Le risque de pauvreté des chômeurs, surtout de longue durée, augmente d'année en année. © DIETER TELEMANS/IDPHOTOAGENCY

Chômage: une rigidité toujours plus accrue

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Multiples changements des conditions d’octroi, dégressivité accentuée des allocations, contrôles renforcés… Difficile de nier que les chômeurs sont moins soutenus qu’avant.

L’idée de responsabilisation individuelle, évoquée dès 1993 dans le Livre blanc de la Commission européenne sur la compétitivité et l’emploi, s’impose définitivement au sommet UE de Lisbonne de 2000, qui préconise des mesures d’activation à l’emploi. Une formule fait mouche :  » L’assurance chômage doit être conçue moins comme un hamac que comme un tremplin.  » Dans les faits, nombre de pays vont opter pour la fin de droit automatique à l’issue d’une période donnée de chômage. La Belgique, elle, penche pour un modèle plus progressiste à la scandinave et choisit le système moins radical du contrôle de la recherche effective d’emploi par les chômeurs.

Cette nouvelle politique démarre véritablement en juillet 2004, sous le gouvernement Verhofstadt II. Le ministre socialiste Frank Vandenbroucke introduit alors le plan ACR (Activation du comportement de recherche d’emploi). Les chômeurs indemnisés sont convoqués pour des entretiens individuels par un  » facilitateur  » de l’Onem qui doit évaluer s’ils cherchent bien un emploi, avec sanctions à la clé et même une exclusion à l’issue d’un troisième entretien non convaincant. Ce système sera introduit par étape en fonction de l’âge, d’abord les moins de 30 ans, puis les moins de 40 (en 2005), les moins de 50 (2006). Aujourd’hui, même les moins de 60 ans sont concernés et les plus de 60 soumis à une procédure de  » disponibilité adaptée « .

Contrôles peu concluants

L’ACR est controversé. La FGTB y voit une  » chasse aux chômeurs « , d’autres un  » outil essentiel pour réduire le chômage « . Depuis lors, la procédure a été renforcée, avec des contrôles plus rapides et fréquents, un échange de données systématique entre les services régionaux à l’emploi (Actiris à Bruxelles, Forem en Wallonie et VDAB en Flandre), censés accompagner les chômeurs, et l’Onem, qui inflige les sanctions. Les résultats ne sont pas spectaculaires : en 2011, des économistes de l’Ires (UCLouvain) constatent que l’ACR a augmenté le taux de retour à l’emploi, surtout chez les jeunes, mais de manière limitée. La diminution du chômage entre 2004 et 2008 est due principalement, non pas à l’activation, mais à l’amélioration de la conjoncture.

Le risque de pauvreté des chômeurs augmente d’année en année.

Le contrôle accru induit un risque au niveau de la qualité des emplois retrouvés, plus instables et avec des salaires plus modestes. Les plus précarisés, les moins formés se font exclure plus facilement. Ils ne comprennent pas toujours ce qui leur est demandé. Les règles changent régulièrement. Les intervenants sociaux eux-mêmes y perdent leur latin, comme en atteste une étude de l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles (OSSB).  » Le droit à l’assurance chômage a fait l’objet de près de 200 modifications depuis la législation de base adoptée en 1991, relève Laurence Noël de l’OSSB. Cela a engendré une telle complexité que beaucoup de personnes n’y recourent pas, alors qu’elles répondent aux conditions. Un Belge sur cinq ayant demandé le RIS (Revenu d’intégration sociale), après avoir perdu un boulot, n’est pas parvenu à accéder au chômage. C’est interpellant.  »

Cette complexité a également été amplifiée par la dégressivité progressive des allocations de chômage, instaurée par le gouvernement Di Rupo en juillet 2012, dans un contexte général d’austérité. La dégressivité existait avant cette date. Elle est, ici, sensiblement accentuée, après une première période d’indemnisation certes un peu plus avantageuse financièrement mais réduite dans le temps. Surtout, elle aboutit plus rapidement à une allocation forfaitaire, indépendamment de la situation familiale (ce qui n’était pas le cas jusqu’alors). Peu avant les élections de 2019, le ministre Kris Peeters (CD&V) a tenté d’accélérer un peu plus la dégressivité. Seize académiques de renom, francophones et flamands, ont alors signé une carte blanche pour s’insurger contre ce genre de mesure contre-productive qui n’a in fine pas été adoptée.

Un impact sur la santé

Si les objectifs de l’Etat social actif étaient nobles au départ, ils se sont avérés ambigus dans la pratique. Le bilan n’est guère très positif. Les rapports du SPF Sécurité sociale le disent : le risque de pauvreté des chômeurs, surtout de longue durée, augmente d’année en année. Les non-recours se sont multipliés. Les exclusions aussi, jusqu’à faire  » saigner le coeur  » de Di Rupo après coup, selon sa propre expression sur les ondes de la RTBF. On assiste à un glissement de ces allocataires vers les CPAS. L’Union des Villes et communes l’a plusieurs fois épinglé.

Autre glissement : le contrôle accru des chômeurs de longue durée a un impact sur la santé, donc sur le nombre d’incapacités de travail, davantage chez les femmes, surtout les isolées. D’où la volonté de la ministre Maggie De Block (Open VLD) de s’attaquer aux maladies de longue durée. Cet effet de vases communicants entre les deux secteurs de la sécu a été mis au jour par une étude du Dulbea (ULB), en 2019, à la demande de l’Inami.  » On se demande si la machine ne s’est pas retournée contre les personnes qu’elle était censée aider, conclut Pierre Reman, économiste de l’UCLouvain, spécialiste de la sécurité sociale. L’Etat social actif aurait dû s’accompagner de meilleurs dispositifs en matière de formation professionnelle, qui reste un point faible de la Belgique « . Même les partisans de ce modèle, séduisant sur papier, le critiquent désormais.

Les jeunes, coeurs de cible

Le stage d’insertion des jeunes pour pouvoir accéder au chômage a, lui aussi, fait l’objet d’un serrage de vis conséquent. D’abord en 2012, par l’équipe Di Rupo qui l’a prolongé de trois mois tout en limitant les allocations d’insertion à trois ans. Puis le gouvernement Michel a enfoncé le clou en abaissant l’âge maximal de 30 à 25 ans pour pouvoir prétendre à l’allocation et en instaurant une obligation de posséder un diplôme pour les moins de 21 ans.  » Le recul social est ici vraiment évident, car on laisse des individus sans droits personnels « , commente l’économiste Philippe Defeyt. En 2018 et 2019, les cours du travail de Liège et Namur ont d’ailleurs condamné ce recul de protection social, le changement de législation n’ayant été accompagné d’aucune mesure compensatoire.

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