Thierry Fiorilli

Charles Michel et ses barbares

Thierry Fiorilli Journaliste

La semaine dernière, dans l’entretien qu’elle nous accordait, Gwendolyn Rutten clamait que, pour l’équipe Michel,  » il faut laisser davantage de place à l’initiative privée. L’Etat ne peut plus tout faire ! « 

La présidente de l’Open VLD, des étoiles pleins les yeux, expliquait qu’un « nouveau modèle économique est en marche » et que le gouvernement fédéral y adhère sans détour. Voire davantage : il l’incarne.

Dans ce modèle hypra séduisant, « ce sont les gens eux-mêmes qui veillent à l’octroi de services, non plus les entreprises et encore moins l’Etat ». Ses symboles ? « Uber, AirBNB, Facebook »… Rutten aurait pu citer aussi Netflix, Buzzfeed, Amazon, Paypal… Ces business modèles qu’on appelle « disruptifs », ou « de rupture ». Ces plateformes numériques qui ont dynamité le marché traditionnel sur lequel ils ont débarqué et qui envahissent toujours plus de territoires au point qu’on les a regroupées sous une même étiquette : « les barbares ». Parce qu’on sait qu’après les livres, l’horeca, le tourisme, le taxi, le cinéma, le service bancaire ou l’immobilier, les hordes uberisantes vont s’attaquer aux transports aérien et maritime, aux notaires, aux avocats, aux livreurs en tous genres, aux capital-risqueurs, etc. Chaque fois, en mettant en relation « des gens » qui ont besoin de quelque chose avec « d’autres gens » qui peuvent les satisfaire vite, bien et pour nettement moins cher que les professionnels du secteur.

Chaque fois aussi, avec un extraordinaire succès commercial.

Chaque fois encore, du coup, avec une levée de boucliers des acteurs classiques du segment conquis. Parce que les réglementations en vigueur sont contournées, parce que la main d’oeuvre des nouveaux venus n’est pas soumise aux mêmes obligations, ou aux mêmes droits. Bref, parce qu’on les accuse très vite de concurrence déloyale ou de précarisation du travailleur. Et parce qu’après avoir brisé les monopoles, il en prennent aussitôt la place, en taillant en pièce nos modèles sociaux traditionnels.

Dans son ode aux « barbares », Gwendolyn Rutten a eu beau préciser que « tout n’est pas parfait, il faut bien sûr de la régulation », elle n’en concluait pas moins que « ce sont des évolutions que l’on ne peut pas arrêter ni interdire ». Ce qui revient à prédire que, oui, des pans entiers de l’économie vont encore se libérer et offrir des champs de possibilités de développements inouïs, mais que ces Eldorado-là consacreront une nouvelle réalité, déjà bien amorcée par ailleurs, sur le marché de l’emploi : celle des sociétés sans salariés, où l’on est rémunéré, bien ou pas, à la tâche. Et sans garantie aucune de favoriser la reprise de la croissance et donc encore moins d’assurer le partage des fruits de celle-ci.

Le gouvernement de Charles Michel ne peut donc se borner à dire sa fascination pour l’uberisation galopante de notre économie. Cette coalition, qui semble passer le plus clair de son temps à rappeler son plaisir de n’avoir plus à collaborer avec les socialistes, à défaire ce que ces derniers avaient institué ou à revoir ses copies parce qu’elles ne respecteraient pas les procédures légales en vigueur, ferait surtout bien de préciser quelles régulations elle imagine pour demain. Avec quels filets, et pour qui.

Sous peine d’être l’incarnation d’un nouveau barbarisme. Celui qu’on définit comme le fait d’être incultes intolérant, brutal, violent, destructeur. Et dont les préceptes, rappelle Wikipédia, autre exemple de plateforme numérique mais nettement moins prospère celle-là, « légitiment ou semblent justifier, aux yeux de la personne qui en parle, la coercition, le pillage, l’aliénation et l’injustice ».

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