Peter Casteels

« Cher Kris Peeters, il faut dire les choses telles qu’elles sont: le CD&V est coincé »

Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

« Pendant toute une année, je me suis demandé ce qui vous prenait exactement », écrit notre confrère de Knack Peter Casteels dans une lettre adressée à Kris Peeters. « Savez-vous ce que vous faites ? »

Cher Monsieur Peeters,

Cher Kris,

Il pense peut-être que vous avez plutôt besoin d’un grand entretien, mais à mon léger étonnement, mon bon collègue au quotidien De Morgen, Joël De Ceulaer, ne vous a pas encore envoyé de lettre. Je vais donc le faire moi-même.

Cependant, cette lettre parle autant de mes sentiments que des vôtres. Pendant toute une année, je me suis demandé, de plus en plus désespéré, ce qui vous prenait exactement. Je ne savais plus à quel saint me vouer. En ces moments de détresse suprême, un journaliste téléphonerait à Carl Devos ou Dave Sinardet pour obtenir des explications, mais je me suis épargné cette peine. Un expert tel que Dirk De Wachter ou Paul Verhaeghe (NDLR : des psychanalystes) me semble plus indiqué. Contrairement à Joël, je peux, si ma lettre ne vous aide pas, vous rediriger. Consulter un psychanalyste pourrait vous faire du bien.

Car savez-vous ce que vous êtes en train de faire ? Tout a commencé de manière innocente. Tout le monde était d’accord que le gouvernement Michel était la coalition la plus logique après les élections de 2014. Tous les partis à droite du centre se sont réunis derrière Charles Michel – il est vrai pas derrière vous, également candidat Premier ministre. J’admets qu’on savait tous depuis le début que votre parti aurait du mal. « Dans un gouvernement de droite, tous les CD&V se comportent comme des ACV », est une vieille phrase d’Herman Van Rompuy citée partout les premiers jours de Michel Ier.

Vu votre passé chez Unizo, vous étiez mal choisi pour rôle d’ACV (NDLR : homologue flamand du CSC). Était-ce une si bonne idée de vous renommer ministre ? On ne distingue toujours pas ce que vous voulez dire sérieusement et ce que vous lisez sur les fiches de débat de votre parti. Admettez que c’était bête, quelques mois après la conclusion de l’accord gouvernemental, de vouloir le modifier avec l’impôt sur la fortune. Vous n’aviez pas réussi à le décrocher à la table des négociations – peut-être en échange d’un arrangement décent du dossier Arco – mais cela ne vous a pas empêché de reparler du sujet. Il était douloureux de voir ce que vous avez – après avoir gémi pendant trois ans avec Eric Van Rompuy – réussi à décrocher. Une taxe sur les comptes-titres qui rapportera dans le meilleur des cas 254 millions d’euros. Johan Van Overtveldt ne cache pas qu’il n’y croit pas vraiment. Est-ce avec cela que vous allez convaincre les ACV au gouvernement ? Je ne pense pas, monsieur Peeters. Et vous le savez très bien.

C’est pourquoi c’est allé de mal en pis. Je n’ai malheureusement encore jamais eu l’honneur de vous interviewer. Il y a encore toujours des rédacteurs en chef qui s’imaginent que vous donnez des interviews sans rien dire. Quand vous étiez ministre-président, c’était vrai : vous parliez un langage incompréhensible et bureaucratique à peine comparable au néerlandais. Aujourd’hui c’est l’inverse. Il suffit qu’un journaliste lance le nom de n’importe quel N-VA que vous sortiez une citation compatissante, condescendante ou même haineuse. Je ne suis pas spécialement pour le journalisme constructif, mais l’empressement affiché par certains de mes collègues à vous faire cracher votre venin a quelque chose d’indélicat. Faites ça plutôt chez le psychanalyste.

Cette semaine, vous avez pu néanmoins parcourir l’année écoulée en compagnie d’Yves Desmet de l’hebdomadaire Humo. « Bart De Wever est passé quelquefois chez moi. Nous avons chaque fois dû enfermer notre labrador au garage », était le titre gênant de l’interview. Les collègues ont légèrement arraché la phrase de son contexte. Il ne fallait pas enfermer les chiens pour éviter qu’ils mangent De Wever tout cru. Non, monsieur De Wever n’apprécie pas beaucoup les animaux domestiques. Si les collègues ont écrit un tel titre, c’est peut-être parce que le choix d’attaques envers la N-VA était réellement trop grand. Outre De Wever, Siegfried Bracke, Liesbeth Homans, Peter De Roover, Ben Weyts et Zuhal Demir en prennent pour leur grade.

Je n’avais jamais pensé écrire ça un jour au sujet d’un politique chrétien-démocrate, mais parfois vous me faites penser à mon père. « Je suis pour tout ce à quoi la N-VA est opposée. Et inversement », résumait-il récemment son idéologie politique. « N’importe quel sujet, tu n’as qu’à dire », a-t-il ajouté. Je crains seulement que vous ne disposiez plus de la lucidité dont bénéficie mon père. Ce qui a commencé comme une tragicomédie a viré à la tragédie.

Le pire est encore à venir. Rue de la Loi, vous vous en prenez à tous les membres de la N-VA qui passent, et à Anvers vous vous livrez à un duel direct avec le bourgmestre Bart De Wever. Et sans même avoir proposé de programme, on sait que vous n’allez pas laisser passer une chance de saper le collège échevinal dirigé par De Wever, mais où siège aussi votre parti.

Pourquoi vous infligez-vous ça? Au nom du ciel, pourquoi ? Les observateurs politiques ont dû se débrouiller avec les ragots pour comprendre votre déménagement : ce serait une tentative de Wouter Beke pour vous faire trébucher et même devenir le leader incontesté. Un autre ragot, qui dure depuis beaucoup plus longtemps, c’est que vous briguez le mandat d’échevin du port. « C’est devenir bourgmestre ou rien », avez-vous déclaré récemment. Comme il y a même plus d’Anversois qui préfèrent voir Tom Meeuws bourgmestre que vous, cela ne mène à rien.

Je ne veux pas dire que je vous ne comprends pas, monsieur Peeters. La N-VA est un parti bizarre. Alors que la plupart des partis traditionnels se bercent une fois qu’ils atterrissent dans un gouvernement, et concluent des compromis, et de préférence en silence, le parti de Wever est resté en mode campagne. Ses parlementaires et même ses ministres – pour ne pas parler des secrétaires d’État – se comportent encore toujours comme s’ils étaient dans l’opposition. Pour comble de malheur, cela ne lui fait pas de mal. Dans le dernier sondage, la N-VA fait deux fois le score de son premier concurrent – votre parti. On deviendrait fou pour moins que ça.

Je ne saurai même pas quoi vous recommander politiquement. La tradition de lettres ouvertes veut que je vous somme de démissionner. Partez, cher Kris. Retournez à Puurs. Jetez les clés de votre cabinet dans la boîte aux lettres et partez à la côte d’Opale. Aérez-vous et mangez des moules. Peu de gens savent que vous avez étudié la philosophie, et que vous aimez toujours relire les grands philosophes. Peut-être qu’ensuite vous pourriez écrire des essais pour Knack. Je veux bien en toucher un mot au rédacteur en chef.

Cher Kris Peeters, il faut dire les choses telles qu’elles sont: le CDu0026V est coincé

Mais ce n’est pas une solution pour votre parti. Les interviews de Wouter Beke sont également pleines de coups de griffe de Vaudeville envers votre partenaire de coalition. « On peut remplir des auditoires avec le nombre d’économistes qui se sont trompés dans le passé. L’un d’entre eux est même ministre des Finances », a-t-il récemment déclaré à Humo. Vos petites perfidies débordent de frustration : la N-VA vous fait subir humiliation après humiliation, alors que vous ne savez pas comment y échapper. « À certains moments, ce sera le coup bas de trop. Cela ne peut durer impunément », avez-vous dit à Humo. Réellement ? Qu’est-ce qu’un N-VA pourrait encore dire qui ferait renoncer le CD&V au gouvernement Michel ? Qui vous croit encore, monsieur Peeters ? Le CD&V est coincé.

Il faut dire les choses telles qu’elles sont. Essayez surtout de profiter des fêtes de fin d’année. Ensuite, s’annoncera une année dure et douloureuse pour votre parti.

Cordialement,

Peter Casteels

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