Selon la taille de son groupe politique, le député a plus ou moins l'occasion de se distinguer. © Daina Le Lardic/belgaimage

Ces pétitions citoyennes qui gênent l’élu wallon

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Quand les députés wallons réservent bon accueil aux doléances citoyennes, c’est pour en retirer pas mal d’embarras et chercher, avant tout, le moyen de les évacuer. Plongée dans les rencontres laborieuses des parlementaires avec la démocratie directe.

Le citoyen demande la parole ? Il aura la parole. En bord de Meuse, les élus du peuple wallon s’y sont engagés. Ils se sont même astreints à prendre au sérieux les appels au secours lancés en direction de leur enceinte parlementaire. Le parlement de Wallonie tient à l’oeil les pérégrinations de la vox populi et le retour en vogue sur Internet de l’antique droit de pétition ne lui a pas échappé. Il s’est donc dit que ce moyen parmi d’autres de se faire entendre sur une cause gagnerait à être revigoré et mis à la portée de tous par voie électronique. Une seule signature suffira en Wallonie pour tenter sa chance d’inscrire à l’agenda parlementaire un thème qui vous est cher.

Auditionner sur une question de délivrance de permis, est-ce bien raisonnable ? se demandent les députés.

Audition de pétitionnaires, (contre-) exposés d’experts, intervention du ministre, débats publics entre députés, conclusions et recommandations. Les députés allaient devoir se montrer à la hauteur du cahier des charges, étant entendu que toute pétition ne serait pas forcément jugée bonne ou digne d’examen. Privilège du président de l’assemblée, il appartenait à André Antoine (CDH) de faire le tri sans avoir à motiver et à rendre publiques ses décisions de rejet. Curieuse entorse au credo de transparence à laquelle la présidence n’a pas voulu déroger, malgré les sollicitations du Vif/L’Express.

En cinq ans de législature, le parlement de Wallonie aura joué à six reprises au minilabo de démocratie interactive, moments privilégiés où une parole citoyenne rencontre sans filtre une écoute parlementaire.

L’expérience, inédite en Belgique, se devait de démarrer en beauté : 14 000 signatures réunies pour réclamer  » moins d’électrosmog ! « , voilà qui méritait d’y prêter l’oreille. Cette première pétition à passer au banc d’épreuves en 2015 n’a pas laissé aux élus un souvenir impérissable. Ils en ont plutôt retiré le sentiment de s’être longuement réunis, d’avoir beaucoup écouté et pas mal débattu, pour que, finalement, les lignes ne bougent pas et que l’appel citoyen au principe de précaution face aux ondes électromagnétiques reste sans lendemain. Savine Moucheron, députée CDH, avait débriefé à chaud :  » On peut se réunir et se réunir, mais si dans les faits cela n’aboutit pas à un texte qui change les choses, cela n’a pas beaucoup d’intérêt.  » (Voir Le Vif/L’Express du 29 juillet 2016.)

L'apiculture, un dossier finalement exfiltré vers le médiateur de la Région wallonne.
L’apiculture, un dossier finalement exfiltré vers le médiateur de la Région wallonne.© MONTY RAKUSEN/GETTY IMAGES

Cinq heures d’audition et puis quoi ?

Partie remise, ça ne pourrait qu’aller mieux les prochaines fois. L’occasion de se rattraper se présente en novembre 2016. Objet de la plainte citoyenne : des nuisances engendrées dans les cantons de l’Est par Renogen, société de cogénération à la source d’un contentieux avec ses riverains. Un conseiller communal en guise de porteur de la pétition, un échevin de la commune concernée (Amel/Amblève), des fonctionnaires de la Région wallonne, des experts en santé et environnement, l’exploitant de la société sur la sellette : au bout de sept intervenants et de près de cinq heures d’auditions en commission vient le temps pour les parlementaires rassasiés d’atterrir et… d’encaisser ce moment de lucidité agacée que leur inflige Valérie De Bue (MR), devenue depuis lors ministre : tout cela a-t-il un sens, chers collègues ?  » Il me semble qu’on était dans l’ordre du local et je ne vois pas très bien quelle est notre compétence dans ce type de dossier, j’ai eu l’impression d’assister parfois au procès d’une entreprise. Qui sommes-nous pour faire cela ?  » Question qui jette un froid mais mérite réflexion, recommande l’élue libérale, car  » dès qu’il y aura un problème dans une de nos localités, on risque d’avoir le même cas de figure, et cela alors qu’on a plein de boulot, plein de dossiers à traiter  » et tant d’autres chats à fouetter.

Nouvel accès d’angoisse existentielle quelques mois plus tard, lorsque déboule sur les pupitres des élus wallons une affaire de permis pour prospection minière dans les cantons de l’Est introduit par WalZinc, ce qui jette l’émoi parmi une dizaine de communes environnantes. Revoilà nos députés bien embêtés : auditionner sur une question de délivrance de permis, est-ce bien raisonnable ?  » Je suis dans le flou le plus total, on ne va pas pouvoir jouer à cela sur chaque dossier « , confesse une élue désemparée. En première ligne, Carlo Di Antonio (CDH), ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, tient à conscientiser l’assistance :  » Des cas similaires à celui-là, j’en ai dix toutes les semaines en recours. Ouvrez la porte à cela au parlement, je vous souhaite beaucoup de plaisir pour traiter la pétition des nombreux citoyens wallons qui ne sont pas contents des octrois de permis à proximité de leur maison, et qui demanderont à être entendus au parlement dans le cadre d’une procédure en cours, pour un poulailler, une porcherie, une éolienne, pour ce que vous voulez.  » En tant qu’instance compétente en matière de recours, ce sera sans lui, prévient le ministre. Une majorité se dégage pour que le parlement se déclare incompétent et s’en tire par une pirouette : le gouvernement wallon en sera quitte pour présenter un état des lieux des concessions minières et sa vision globale de la gestion des ressources du sous-sol, en s’épargnant un grain de sel citoyen.

La pétition en faveur du métier d'aide familiale s'est enlisée dans les rivalités politiciennes.
La pétition en faveur du métier d’aide familiale s’est enlisée dans les rivalités politiciennes.© OCÉANE GASPAR

« Ici, ce n’est pas le tribunal »

Mieux vaut en rester là : c’est aussi la décision prise en 2018 à l’égard d’une vingtaine de citoyens issus du petit monde de l’apiculture wallonne et venus frapper aux portes du parlement. Il faut dire que le dossier sent un peu le soufre, sur fond de subsides refusés par l’administration wallonne à un rucher-école, d’accusations de collusion et de lointains voyages d’études (Chine, Argentine) d’une utilité dénoncée comme fort discutable. René Collin (CDH) fait la moue. Le ministre de l’Agriculture confie aux élus son trouble, ses doutes sur le profil des pétitionnaires, ses interrogations sur  » ces signatures qui ne sont pas datées « . Raison de plus pour tirer l’affaire au clair par une confrontation entre accusateurs et accusés, suggère le PS dans un bel élan de transparence. Sauf que la perspective cabre : il ne faudrait pas non plus que l’écoute citoyenne dégénère en règlement de comptes.  » Nous ne sommes pas une commission de conciliation ni une commission d’enquête « , recadre Hélène Ryckmans, représentante Ecolo.  » Ici, ce n’est pas le tribunal, abonde François Desquesnes (CDH), si on se lance dans cette logique-là, tout qui, un jour, estime ne pas avoir été traité correctement par les services de la Région wallonne dira :  » Je n’ai pas eu les subsides que je demandais, j’introduis une pétition au parlement et comme cela je serai entendu « . Nous n’en finirons jamais.  » Une majorité juge finalement que la cause de l’apiculture ne sortira pas améliorée d’un déballage et exfiltre le dossier vers le médiateur de la Région wallonne, au grand regret de l’opposition socialiste qui aurait tant aimé titiller un ministre CDH.

Carlo Di Antonio, ministre wallon de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement.
Carlo Di Antonio, ministre wallon de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement.© NICOLAS MAETERLINCK/BELGAIMAGE

Pour accéder au saint des saints et parvenir aux oreilles des élus, il peut être judicieux d’activer les bons canaux. Le métier d’aide familiale court de grands dangers, elles sont une poignée dans la profession à lancer depuis Verviers un SOS par voie de pétition. Jetée au printemps 2018, leur bouteille à la mer échoue aux portes du parlement de Wallonie. Mise au parfum, la FGTB secteur Horval (Horeca – Alimentation) offre de jouer la courroie de transmission, prend en charge la logistique, fait jouer ses relais auprès de l’un ou l’autre député PS tandis que le compteur de la pétition grimpe à 17 000 signatures. Bingo, le parlement consent en novembre à se saisir de l’appel citoyen étant convenu que la parole des pétitionnaires sera portée par le secrétaire général de la FGTB-Horval Verviers. Quand ? Mais sans tarder, insiste le camp socialiste.  » Bien essayé « , ricane-t-on dans les rangs de la majorité MR-CDH, où l’on est d’avis que rien ne presse et que le sort des aides familiales sera globalisé dans la prochaine discussion du décret sur l’assurance-autonomie porté par la ministre CDH de l’Action sociale Alda Greoli, chantier reporté à la prochaine législature. D’ici là, pas question d’offrir une tribune parlementaire à la seule FGTB et ce plaisir à son allié socialiste.

Pour la majorité CDH-MR, tout l’art résidera à ne pas laisser croire qu’on a voulu  » baquer  » la pétition et confisquer la parole citoyenne. Pour l’opposition socialiste, tout l’art consistera à hurler  » au tour de passe-passe  » qui n’avait d’autre but que d’étouffer la parole libre des travailleuses dans l’agenda gouvernemental.

Véronique Waroux, députée CDH :
Véronique Waroux, députée CDH : « La mécanique ne fonctionne pas bien. »© BRUNO FAHY/BELGAIMAGE

Elus découragés

Bilan ? Une seule pétition a eu les honneurs de la séance plénière : la première, relative à l’électrosmog ; au mieux, des recommandations au gouvernement, sans aucun engagement politique fort. Joints par Le Vif/L’Express, les pétitionnaires auditionnés ne se déclarent pas mécontents de leur détour par la case parlementaire, à défaut d’en être revenus comblés. Les députés, eux, n’ont pas snobé la main tendue par les citoyens, ils se sont appliqués mais ils ont souvent tâtonné, ennuyés par la méthode, saisis de doléances mal ajustées à leur fonction parlementaire. Il est dur aussi de résister à la tentation d’intégrer la parole citoyenne dans les calculs partisans et de l’enliser dans des postures politiciennes.

 » La mécanique ne fonctionne pas bien « , concède au Vif/L’Express la députée Véronique Waroux (CDH) impliquée dans l’examen de plusieurs pétitions.  » L’exercice consistait surtout à trouver un moyen d’écarter une pétition. Les auditions relevaient plutôt du bricolage, les experts entendus pour répondre au pétitionnaire étaient validés par le ministre compétent, avec pour effet de cadenasser les débats. Une forme de découragement gagnait les députés, parce qu’on a insuffisamment intégré la notion du temps nécessaire aux parlementaires pour assumer correctement ce genre d’activité chronophage « . Susciter des espoirs si c’est pour les décevoir…

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