Charles Michel. © Belga

Charles, le fils de la mère Michel

François Brabant
François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Pactiser avec les indépendantistes flamands, refouler le PS dans l’opposition : aux yeux des libéraux, l’option était à la fois tentante et dangereuse. Charles Michel, le président du MR, a décidé de la tenter, malgré tout. Désormais affranchi de Didier Reynders. Et délivré de l’ombre paternelle.  » Charles ressemble beaucoup plus à sa mère qu’à moi « , confie d’ailleurs Louis Michel. Portrait du nouveau Premier ministre.

Dans trois ou quatre décennies, parvenu au crépuscule de sa vie politique, peut-être Charles Michel se souviendra-t-il de cette tumultueuse année 2014, où il eut à résoudre l’un des plus délicats dilemmes de sa carrière. Il se félicitera alors de la lucidité avec laquelle il prit à l’époque une décision à la fois sage et audacieuse. Ou il se morfondra d’avoir déclenché un invraisemblable fiasco, en engageant son parti, et son pays, dans une voie sans issue.

En ce mois d’octobre, Charles Michel a donc osé. Osé s’emparer de l’option la plus tentante – et la plus dangereuse – qui s’offrait à lui : obtenir sept ministres au gouvernement fédéral, en devenant le seul parti francophone d’un exécutif dominé par la N-VA.

Quoi qu’il advienne, le choix de Charles Michel aura des implications considérables. Entrer dans l’histoire comme le francophone qui aura pactisé avec les indépendantistes flamands n’est pas une mince responsabilité. A l’inverse, refuser toute alliance avec la N-VA, confortée le 25 mai dans son statut de première force politique du pays, aurait pu déstabiliser la Belgique plus gravement encore. Le président du MR a dû ressentir ces dernières semaines quelques tonnes de pression sur les épaules.

En homme prudent, il a soupesé toutes les conséquences de sa décision. « C’est quelqu’un qui examine toujours avec minutie chacune des hypothèses. Il ne fonce jamais tête baissée », relève la députée Jacqueline Galant. « Louis Michel fonctionnait de manière beaucoup plus instinctive, indique un autre parlementaire MR, Jean-Luc Crucke (dont le nom est cité pour le poste de futur ministre du Budget). Son fils, au contraire, ne laisse aucune place à l’imprévu. Il a une sainte horreur de jouer au casse-cou. » Ancien président du MR, ancien vice-Premier ministre, aujourd’hui député européen, Louis Michel confirme ce trait de caractère : « Charles est un homme radicalement mesuré et prudent. Il fonctionne à l’analyse, pas à l’instinct. C’est une différence assez fondamentale avec moi. En fait, il est beaucoup plus le fils de sa mère, qui est une personne hyper rigoureuse. »

Le divorce avec le FDF ne faisait pas l’unanimité au MR

Une fois, auparavant, le patron du Mouvement réformateur eut à prendre une décision aussi lourde de conséquences. C’était en septembre 2011. Les Belges avaient voté quinze mois plus tôt, portant en triomphe les meilleurs ennemis, le PS au sud, la N-VA au nord, incapables de trouver le moindre terrain d’entente. Les citoyens voyaient, incrédules, la crise politique se prolonger. Quand il fut décidé de ramener les libéraux à la table de négociation, une autre difficulté se présenta : l’intransigeance absolue du FDF, qui refusait une scission de l’arrondissement bilingue de Bruxelles-Hal-Vilvorde qui ne soit pas accompagnée, en contrepartie, d’un élargissement de la Région bruxelloise.

Ce mois de septembre 2011, parmi la dizaine d’élus de premier plan et de proches conseillers du président qui constituaient l’état-major libéral, au moins quatre pressaient Charles Michel de préserver à tout prix l’alliance avec le FDF. Ceux-là l’imploraient de négocier encore un mois, deux mois, six mois, dans l’espoir d’aboutir à une solution souscrite par les troupes amarantes d’Olivier Maingain. Le président du MR en décida autrement. Alerté par des notes confidentielles sur l’état économique de la Belgique, inquiet à la vue des dégradations successives infligées au royaume par les agences de notation internationales, Michel a tranché. Dans le vif. En âme et conscience. Il a pris sur lui la décision de soutenir une réforme de l’Etat prévoyant la scission de BHV, tout en sachant que cela conduirait à amputer le MR du FDF. A l’intérieur du parti, ce choix n’a pas été bruyamment contesté. Mais beaucoup l’ont désapprouvé, estimant que, sans le FDF, le MR ne serait plus jamais le premier parti à Bruxelles et redeviendrait pour toujours un poids moyen, loin derrière le PS.

Toujours est-il qu’en larguant les amarres qui le reliaient au FDF, Charles Michel a scellé son destin. Il a acquis une vraie stature présidentielle, sept mois après être parvenu aux manettes du parti. Et il s’est enfin émancipé, pleinement, de l’ombre paternelle, si pesante. « Je me rends compte que cette filiation reste lourde à porter, confiait Louis Michel au Vif/L’Express, en juillet dernier. Pourtant, Charles m’informe très peu, il me demande peu mon avis. Je n’ai aucune influence sur ses choix politiques. » Un propos que confirme l’entourage proche du président du MR.

Ah, Louis Michel ! Mélange de Zorro et de Pantagruel, personnage bigger than life, comme disent les Anglo-Saxons, entré dans l’inconscient collectif de tous les Belges, le Jodoignois n’a pas transmis sa verve truculente à son fils. Il lui a par contre légué un goût viscéral pour la chose publique. Logique. Comment pourrait-il en être autrement ? Toute l’enfance de Charles a été rythmée par ces samedis où la cour de la maison familiale, dans le village de Saint-Jean-Geest, était envahie de citoyens venus présenter leurs doléances au bourgmestre. La permanence durait officiellement de sept heures à midi, mais elle ne s’achevait jamais avant seize heures. En moyenne, « Louis » rencontrait sur la journée plus de quatre-vingts personnes, ravitaillées en « jattes » de café par la mère Michel, responsable de l’intendance. Puis, le fils a franchi à son tour le Rubicon qui le séparait de la politique active.

Le jour où il est entré pour la première fois à la Chambre comme député, en1999, Charles Michel a trouvé sur son pupitre une longue lettre manuscrite de son père. Celui-ci lui souhaitait une heureuse carrière. Il lui laissait aussi une forme de testament philosophique, dans lequel il l’enjoignait à ne pas perdre de vue la dimension sociale du libéralisme. Il faut toujours être du côté des faibles, avait-il écrit, ne jamais oublier d’où l’on vient.

Marqué au fer rouge par ses origines modestes, fils d’un maçon qui a connu la pauvreté, Louis a tiré son parti vers le centre, à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Charles Michel se situe-t-il sur la même ligne idéologique ? Non, et le récent accord de gouvernement conclu avec la N-VA, l’Open VLD et le CD&V tend à le démontrer.

Le libéralisme social, « une autre époque »

Presque tous, au MR, rapportent que le junior est plus à droite que le senior. « Louis Michel a un jour déclaré qu’il aurait pu être social-démocrate. Charles ne dira jamais une chose pareille », témoigne un élu bien informé. « J’ai défendu avec Charles des positions nettes sur le radicalisme islamiste et l’intégration, je doute que j’aurais pu faire de même avec son père », indique Denis Ducarme, député fédéral et annoncé comme futur ministre de la Défense.

« Louis Michel, et même Didier Reynders, ont encore connu une Wallonie performante, précise Jean-Luc Crucke. La génération de Charles Michel, à l’inverse, a toujours vécu dans une Wallonie en crise. Cette génération-là est davantage convaincue que les solutions sont à droite, et pas dans la social-démocratie. On ne fait pas d’omelettes sans casser les oeufs. Si on veut redresser la Wallonie, il faut donner un coup de fouet à l’entrepreneuriat et à l’initiative privée. » Jacqueline Galant complète le tableau : « Un président de parti doit en permanence faire l’équilibriste, ménager les différentes sensibilités. Mais avec Charles, on est clairement un parti libéral, un parti de droite. Le libéralisme social version Louis Michel, c’était une autre époque. »

Quant aux rapports avec la N-VA, deux sensibilités coexistaient au MR depuis cinq ans. La première considèrait la N-VA comme un levier appréciable pour casser la domination socialiste en Wallonie. La seconde percevait le nationalisme comme un poison, et la N-VA comme un ennemi à abattre. Didier Reynders incarnait plutôt la première posture, tandis que le clan Michel défendait plutôt la seconde attitude – bien que l’opposition était, en réalité, moins caricaturale que cela.

Un fait méconnu, mais pas anodin : l’un des moteurs qui a poussé Charles Michel à s’emparer de la présidence du MR, en 2011, à la suite d’un putsch fomenté contre de Didier, c’est justement le refus d’un quelconque rapprochement avec la N-VA. Le député-bourgmestre de Wavre a toujours désapprouvé le calcul tactique de certains élus MR, reyndersiens pour la plupart, qui voyaient dans la N-VA un allié possible dans la course au 16, rue de la Loi. Sur cette question, il a même envisagé, si besoin, d’aller à l’affrontement public avec Didier Reynders. Tout au long de la dernière campagne électorale, il n’a cessé de cogner contre la formation de Bart De Wever. Comme le 21 mai, dans les colonnes de L’Echo: « Oui, je le dis et le redis, la N-VA est un parti à la frontière du racisme et de la discrimination. C’est un projet de mépris et d’extrémisme. » Didier Reynders, au contraire, a montré maints signes d’ouverture à l’égard de la N-VA. « Pour moi, Bart De Wever peut être Premier ministre », déclarait-il en janvier dans Het Belang van Limburg. Dans un recueil d’entretiens récent (Didier Reynders sans tabou, par Martin Buxant et Francis Van de Woestyne, éditions Racine), le ministre des Affaires étrangères exprimait à mots feutrés son rêve d’un gouvernement des droites : « Au Parlement, on voit bien que, sur une série de thèmes, N-VA, CD&V, MR et Open VLD se retrouvent sans trop de problèmes. Après, avec la N-VA, la même question revient toujours : malgré son programme communautaire indépendantiste, est-elle prête à participer à la gestion de la Belgique ? Si un jour, à l’image des nationalistes catalans pendant de longues années, la N-VA pouvait se dire prête à gérer l’Etat, beaucoup de choses deviendraient possibles. »

Les traces de cette démarcation entre la ligne Reynders et la ligne Michel ont mis du temps à s’effacer. « Je pense que Charles reste beaucoup plus réticent que Didier par rapport à la N-VA, déclarait encore Jacqueline Galant au Vif/L’Express en juillet dernier. Je le sens très sceptique quant à la sincérité de Bart De Wever. Il y réfléchira à deux fois avant de s’engager dans une telle alliance. A mon avis, si ça ne dépendait que de lui, Reynders hésiterait moins à foncer dans cette direction-là. »

Trois mois plus tard, c’est en tout cas Michel qui annonce l’accord d’un gouvernement avec les nationalistes flamands. Et qui en prend la direction. Devenant, à 38 ans, le plus jeune Premier ministre de l’histoire du pays.

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