Thierry Fiorilli

Climat : « Le pouvoir de nos enfants »

Thierry Fiorilli Journaliste

Dans son grandiose La Découverte du ciel, paru en français il y a juste vingt ans mais publié en néerlandais dès 1992, Harry Mulisch crée un personnage hors norme, Onno Quist, héritier rebelle et insolite d’une lignée démocrate-chrétienne appartenant à l’élite institutionnelle des Pays-Bas, un peu moine défroqué, un peu savant déconnecté, spécialiste de langues plus mortes que mortes, pas profondément amoureux de l’espèce humaine mais très satisfait de lui-même. Et qui entre en politique par des voies improbables.

Monté jusqu’au gouvernement national, Onno Quist confesse à des proches que, auparavant, il pensait  » que le pouvoir politique était uniquement le pouvoir de la parole. Celui qui avait les meilleures idées et savait le mieux les exprimer avait le plus grand pouvoir « . Mais maintenant, il sait  » que les idées et les mots ne viennent qu’en troisième position, et que celui qui les exprime, la personne, ne vient qu’en deuxième position. Ce que la plupart des gens jugent déjà terriblement antidémocratique, mais la réalité est encore bien pire. Le pouvoir est le pouvoir de la chair. Le pouvoir est purement physique. […] Nul n’acquiert le pouvoir par la parole, son programme politique est accessoire, de même que la personne qu’il est ; un autre peut se présenter avec le même programme et rien ne se produit. Une personne acquiert le pouvoir parce qu’elle a la constitution charnelle d’une personne qui acquiert le pouvoir. Si elle disait autre chose, le contraire par exemple, dans un autre parti ou mouvement, elle obtiendrait tout autant le pouvoir.  »

La mobilisation crescendo des élèves belges, ce mois de janvier 2019, pour que des mesures soient prises d’urgence contre le réchauffement climatique, est une illustration limpide des propos d’Onno Quist. Imaginé par une gamine de 13 ans en Suède, relayé par deux étudiantes (18 et 19 ans) flamandes puis rallié par 35 000 ados, de Flandre, de Bruxelles et de Wallonie, en trois petites semaines, le mouvement n’en est clairement qu’à ses débuts, mais il dessine de façon toute aussi nette  » la constitution charnelle  » de  » qui acquiert le pouvoir « . Là, pour l’instant, ce  » qui « , ce sont ces jeunes chaque jeudi plus nombreux à faire la grève scolaire pour acculer les gouvernants à développer non plus des phrases ou des promesses mais des stratégies et des mesures concrètes garantissant l’avenir de la planète. Pour tous.

Ce mouvement d’enfants, spontané, réclamant la sauvegarde de la planète, incarne le vrai pouvoir. Celui du citoyen sur les décideurs.

Ce mouvement-là a déjà été sermonné. Par des politiques (Theo Francken, Siegfried Bracke et Georges-Louis Bouchez notamment), par des climatosceptiques, par ceux qui estiment l’obligation scolaire prioritaire. Ce mouvement-là a déjà été déconsidéré :  » Attention à la récupération « ,  » C’est bien beau tout ça mais qui va payer ces nouvelles politiques, les ptits loups ?  » Ce mouvement-là a déjà été raillé :  » Pour la plupart, c’est juste l’occasion d’éviter le cours de maths « ,  » La moitié ne sait même pas pourquoi ils manifestent « , etc.

Pour autant, ce mouvement-là, spontané, sans infrastructure, sans extrême gauche ni extrême droite, sans débordements ni violences, sans réflexes corporatistes ni aspirations à gagner davantage de sous, sans événement déclencheur précis ni donc objet de réaction émotionnelle, incarne le pouvoir du citoyen sur les décideurs. Davantage qu’une élection, chez nous obligatoire et dès un âge fixé par la loi. Là, sous nos yeux, on voit le courant de ces enfants gonfler. Ridiculiser les grimaces de Francken, Bracke, Bouchez et cie. Et augurer d’un avenir plus réjouissant que celui que leur préparaient jusqu’ici leurs parents. Ce mouvement-là est une magnifique poussée d’acné juvénile. Un bouton servant aussi à allumer des lumières.

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