Charles Michel devant les siens, le 1er Mai, à Jodoigne : le Premier ministre incarne le Mouvement réformateur. Un peu trop ? © Mathieu Golinvaux/Isopix

Charles Michel va-t-il tuer le MR ?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Il dirige le parti sans en avoir l’air, mais laisse attribuer sa défaite aux élections communales à Didier Reynders, ou à l’équipe de son président Olivier Chastel… ou à la RTBF. Le Premier ministre, qui s’est fait très discret, a plutôt été un handicap pour son parti. Sera-t-il un atout pour la campagne fédérale ?

Comme Elio Di Rupo pour le PS après son bail de chef de gouvernement fin 2014, Charles Michel est-il désormais un problème pour le Mouvement réformateur ? Au 16, rue de la Loi comme au 84-86 de l’avenue de la Toison d’Or, on a veillé à éviter la nationalisation de ce scrutin communal. Le Premier ministre n’a pas voulu se tester. A gardé le cap droit sur les élections législatives de mai prochain, en annonçant d’abord qu’il ne mènerait pas la liste réformatrice à Wavre, puis qu’il ne la pousserait pas non plus le 14 octobre. Didier Reynders a soigneusement éludé une communale uccloise difficile, marquée par des déchirements internes après le départ d’Armand De Decker, Kazakhgate oblige. Denis Ducarme n’était, lui non plus, sur aucune liste, tandis qu’Olivier Chastel et François Bellot s’étaient discrètement lovés dans le fond de leur liste. Des ministres MR du gouvernement fédéral, seuls Marie-Christine Marghem, Sophie Wilmès et Daniel Bacquelaine se sont, avec des fortunes très diverses, investis sérieusement dans le combat municipal. Et le Mouvement réformateur s’était engagé dans une campagne positive qui faisait notamment reposer les lignes de force de ses programmes sur des suggestions citoyennes, à travers le site Internet www.pour.be. Des programmes forcément très locaux, donc, pour une élection qui ne l’était pas moins, pendant que Charles Michel continuerait à s’occuper des affaires de la Belgique et du monde. Enfin, l’espérait-on au siège du parti. C’était négliger trois facteurs.

« Charles Michel, ça non ! »

Un, on le savait, les partis de l’opposition francophone allaient travailler sur cette faible popularité du gouvernement fédéral et de son Premier ministre. Les syndicats également. Deux, on ne l’ignorait pas non plus, la N-VA, elle, tenait à nationaliser ce scrutin : elle a mobilisé, avec un succès du reste mitigé, sur la question identitaire bien plus que sur des problématiques ou des personnalités locales. Nécessairement, cela a débordé du côté francophone. A Charleroi ou à Mons, par exemple, Paul Magnette et Nicolas Martin ont lourdement insisté sur l’injustice alléguée de la politique de Theo Francken.  » Il ne fait pas ce qu’il dit « , racontaient les deux bourgmestres hennuyers. Et trois, enfin, et on ne s’y attendait pas, le nouveau cafouillage autour de l’approvisionnement en énergie du royaume a pu exciter les foules.  » La N-VA, la réforme des pensions, le plan de délestage… Plus vous vous éloignez des grandes villes, moins ces histoires pèsent dans le choix des électeurs. Mais les grandes villes, ce n’est pas rien… « , résume un député wallon réformateur.  » J’ai fait des journées de porte-à-porte, et ça se passait souvent très bien. Sauf lorsqu’on en venait à évoquer l’action de Charles Michel ou du gouvernement fédéral « , déclare un autre bleu hennuyer.  » C’était terrible !  » renchérit la tête de liste d’une autre ville.  » Les gens nous disaient « vous, on vous connaît, on vous aime bien, mais votre parti et Charles Michel, ça, non ! » On a passé la campagne à expliquer que ce qui comptait, c’était le projet pour la commune, et de voter pour des candidats qu’on connaît… et je crois que c’est pour ça qu’on ne s’est pas trop écrasés…  »

En porte-à-porte, ça se passait bien…jusqu’à ce qu’on évoque le nom de Charles Michel.

Et puis, le soir du 14 octobre, et le matin du 15 où, en conseil de parti, d’aigres propos, bien dans la tradition libérale, se sont échangés, il est également apparu que le Parti socialiste, aiguillonné par la FGTB, voulait continuer à maintenir cette nationalisation des élections communales. A Bruxelles-Ville, à Tournai, à Thuin et à Mons, les libéraux seront dans l’opposition, ce qu’ils n’étaient pas il y a six ans. Et ailleurs, à Charleroi, à Liège, dans les provinces où c’est envisageable, voire même où c’était programmé, le PS ne s’alliera avec le MR qu’après avoir démontré que des majorités  » progressistes  » avec Ecolo ou le PTB sont impossibles.

Ministre des Affaires étrangères, pas candidat aux communales, Didier Reynders a-t-il été trop absent ?
Ministre des Affaires étrangères, pas candidat aux communales, Didier Reynders a-t-il été trop absent ?© Didier Lebrun/photo news

« Comme une érection sous Viagra »

Tout cela, attisé par les résultats bruxellois plus rapides et les consécutives annonces d’évictions à Bruxelles-Ville, Anderlecht, Koekelberg, Molenbeek, a beaucoup énervé. Pourtant, posés platement, les résultats sont moins mauvais que ce que le ton général des discussions, ce matin du lundi 15 octobre, le laissait penser. Olivier Chastel n’a pas eu tort d’affirmer que le vrai perdant de ces élections était le Parti socialiste, et les réformateurs ont de bonnes raisons de penser qu’ils ne descendront pas plus bas que leur niveau des provinciales. Mais ce lundi-là, beaucoup de gens étaient énervés, dans la salle du conseil du Mouvement réformateur.

Et quand on est énervé, on réfléchit moins, et quand on est énervé, on contrôle moins ses réflexes. Alors, au MR, le réflexe, c’est de tomber sur les médias ( » quand la RTBF ouvre son JT de samedi sur le dérèglement climatique, on sait que tout est mis en place pour qu’Ecolo gagne « , a dit Charles Michel), sur la communication du parti ( » Il faut qu’elle soit plus offensive « , ont dit plusieurs participants, et Olivier Chastel en a pris acte), puis, bien sûr, sur Didier Reynders. Didier Reynders, vice-Premier d’un gouvernement dont le Premier n’a que peu battu la campagne, s’est vu reprocher de n’avoir que peu battu la campagne. Et Didier Reynders, président de la régionale d’un parti qui aura perdu des plumes, des échevinats et des mayorats dans plusieurs communes symboliques de Wallonie, s’est vu reprocher d’avoir perdu des plumes, des échevinats et des mayorats dans plusieurs communes symboliques de Bruxelles. Et puis, comme à la belle période du putsch du groupe Renaissance, deux micheliens sont sortis dans la presse. L’Ucclois Boris Dilliès, dans Le Soir, pour dire que le MR, surtout à Bruxelles, devait devenir plus vert. L’Etterbeekois Vincent De Wolf, dans La Libre, pour dire que le MR, surtout à Bruxelles, devait redevenir plus social.  » Je suis certain que l’attaque de Dilliès a été concertée, c’est la marque de fabrique michelienne, avec dans l’idée que Sophie Wilmès soit tête de liste à Bruxelles aux élections fédérales, et que Didier s’oriente vers la Région « , s’amuse un membre du bureau de la même tendance.

Boris Dilliès, bourgmestre d'Uccle, proche de Charles Michel, veut que Didier Reynders se replie sur la Région bruxelloise.
Boris Dilliès, bourgmestre d’Uccle, proche de Charles Michel, veut que Didier Reynders se replie sur la Région bruxelloise.© JEAN MARC QUINET/reporters

 » Ça n’aura duré que le temps d’une érection sous Viagra. Je ne doute pas qu’essayer d’en finir avec Didier a traversé l’esprit de certains chez les soutiens de Charles. Mais les résultats ne sont pas significativement plus mauvais à Bruxelles que dans le Hainaut, où les micheliens dominent partout, donc personne n’a osé embrayer sur Dilliès, qui se retrouve maintenant plutôt isolé. Même Vincent De Wolf, en bureau de parti lundi, s’est presque excusé d’avoir employé l’expression « libéralisme social », ce que Charles a pris comme une attaque… « , explique un reyndersien, qui ajoute qu’entre les 1 500 voix de préférence d’Olivier Chastel et les 15 % perdus à Wavre,  » ils n’avaient pas de quoi fanfaronner « .  » Olivier est quelqu’un que j’adore, mais avec ses pauvres 1 500 voix à Charleroi, il n’est plus vraiment en position de donner des ordres « , ajoute une mandataire pourtant michelienne.  » Et le fait qu’il ait été aussi systématiquement sur la même longueur d’onde que Charles depuis qu’il est Premier, alors que le parti devrait plutôt, parfois, essayer de se distancier du gouvernement, ça nous a aussi joué des tours « , renchérit un autre parlementaire.

Olivier Chastel, le président choisi par Charles Michel pour lui succéder à la tête du MR, n'a récolté que 1 500 voix aux communales.
Olivier Chastel, le président choisi par Charles Michel pour lui succéder à la tête du MR, n’a récolté que 1 500 voix aux communales.© Christophe Licoppe/photo news

« Carabistouilles communautaires »

Est-ce pour autant reparti comme en 2009-2010 ?  » Non ! Il y a eu un virage à droite du parti, et beaucoup de ceux qui se taisaient depuis 2014 se sont exprimés pour dire que ce n’était peut-être pas la meilleure ligne à adopter en Belgique francophone. Mais personne n’est prêt à aller au schisme : les ego ne sont pas aussi exacerbés qu’à l’époque de Renaissance « , tranche un membre du bureau. Et en effet, le bureau du lundi 22 octobre, parce que les reproches s’étaient désormais équilibrés, fut beaucoup moins tendu que celui de la semaine précédente.

La double peine de la nationalisation des communales, dans l’isoloir puis dans beaucoup de négociations, est en train de se purger. Il faudra éviter maintenant que les fédérales ne se communalisent, tout en n’en laissant pas les leçons non tirées. A ce titre-là, les tenants d’une droitisation en sont pour leurs frais : si Alain Destexhe s’est d’ores et déjà porté candidat à la tête de liste régionale bruxelloise en mai prochain, c’est qu’il sait qu’il n’a aucune chance de l’obtenir.  » La réalité sociologique de Bruxelles rend cette ligne intenable « , pointe un réformateur wallon  » pourtant clairement de droite « .  » Il faut insister sur la qualité de la vie. Les gouvernements wallon et fédéral auront un bon bilan quantitatif. On a créé de l’emploi, on a augmenté le revenu des travailleurs et, en Wallonie, on a même présenté un budget en équilibre. Maintenant, si on se limite à ces arguments quantitatifs sans envisager ce qui fait que les gens se sentent bien dans leur environnement, on pourra encore longtemps se demander pourquoi les enfants du type qui roule en BM et qui a toujours voté pour nous se mettent à voter Ecolo « , avance un député régional. Reste la question de la marque. Celle d’un parti isolé dans un paysage politique qui penche vers la gauche, et d’un Premier ministre pas très populaire dans sa Région. Certains ont été jusqu’à suggérer un changement de nom. Impossible si près d’une si importante bataille électorale. Mais l’hypothèse d’ouvrir les listes à des personnalités non partisanes fait son chemin…

Vincent De Wolf, bourgmestre d'Etterbeek, plaide pour
Vincent De Wolf, bourgmestre d’Etterbeek, plaide pour  » un retour au libéralisme social « .© isopix

Quant à Charles Michel, sans doute compte-t-il, comme c’est son pari depuis 2014, sur une bipolarisation de la campagne, qui lui attirerait toutes les voix de la droite et du centre.  » Mais si la N-VA revient en campagne avec ses carabistouilles communautaires, Charles est dans la merde, et nous encore plus « , redoute un député-bourgmestre wallon.

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