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Ceci n’est pas la dernière réforme de l’Etat !

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A peine conclu l’accord historique au sujet des textes de la réforme de l’Etat, la N-VA réclame déjà une nouvelle révolution. Le nouveau fédéralisme de coopération à la belge, expliquent des experts, ne réussira qu’à certaines conditions. Ils n’excluent pas un recours, ensuite, à l’article 35 de la Constitution.

Elio Di Rupo n’a que des superlatifs à la bouche pour saluer la sixième réforme de l’Etat, dont les textes ont été finalisés mardi soir. C’est « la plus grande réforme de l’histoire de notre pays », insiste le Premier ministre, elle le « stabilise » et elle le rend « optimiste pour l’avenir du pays ». Désormais, en Belgique, tout est possible y compris la conclusion d’une série d’accords majeurs et la gestion de virages historiques en moins de dix jours : contrôle budgétaire 2013, grandes lignes du budget 2014, répartition de l’effort entre fédéral et entités fédérées, compromis sur le statut ouvriers/employés, abdication du roi et maintenant réforme de l’Etat avec son noeud de la loi de financement. Ouf : voilà un bilan au départ duquel les partis de la majorité comptent bien convaincre l’électeur pour 2014.

Bart De Wever, leader de la N-VA et chantre de l’opposition, n’est évidemment pas sur la même longueur d’onde. Il en a « marre », dit-il, des longues négociations institutionnelles dont « on sort tondu ». « Les francophones ne sont demandeurs de rien et finissent à la longue avec un accord qui vous met à genoux ». Selon lui, il faut négocier sur base de l’article 35 « afin de déterminer ce que nous voulons encore faire ensemble », Flamands et francophones. « Construisons quelque chose qui peut-être fonctionne au lieu de gaspiller sans fin du temps, de l’énergie et de l’argent pour réformer le bric-à-brac de l’Etat ».
C’est dans ce contexte que les facultés universitaires Saint-Louis et la VUB sortent fort opportunément deux ouvrages (1) qui analysent les contraintes européennes qui pèsent sur la réforme de l’Etat et, surtout, les évolutions nécessaires pour que le « fédéralisme coopératif » à la belge fonctionne.

Le constat des auteurs ? Face aux risques de blocages générés par ces nouvelles délégations de compétences, un organe méconnu va être appelé à prendre de plus en plus de place : le Comité de concertation qui réunit le gouvernement fédéral et les entités fédérées. A terme, celui-ci pourrait devenir plus important même… que le Conseil des ministres fédéral . Il sera appelé à déminer les nombreuses bombes à retardement sous forme de conflits de compétences et à forcer des accords de coopération quand c’est nécessaire.

En outre, cette sixième réforme de l’Etat risque bien de ne pas être la dernière tant les appels d’air seront nombreux. Il y aura encore des glissements de compétences, prédisent-ils. Et une évolution à terme vers l’article 35 de la Constitution est loin d’être exclue, ce pourrait être la « prochaine étape ».

Le rôle croissant du Comité de concertation. « Le grand public ne connaît pas du tout le Comité de concertation, souligne Emmanuel Vandenbossche, professeur à la VUB et expert auprès du Comité de mise en oeuvre de la réforme de l’Etat (Comori). On se dit sans doute qu’il s’agit de quelque chose d’informel, que le Premier ministre téléphone quand il le faut aux ministres-présidents, mais non, c’est bien une institution bien organisée. » Avant, souligne-t-il, elle n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent, quelques conflits d’intérêts de temps à autre : si une Communauté ou une Région s’estime lésée par la décision d’une autre entité, elle peut s’en référer au Comité. Mais l’agenda est de plus en plus fourni, précise-t-il. « De nombreux projets de loi y transitent, tous les accords de coopération, les stratégies budgétaires pour déterminer qui paye quoi ou encore toutes les transpositions des directives européennes. » C’est le lieu où se font aussi les comptes rendus des conférences interministérielles qui réunissent les ministres responsables pour les compétences divisées entre différents niveaux de pouvoir. « Avec la nouvelle réforme de l’Etat viendra la nécessité d’une structure élargie qui suivra tout cela en permanence et imposera des accords de coopération, insiste-t-il. Ce sera une institution interfédérale où fédéral, Régions et Communautés sont représentées sur pied d’égalité. A terme, son rôle sera plus important que celui du Conseil des ministres. » Ce sera l’essence même du « fédéralisme de coopération ».

Les contraintes européennes incitent aussi à collaborer. « Oui, il y a une ingérence de l’Union européenne dans la façon dont la Belgique gère ses compétences, souligne Sébastien Van Drooghenbroeck, des facultés universitaires Saint-Louis. C’est un phénomène émergent, il y aura encore beaucoup d’interférences par la suite. » Il signe à titre d’exemple les décrets flamands sur l’assurance-dépendance pour les personnes âgées ou le « Women in eigen streek », tous deux mis à mal par la Cour européenne de justice parce qu’ils vont à l’encontre de la libre circulation des personnes. « La Cour européenne est aveugle sur la répartition des compétences entre le fédéral, les Régions et les Communautés, dit-il. Ce qui lui importe, c’est le respect des traités et des directives européennes. » Là aussi, le rôle du Comité de concertation aura un rôle croissant à jouer avec la nouvelle réforme de l’Etat. De même que la Cour constitutionnelle sera sans doute appelée plus encore qu’aujourd’hui à inciter les différentes parties du pays à collaborer. « Il faut, par exemple, se rendre compte que les contraintes européennes sont réelles en matière de fiscalité. »

L’article 35 de la Constitution ?Une possibilité, mais… une bombe aussi. Le risque est grand, souligne Hugues Dumont des facultés Saint-Louis, que le nouveau système mis en place par la sixième réforme de l’Etat génère des blocages. Nous sommes dans un « fédéralisme de la méfiance » : de nombreux mécanismes sont « verrouillés » par des lois spéciales, les recours à des instances juridiques sont de plus en plus nombreux, la complexité du système rend les processus de décision épineux. C’est précisément l’un des argumentaires de la N-VA qui veut tout simplifier via l’article 35 de la Constitution.

« Quand on parle de l’article 35 de la Constitution, on pense tout de suite au confédéralisme, mais ce n’est a priori pas le cas, insiste Emmanuel Vandenbossche. L’article 1 de la Constitution rappelle que la Belgique est un Etat fédéral. Oui, l’article 35 pourrait être la prochaine étape, cela pourrait rendre des choix plus clairs, mais cela ne résoudra rien malgré tout car il n’y a pas de hiérarchie des normes dans notre pays, que l’Etat fédéral serait quand même amené à intervenir dans certains domaines. » Bref, la coopération belgo-belge serait quand même indispensable ! « On fétichise cet article 35″, estime Sébastien Van Drooghenbroeck. Mais on pourrait arriver à la même chose sans passer par là, à force de transférer des compétences aux entités fédérées. » « Si l’article 35 est pris dans un sens destructeur, avec la volonté de laisser le minimum minimorum au niveau fédéral, c’est tout de même une bombe à retardement », estime Hugues Dumont.

Le vrai danger : il est budgétaire. « Ce n’est pas tellement l’article 35 qui est un danger pour l’avenir du pays, conclut Emmanuel Vandenbossche. La véritable bombe, c’est la santé budgétaire du fédéral qui pourrait se retrouver, à terme, incapable de faire face à certaines dépenses. La charge des pensions des fonctionnaires, par exemple. »Surtout dans un contexte où les Régions et Communautés disposeront d’une masse budgétaire plus importante que le fédéral et de la capacité à lever l’impôt…

La sixième réforme de l’Etat incitera les entités belges à coopérer davantage, oui. Encore faut-il qu’elles en aient la volonté politique. Quant à la stabilité de l’Etat, visiblement, elle est loin d’être garantie.

(1) « Contraintes européennes et réformes de l’Etat », Emmanuel Vandenbossche, Sébastien Van Drooghenbroeck (éds), éd. La Charte, 424 pp.

« Evolutions dans le fédéralisme coopératif belge », Emmanuel Vandenbossche (ed.), éd. La Charte, 154 pp.

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