la nuit des temps…

Parler d’une « grande histoire de la Belgique », c’est aussi souligner le côté romanesque d’un pays qui est à la fois neuf et très ancien, légitime et partiellement illégitime. Cela peut paraître étonnant, mais contrairement à ce que l’on prétend, nous avons été très rarement envahis. Nous étions des régions qui, au gré de règles héritées de la féodalité, passaient d’une famille à l’autre, placées dans la corbeille de la mariée. Les Français et les Allemands sont finalement les seuls à nous avoir envahis.

Patrick Weber
Patrick Weber © DANNY GYS/REPORTERS

Le Belge ne connaîtrait pas son bonheur d’être le produit d’une histoire aussi riche ?

Oui, et c’est tellement belge comme attitude ! Quand on pense que nos régions ont été le berceau de la dynastie mérovingienne avec Tournai d’où vient Clovis, puis le berceau de la dynastie carolingienne avec Herstal. Les Allemands font de Charlemagne un souverain allemand, les Français en font un souverain français, et personne ne songe à en faire un Charlemagne belge (NDLR : il pourrait être né à Herstal ou à Jupille). Or, qu’est-ce qu’il y a de plus belge que Charlemagne, ce personnage au confluent d’un monde latin et d’un monde germanique ? Et que dire de Charles Quint, né à Gand, émancipé dans nos régions, qui fut le plus grand empereur de tous les temps ? Le Belge s’en f… ! Là où les Français en feraient des musées, des tas d’émissions télé et de bouquins, nous ne revendiquons aucun de ces grands personnages. C’est invraisemblable ! Et tout cela parce que le Belge préfère tout attribuer au hasard de l’histoire.

Cette absence de chauvinisme, n’est-ce pas aussi ce qui sauve les Belges ?

Bien sûr. Nous sommes le seul pays où on est capable d’exhiber les trois couleurs nationales sans passer pour des nationalistes bas de plafond.

En quoi cette histoire multiséculaire aussi riche forge-t-elle encore l’envie de vivre ensemble des Belges, du sud au nord du pays ?

L’idée de ce livre est née lors de l’interminable crise politique de 2010-2011, de la volonté d’un éditeur français. Les Français se posaient la question de la disparition de la Belgique, ils ne comprenaient pas comment nous pouvions vivre sans gouvernement. Mais nous avons tellement de niveaux de pouvoir en guise de plans B ! Nous avons hérité du Moyen Age la commune, nous continuons à vivre à l’ombre du beffroi, ce symbole des libertés communales. Ce niveau de pouvoir, bien antérieur à la création de l’Etat belge, reste une colonne vertébrale du pays. L’erreur commise en 1830, c’est d’avoir calqué la Belgique indépendante sur un modèle d’Etat-nation centralisateur, un peu à la française, avec une capitale vers laquelle tout devait remonter. Cela n’avait jamais été le cas dans nos régions. En Belgique, on peut très bien faire sa vie ou percer dans la vie professionnelle sans jamais mettre un pied à Bruxelles. Alors qu’en France, il est difficile d’éviter un passage par Paris pour exister. Je pense qu’historiquement, nos régions sont beaucoup plus proches du modèle politique allemand et du fédéralisme de Länder.

On sent poindre une nostalgie des logiques impériales…

Je pense en tout cas que l’Europe ne s’est toujours pas remise de la disparition de l’empire des Habsbourg et des empires ottoman et russe. Les séquelles du naufrage que fut la disparition de ces empires en 1918 ne sont pas encore effacées.

Après la Belgique bourguignonne, espagnole, autrichienne, française, hollandaise et aujourd’hui belge, pourquoi pas une Belgique flamande et une Belgique wallonne ?

J’espère que ce petit coin de terre pourra continuer de s’appeler Belgique. Excepté Liège et son parcours politique particulier, nous vivons ensemble dans le même espace depuis toujours. Raison pour laquelle avoir sorti Bruxelles du Brabant a été aussi idiot que d’affirmer que la terre est carrée. Nous avons plus de légitimité historique à continuer de vivre avec Anvers que d’être rattaché à la France. Malgré tous les efforts politiques consentis pour détruire ce pays, malgré tout ce travail de sape, les sondages montrent qu’il n’existe toujours qu’une petite minorité, au nord comme au sud du pays, à vouloir la séparation. Voilà donc quarante ans qu’on détricote toute idée de légitimité nationale à ce pays, et pourtant la pelote de laine est toujours là. C’est remarquable, non ?

Placer les armoiries du Royaume de Belgique en couverture d’ouvrage, n’est-ce pas ramer à contre-courant de l’histoire ?

On fait tout pour qu’on l’oublie, mais le lion repris comme emblème officiel par la Flandre et qui est exhibé par les mouvements nationalistes flamands, est tout de même à l’origine un lion partagé par les provinces belges. Ce lion de Brabant ramené par les croisés, devenu belge et que l’on retrouve un peu partout dans l’héraldique européenne, pourquoi les francophones subitement ne pourraient-ils plus le revendiquer ?

Fier de vous sentir belgicain ?

Fier d’être Belge me suffit, même si « belgicain » n’est pas une insulte. Mais c’est un peu comme dire « fransquillon » ou parler de « Bruxelles » pour désigner la Commission européenne et critiquer son pouvoir.

On peut être Belge convaincu sans être monarchiste ?

Excepté une courte période républicaine sous le régime français (1792-1804), nous n’avons jamais connu que des souverains depuis Jules César. Etre républicain wallon ou flamand, c’est envisageable. Etre républicain belge me semble beaucoup plus compliqué. De toute façon, nous vivons déjà dans une république couronnée et elle fait ses preuves. Le système français est mille fois plus monarchique que le nôtre.

© PG
La grande histoire de la Belgique/Italique, par Patrick Weber, éd. Perrin, 2016, 426 p.

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