Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB, et Marie-Hélène Ska, son homologue de la CSC. © Tom Verbruggen

 » Ce que prétend ce gouvernement est malhonnête « 

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Avant la grande manifestation syndicale nationale, ce jeudi, Marc Goblet, secrétaire général de la FGTB, et Marie-Hélène Ska, son homologue de la CSC, expliquent longuement les raisons de la mobilisation, de son calendrier et de son ampleur. Entretien avec deux chefs de file syndicaux très très en colère contre le nouveau gouvernement fédéral.

Levif.be : Pourquoi se mobiliser si vite et si fort ?

> Marc Goblet : Que constate-t-on dans le programme du gouvernement ? Sur 11,2 milliards d’efforts budgétaires, il y a 8,2 milliards qui seront réalisés sur les dépenses, qui vont essentiellement sur deux postes. D’une part, le fonctionnement de l’Etat, les secteurs publics, dans lequel on retrouve des diminutions de dotations pour la SNCB, et d’autre part, une diminution de 5,7 milliards sur la sécurité sociale, dont pratiquement 2,5 milliards sur les soins de santé. Dire que cela n’affectera pas les patients, il n’y a que ceux qui le disent qui peuvent le croire, c’est impossible.

On constate en outre que toute la concertation sociale est bafouée puisqu’ils ont décidé un saut d’index, de revoir les barèmes, de réviser la loi sur la compétitivité en introduisant des critères pour contester et éventuellement corriger les conventions convenues. Ils touchent à ce qui relèvent de l’accord interprofessionnel comme les prépensions à 56 ans dans le travail de nuit et le secteur de la construction. Ou le relèvement de l’âge de la pension avec une série de mesures concernant le calcul de la pension. Dans le domaine du chômage, suppression du complément chômeurs âgés, révision des garanties de revenus pour les temps partiels… On est dans une situation comme on n’en a jamais connu.

Donc, quand on vous dit que la concertation reste ouverte, ce serait factice ?

M. G. :Ils ont dit qu’ils ouvriraient la concertation après le vote à la Chambre, on est toujours en attente. Au stade actuel, il n’y a aucun appel à la concertation. On a mis tout ce que le patronat voulait. Pour les travailleurs, ils sont autistes. C’est clairement inacceptable pour nous. On n’avait pas d’autre solution que d’organiser rapidement une riposte qui vise à les obliger à avoir une autre attitude par rapport aux travailleurs.

On parle de 11,2 milliards d’économies. Le gouvernement Di Rupo a fait le double !

Marie-Hélène Ska : Ce qui nous fait réagir, c’est que nous sommes conscients que ce n’est pas un mauvais moment à passer et puis qu’après, cela ira mieux. On sent que nous sommes dans un approfondissement de la crise de confiance entre l’Etat et les citoyens, on sent qu’il y a de plus en plus de personnes précarisées, mises hors-jeu, qui ne montent pas dans le wagon de la mondialisation… La première chose que ce gouvernement fait quand il arrive, c’est non seulement de culpabiliser tous ceux-là, mais il démantèle en outre toute une série de fonctions collectives. Cela passe par la sécurité sociale, les chemins de fer, la Poste, la justice, la culture etc. Ce qui constituait jusqu’ici les remparts des plus faibles pour rester à bord, on l’abat.

Une lame de fond, en somme ?

M.-H. S. : Oui, c’est une lame de fond d’une société dans laquelle il n’y a plus que l’individu qui compte, si possible s’il réussit tout seul. Je ne suis pas d’accord de dire que l’on réagit vite. Nous avons prévenu, averti à plusieurs reprises en disant qu’ils allaient dans le mur, que les logiciels économiques sur lesquels ils se basent sont des logiciels dont on sait depuis longtemps qu’ils ne fonctionnent plus, qu’ils ne donnent pas de résultats… C’est tout ce qui a été mis en place en Allemagne il y a dix ans et dont on paye le prix aujourd’hui avec 2,9 millions de travailleurs qui sont dans des contrats précaires. On en arrive à une société où le travail est réduit à son statut de marchandise.

Je prends une mesure dont on n’a pas beaucoup parlé jusqu’à présent. Quand on convertit le travail étudiant en heures plutôt qu’en jours, à raison de 400 heures par an, cela veut dire que des secteurs entiers pourront travailler avec le travail étudiant, mais cela veut dire aussi que ce sera pour eux la seule porte d’entrée dans le monde du travail. Aux Etats-Unis, aujourd’hui, on a 36 000 retraités qui payent encore le prix de leurs études. On se dirige vers une société où le ticket d’entrée est quasiment impayable pour une série de personnes, dont les jeunes qui n’ont pas la chance de venir de milieux favorisés, mais qui en plus n’offre guère de perspectives et d’espoirs.

Ce n’est évidemment pas le modèle de société qui est le nôtre et c’est cela qui nous fait réagir, cela qui fait que la colère est aussi importante aujourd’hui. Ce n’est pas uniquement le fait que l’on va toucher un peu à la préretraite, un peu à l’index, c’est que l’horizon est bouchon et que le gouvernement reste profondément autiste par rapport à ce que l’on met sur la table. Il nous dit : attendez, on va vous expliquer, vous aller pouvoir jouer à la marge… Ce n’est pas de cela dont il s’agit aujourd’hui, c’est de débloquer la société dans laquelle on vit qui a été durement marquée par la crise de 2008-2009. Tous les rapports disent que c’est grâce aux stabilisateurs économiques que sont la Sécurité sociale et d’autres amortisseurs que l’on s’en sort moins mal que d’autres pays. Or, c’est tout cela qui est mis à mal.

Mais on a l’impression que cette majorité se reçoit par principe toute la colère alors que le gouvernement Di Rupo a fait tout autant…

M.-H. S. : Nous avons contesté à l’époque les mesures prises par le gouvernement Di Rupo, notamment sur la dégressivité des allocations de chômage ou la limitation dans le temps des allocations d’insertion. Mais il y a deux différences importantes. La première, c’est que lorsque pendant des années, vous avez dit à des institutions qu’elles ne pouvaient plus embaucher, que vous avez bloquer leur dotation, leurs investissements… il arrive un moment où ce n’est plus possible et nous sommes au moment où ce n’est plus possible. On ne peut plus continuer à dire que l’on va diminuer les dotations de fonctionnement de la Sécurité sociale de 20 % par an. Au bout de cinq ans, il ne reste plus rien… On est dans du démantèlement pur et dur des institutions, de libéralisation complète des fonctions collectives.

La deuxième, c’est que nous plaidons depuis longtemps pour un shift fiscal, pour pouvoir aller chercher des millions et des milliards en recettes à faire. Et pas pour alourdir la contribution sur les travailleurs, mais pour faire contribuer toute une série de revenus qui ne contribuent pas aujourd’hui. C’est malhonnête de nous présenter aujourd’hui un saut d’index dit « intelligent » ou « social » qui sera financé par des accises.

Ce sont ces éléments-là de malhonnêteté de raisonnement qui sont insupportables.

M. G. : Il faut quand même rappeler que le gouvernement précédent, à part les atteintes aux chômage, s’est battu pour le maintien de la sécurité sociale dans son essentiel qui a permis de traverser la crise. On a maintenu les principes de l’index, des barémisations et on n’a jamais touché à la loi de 1996, ce qui a permis de maintenir une négociation dans les entreprises. Ici, ils vont des pas plus loin puisqu’ils ne respectent même plus le principe de base de la formation des salaires : l’indexation, la barémisation, le fait de laisser la concertation voir s’il y a une marge possible à négocier en fonction de l’écart avec la France, les Pays-Bas et l’Allemagne. On casse d’une manière très forte le principe même de la concertation, ce qui est évidemment inacceptable pour nous. On nous dit qu’il y a trente endroits dans l’accord où la concertation est possible, mais quand on demande ce qui restera vu la précision de l’accord… Ce n’est pas praticable.

On donne une réduction de charges de 3,3 milliards aux entreprises, sans aucune contrainte pour elles de maintenir ou créer de l’emploi. La FEB dit clairement qu’elle ne donnera aucune garantie à ce sujet-là. Quelle est la marge pour créer de l’emploi ? Quand ils parlent de la formation des jeunes, dès le départ, le problème, c’est que l’on n’a pas d’entreprises pour les engager ! Nous sommes dans un jeu de dupes, il faut bien comprendre ça.

Ce que nous ne pouvons pas accepter, c’est qu’on va nous dire que nous sommes des agitateurs sociaux. Moi, je veux dire clairement que ceux qui ont la responsabilité, ce sont les employeurs qui se mettent dans un fauteuil par rapport à tout ce qui leur est apporté par le gouvernement et un gouvernement qui ne tient absolument pas compte de ce qui peut être apporté du côté des travailleurs, des allocataires sociaux. Introduire comme ils veulent le faire une concertation sur une base tripartite, avec les interlocuteurs sociaux et le gouvernement, c’est du jamais vu ! Une concertation, c’est d’abord entre représentants des entreprises et des travailleurs qui formulent des propositions au gouvernement. S’il n’y a pas d’accord, il faut un arbitrage politique. Mais on n’en est pas là aujourd’hui !

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