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Centenaire 1914-18 : la Flandre veut la guerre

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Climat de guerre froide en vue du centenaire de 1914-1918 : la montée en puissance du pouvoir fédéral agace la Flandre. Son ministre-président, Kris Peeters (CD&V), ignore la main tendue : la commémoration se fera aux conditions flamandes. Imbuvables pour la communauté internationale.

Le centenaire de la Grande Guerre sera honoré comme il se doit, sous pavillon belge, à dater d’août de l’année prochaine : de 2014 à 2018, le pouvoir fédéral sera sur le front des commémorations. Sauf qu’il tombe sur un os communautaire. Cette montée en puissance ne plaît pas du tout à la Flandre. C’était couru : le centenaire de 1914-1918, la Flandre en fait une affaire personnelle. Depuis 2008, elle ne lésine pas sur la dépense et jette toutes ses forces diplomatiques pour réussir ce rendez-vous avec « son » Histoire.

Hors de question pour elle de céder un pouce du territoire qu’elle a pris soin de marquer. Ni même de renoncer à faire la course à la tête, pour les beaux yeux de la Belgique. « Nous avions plusieurs kilomètres d’avance. Nous avons dû laisser revenir le peloton. Cela ne signifie pas qu’au moment du sprint, nous n’arriverons pas les premiers sur la ligne d’arrivée. » Entre la Belgique et la Flandre, que le meilleur gagne… Ce n’est ni un Vlaams Belang exalté ni un N-VA pur jus qui prône cette logique de compétition. C’est Kris Peeters, ministre-président flamand, membre d’un CD&V qui prétend par ailleurs jouer la carte du consensus fédéral. C’est devant « son » Parlement, le flamand, qu’il a tenu ce langage. Et tué dans l’oeuf l’offensive fédérale, un mois avant son déclenchement.

C’est que la Flandre ne transigera pas sur l’ordre de marche : « L’objectif principal est d’utiliser cette commémoration pour projeter la Flandre sur la carte du monde. » Le gouvernement flamand s’accroche à sa feuille de route : une « Flanders Fields Declaration », qui doit être le temps fort de son agenda diplomatique. Tout un programme. Il allait jusqu’à gommer toute allusion à la « Belgique ». Ce qui le rendait imbuvable pour tout ce qui n’est pas la Flandre dans ce pays. Mais aussi pour la communauté internationale, invitée à signer en grande pompe cette Déclaration.

Il a fallu passer par un mini-sommet diplomatique, organisé au château de Grand-Bigard, le 6 novembre dernier, pour soumettre un texte de consensus intra-belge (sic) à quelque 22 délégations d’ex-Etats belligérants. Kris Peeters est convaincu d’en être sorti vainqueur. Il a livré la bonne nouvelle aux députés flamands : « La discussion sur le texte est terminée avec les autorités belges, les 22 délégations ont marqué leur accord. » Affaire conclue. Aux conditions flamandes. Et de une : « L’ initiative de cette Déclaration doit être reconnue comme une initiative du gouvernement flamand. » Et de deux : « Une référence explicite à « Flanders Fields » sera maintenue dans le texte. » Et de trois : « La signature de cette déclaration se déroulera en Flandre, et le gouvernement flamand agira en tant qu’hôte. » Le tout est à prendre ou à laisser : « Le strict respect de ces accords mènera à ce que la commémoration de la Première guerre mondiale vis-à-vis de l’extérieur restera en Flandre. »

Gros mensonge de Kris Peeters. Rien n’est ficelé, tout reste à négocier. En Belgique comme dans le monde entier, la pilule flamande est encore très loin d’être avalée.

Ambiance de drôle de guerre. Elle soumet à rude épreuve les nerfs du Commissaire général à la commémoration 1914-1918, l’ex-gouverneur CD&V de Flandre occidentale Paul Breyne, et son adjoint francophone, Jean-Arthur Regibeau. Ils déploient des trésors de diplomatie pour éviter un clash monumental. Exceptionnellement pour Le Vif/L’Express, le duo sonne le tocsin (voir l’interview en vidéo) : si la Flandre ne change pas son fusil d’épaule, elle se retrouvera seule avec sa commémoration. Boudée par la communauté internationale.

La crainte du camouflet reste sans suite. Le gouvernement flamand préfère prendre ses rêves pour des réalités. Il voit grand, pour que la Flandre devienne le nombril du monde de 2014 à 2018. Il invite ainsi en terre flamande tous les Prix Nobels de la Paix à venir commémorer les 100 ans de la Grande guerre. En snobant une fois encore le pouvoir fédéral. Au mépris des usages diplomatiques.

Il reste deux ans à la Flandre et à son ministre-président pour se ressaisir et atterrir sans perdre la face. Pour éviter de sombrer dans le ridicule.

Le dossier dans le Vif/L’Express de cette semaine

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