Le Pape François avec un cardinal italien. © REUTERS

Celle qui voulait devenir « cardinale »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Voix des « cathos de l’intérieur », Christine Pedotti a l’art de mettre les pieds dans le bénitier. Très remontée contre la Curie romaine et la marginalisation des femmes dans l’Eglise, elle se verrait bien « cardinale ».

Née en 1960 dans les Ardennes, Christine Pedotti est éditrice et directrice de la revue française Témoignage chrétien. Voix des « cathos de l’intérieur », ces fidèles qui expriment une parole critique au sein de l’Eglise catholique, elle lutte, depuis 2008, contre la discrimination des femmes dans l’institution et défend l’accès à la prêtrise pour les hommes mariés.

Le Vif/L’Express : La nouvelle affaire de fuites de documents confidentiels au Vatican a révélé l’ampleur des résistances au changement au sein de la Curie. Un scandale qui affaiblit le pape François ?

Christine Pedotti : Ces manoeuvres visent sans nul doute à le fragiliser. En 2012, Benoît XVI n’a pu résister à une telle pression : les informations fuitaient de partout et le pape n’a pas eu la force physique et morale de supporter cela. La crispation de la Curie romaine n’a pas disparu avec sa démission. Ceux qui ont eu la peau du pape émérite continuent à intriguer. Les uns cherchent, par intérêt personnel, à sauvegarder leur position dominante. D’autres, ultra-conservateurs, entravent tout projet de réforme de l’institution. Pour survivre dans ce monde-là, il faut savoir se servir d’un fusil à tirer dans les coins, car on ne sait jamais d’où viennent les coups tordus. Ainsi, certains ont intentionnellement recommandé au pape actuel des personnes non fiables. Ce n’est pas un hasard si François réside toujours à la Maison Sainte-Marthe : il ne veut pas tomber dans le piège de l’isolement, il veut écouter ce qui se dit en coulisses. Heureusement, le jésuite argentin a un mental de para-commando, forgé par les épreuves de sa vie.

Christine Pedotti
Christine Pedotti© PG

François veut une Eglise plus ramassée et décentralisée. Arrivera-t-il à réformer les structures de l’institution ?

Le pape a l’intention de continuer à secouer le prunier romain. On ne l’a pas pris au sérieux quand, en juillet 2013 à Rio, lors des Journées mondiales de la jeunesse, il a appelé les jeunes à mettre  » la pagaille  » dans les paroisses. Pour François, c’est de la pagaille que naissent les idées et les énergies, c’est dans la pagaille que l’Esprit saint est à l’oeuvre. Le pape est clairement engagé dans la réforme parce qu’il considère qu’il n’y a pas d’autre solution. Il compte décentraliser le pouvoir de l’Eglise, déléguer des responsabilités à des conférences épiscopales continentales ou régionales, ce qui affaiblira la Curie romaine.

Le synode sur la famille, qui s’est achevé en octobre, a lui aussi révélé l’ampleur des blocages au sein de l’Eglise catholique, notamment en Afrique.

Rares sont les évêques non-européens ouverts au changement. Les évêques africains se montrent plus  » romains  » que Rome, du moins en paroles. Car en actes, ils ne donnent pas vraiment l’exemple en matière de pauvreté et de chasteté. L’Eglise d’Afrique est affligée des deux maux dont a longtemps souffert l’Eglise latine européenne : la simonie, ou vente de sacrements et charges ecclésiastiques, et le nicolaïsme, ou incontinence sexuelle des clercs astreints au célibat. L’une des tâches les plus ardues des ambassadeurs du Saint-Siège en poste dans les capitales africaines est de dénicher des prêtres susceptibles de devenir évêques. En cause : les moeurs des candidats potentiels. Les nonces n’ont d’autre choix que d’accepter des prêtres vivant en concubinage, à condition tout de même qu’ils n’aient qu’une femme dans leur vie !

Doit-on en conclure que vous êtes déçue par les résultats du synode ?

Nous, Européens, regrettons un peu que le pape ne se soucie pas plus des situations familiales auxquelles nous sommes confrontés. Nous oublions que François est un pape venu du sud. Sa première préoccupation, à propos de la famille actuelle, ce ne sont pas nos familles occidentales décomposées et recomposées, nos divorcés remariés et couples homosexuels, mais plutôt ces mères courage des pays en développement, qui élèvent seules leurs nombreux enfants dans des conditions d’extrême pauvreté. A Buenos Aires, ce sont ces femmes-là dont il allait laver les pieds. Lors de son récent voyage en Afrique, ce sont ces femmes-là à qui il a rendu hommage.

Vous luttez contre la discrimination des femmes dans l’Eglise. Sur ce plan, les lignes n’ont pas bougé…

La place des femmes dans l’Eglise et d’autres questions anthropologiques essentielles ont été mises de côté lors du synode, comme elles ont été passées sous silence il y a un demi-siècle lors du concile Vatican II. Le discours de l’Eglise reste totalement patriarcal : le pouvoir, de droit divin paraît-il, est aux hommes, et le service aux femmes. On fait l’éloge de la tendresse des femmes, de leur don  » naturel  » pour le soin, afin de mieux les exclure du monde de la décision, au nom d’un Dieu très masculinisé. Evidemment, ce discours patriarcal archaïque est devenu difficile à porter dans le monde de la modernité occidentale, où les femmes échappent à leur prétendue vocation naturelle de  » vierge et mère  » pour devenir juge, flic, ministre, pilote d’avion, patronne des patrons. Ce qui ne les empêche pas d’être femmes, et mères si elles l’ont choisi.

Qu’est-ce qui vous choque le plus dans l’Eglise ?

La marginalisation des femmes est emblématique de la non-représentation des laïcs, de la discrimination envers certains groupes, de la privation de parole. Les fidèles n’osent pas s’exprimer de peur de tirer sur une ambulance, l’Eglise. Il y a un virage clérical de l’institution, avec la prééminence accordée aux prêtres pour faire face à la crise des vocations. Cette  » recléricalisation « , qui redonne au prêtre une situation d’autorité, s’est faite aux dépens des laïcs engagés, qui sont surtout des femmes. Dans les paroisses françaises et belges, les jeunes prêtres sortis des séminaires sont inspirés par le modèle ancien. Mais ces curés en soutane et col romain sont inaudibles dans notre société. Ma nièce de 21 ans regarde mes combats contre la discrimination dans l’Eglise avec tendresse, mais m’avoue qu’elle ne comprend pas pourquoi j’essaie encore de secouer le cocotier.

Féministe et progressiste, vous réclamez un concile Vatican III et vous vous voyez déjà  » cardinale « . Une provocation ?

Quand je déclare que je me verrais bien  » cardinale « , ce n’est pas une boutade. Que dit la tradition ? Originellement, les cardinaux sont le clergé de Rome, donc bien évidemment des hommes ordonnés. Mais, pendant des siècles, des cardinaux ont été désignés qui n’étaient nullement prêtres ou évêques, et Mazarin en est un exemple. Nommer des  » cardinales  » montrerait que des décisions dans l’Eglise peuvent être prises par des femmes. Surtout, cette solution aurait l’avantage de laisser de côté le débat, pas encore mûr, sur l’accès des femmes au sacerdoce. Des femmes participeraient ainsi à l’élection du pape. Cela défriserait, non ? L’idée peut paraître un brin provoc’, mais elle oblige à réfléchir. Pourquoi le pape n’appelle-t-il autour de lui, en son conseil, que des hommes, tous évêques ? Les laïcs n’y ont-ils pas leur place ? A ma connaissance, l’ordination ne rend pas plus intelligent !

Vient de paraître, La Bible racontée comme un roman, par Christine Pedotti (éd. XO, 351 p.). Retrouvez la partie de son interview consacrée à cet ouvrage ici.

Entretien : Olivier Rogeau

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