© BELGA

Ce qu’il faut retenir du « procès des hébergeurs »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

La première partie du « procès des hébergeurs » s’est clôturé vendredi passé par les plaidoiries des avocats de la défense. Le jugement sera rendu le 12 décembre prochain. Retour sur ce procès retentissant.

La semaine dernière s’est tenue la première partie du « procès des hébergeurs ». Un procès suivi de près par les associations d’aides aux migrants et les nombreux bénévoles belges. Pour cause : sur le banc des accusés se trouvaient réunis citoyens belges qui avaient hébergé ou étaient venus en aide à des migrants, personnes illégales et présumés passeurs. Ils sont, au total, douze à être poursuivis pour « trafic d’êtres humains » et « participation à une organisation criminelle ».

Ce dossier instruit par le parquet de Dendermonde réputé pour être l’un des plus stricts du pays est très sensible. Il a été rebaptisé par les plateformes citoyennes de soutien aux réfugiés « le procès de la solidarité » car elles le voient comme une tentative du gouvernement de criminaliser l’aide aux migrants présents sur le territoire belge.

Dans son réquisitoire, le parquet a d’ailleurs insisté sur sa complexité. A son origine : des observations de la police effectuées sur le parking de Wetteren, situé en Flandre-Orientale. Le nombre inhabituel de PV dressés pour trafic d’êtres humains mèneront à l’ouverture d’une enquête reposant principalement sur des écoutes téléphoniques. Les enquêteurs identifient nonante-cinq victimes, dont dix mineurs, et découvre via les conversations d’un des prévenus – qui a réussi entretemps à rejoindre la Grande-Bretagne – l’implication en cascade des autres personnes inculpées. Sur leur demande – la majorité est francophone ou ne comprend pas le néerlandais – le dossier a été transféré à Bruxelles.

« Un procès crucial »

Dans ce contexte tendu, le procureur a reconnu que le procès « bien qu’il ne soit pas le premier pour trafic d’êtres humains (…) est crucial. Car il pourrait conditionner le comportement d’un certain nombre de personnes qui s’occupent des migrants dans notre pays« .

Et c’est bien cet éclaircissement « crucial » qui était attendu avec intérêt par l’audience tout comme une définition plus précise de l’aide humanitaire en Belgique, face au délit de « trafic d’êtres humains ». Le parquet pour tenter de mettre fin à la confusion qui règne à ce sujet est revenu sur la loi sur les étrangers de 1980, qui définit le trafic d’êtres humains (art 77bis) et l’aide à la migration illégale (art 77).

Les deux procureurs ont rappelé qu’il y avait trois catégories de personnes à différencier: les migrants, qui sont des victimes, les « aidants », comme les hébergeurs, et les trafiquants d’êtres humains. « Ce que nous appelons l’aidant est une personne qui facilite l’entrée, le séjour ou le transit d’une personne en séjour illégal. C’est interdit, mais il y a une exception lorsque l’aide est offerte pour des raisons humanitaires », ont exposé les magistrats. « Les poursuites judiciaires qui concernent les personnes présentes ici sont uniquement (liées à) des faits de trafic d’êtres humains, donc la troisième catégorie de personnes. Le trafiquant d’êtres humains facilite l’entrée, le séjour ou le transit d’une personne en séjour illégal, en vue d’obtenir un avantage patrimonial« , ont-ils affirmé.

L'ouverture du procès des hébergeurs à Bruxelles, le 6 septembre dernier.
L’ouverture du procès des hébergeurs à Bruxelles, le 6 septembre dernier.© Belga

« Un amalgame »

Autre élément important à souligner qui a eu le don de susciter la surprise et un certain soulagement dans l’assemblée: la procureure a reconnu « l’erreur » du parquet de Dendermonde qui a inculpé les douze prévenus sous les mêmes chefs de trafic d’êtres humains et d’organisation criminelle sans faire de distinction entre leurs profils. « Cette décision a suscité un amalgame, un mélange. » Ajoutant : «  On nous accuse de criminaliser l’hébergement. Ce n’est pas le cas. Nous ne voulons pas faire peur aux hébergeurs. À ces citoyens qui donnent sans compter. Des repas, des soins médicaux, des chaussettes, des nuits, du réconfort, de l’aide à ceux qu’ils appellent leurs « amigrants ». L’absence d’une véritable politique migratoire dans ce pays… C’est ça qui a poussé des citoyens parfois mal informés à franchir une limite, à l’insu de leur bonne volonté. »

La procureure tempère: « Mais… Dans l’hébergement comme dans tout, l’angélisme ne peut être de mise. Aujourd’hui, grâce à ce procès, nous souhaitons que les familles puissent y voir plus clair pour pouvoir continuer à accueillir. »

Deux acquittements requis

Pour les procureurs, sept des prévenus, dont Mahmoud et Hussein que nous avons rencontrés (lire leur parcours ici), sont des trafiquants d’êtres humains et ont agi de manière organisée. Ils sont définis comme «  des victimes de trafic qui en sont devenues les auteurs en considérant que la fin justifie les moyens« . Les procureurs estiment que des infractions pénales ont été commises par les inculpés qui font « bel et bien partie d’un réseau, mais qui n’est pas spécialement lucratif et qui n’est pas non plus une mafia installée depuis plusieurs années« . Ils demandent par ailleurs une requalification de la prévention d’organisation criminelle en association de malfaiteurs. Jusqu’à 40 mois de prison sont requis à leur encontre.

Les cinq autres prévenus sont considérés par les procureurs comme co-auteurs du trafic d’êtres humains, et n’ont pas agi dans le cadre d’une organisation ou d’une association. « Ils ont permis de faciliter le travail des passeurs en apportant une aide à ceux-ci« , ont-ils estimé. Il leur est reproché notamment d’avoir prêté des outils de communication tout en sachant que c’était pour organiser des passages de migrants vers la Grande-Bretagne contre rémunération. Autre reproche formulé: avoir indiqué des parkings routiers sur des cartes, en étant conscients que c’était pour aider des migrants à monter dans des camions vers la Grande-Bretagne contre rémunération.

Le parquet a demandé l’acquittement de deux citoyens belges qui avaient hébergé des migrants chez eux entre janvier et mai 2017 – la rédactrice en chef du Marie Claire Belgique Anouk Van Gestel et Walid, un Tunisien installé depuis près de 20 ans en Belgique, – car il n’est pas prouvé qu’ils ont apporté une aide aux passeurs.

Pour les deux autres bénévoles belges, cette aide est toutefois bien avérée. Le parquet a requis des peines légères pour la journaliste Myriam Berghe, journaliste au magazine Femmes d’Aujourd’hui et Zakia S., une assistante sociale bénévole du parc Maximilien, par exemple une suspension du prononcé. Le parquet estime en effet que toutes deux ont apporté une aide à des migrants qui exerçaient une activité de passeur et qui faisaient du trafic d’êtres humains. « En prêtant son GSM et son ordinateur à Hassan E., madame Berghe a été complice des agissements de ce dernier, lequel a participé à des activités de trafic d’êtres humains », a avancé le ministère public, précisant que celle-ci savait que Hassan E. aidait des migrants à franchir les frontières. Une peine de 20 mois de prison a été requise à l’encontre de ce dernier.

Actions contre la criminalisation des migrants et des hébergeurs devant 25 commissariats
Actions contre la criminalisation des migrants et des hébergeurs devant 25 commissariats© BELGA/Ophélie Delarouzée

« Un parquet plus humain »

Plusieurs avocats de la défense ont dit apprécier que le parquet de Bruxelles se soit montré plus humain que le parquet de Dendermonde qui avait au départ instruit le dossier. Plusieurs avocats ont ainsi tenu à exprimer cette reconnaissance vendredi, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles, avant de plaider chacun pour leur client en particulier.

« J’ai mesuré le chemin parcouru quand j’ai entendu le réquisitoire hier. Il a fallu qu’on arrive à Bruxelles pour qu’on entende que la détention des prévenus a été beaucoup trop longue. C’était impossible d’arriver à un moment de vérité là-bas à Termonde, vu la manière dont les débats se sont passés en chambre du conseil », a avancé Me Dimitri de Béco, avocat d’un des prévenus.

D’autres avocats de la défense ont également affirmé avoir été rassurés par un réquisitoire « infiniment plus nuancé », « plus juste » ou encore « plus humain » que la position adoptée au stade de l’instruction par le parquet de Dendermonde.

Les avocats de la défense ont soulevé, comme l’a également fait le ministère public la veille, l’absence d’une politique migratoire claire en Belgique ainsi que la complexité de la vie des migrants. Certains sont à la fois exploiteurs et exploités dans le trafic d’êtres humains, avait fait remarquer le parquet.

Plusieurs prévenus l’ont expliqué: ils ont, à quelques reprises, accepté de faire monter des migrants comme eux dans des camions vers la Grande-Bretagne, contre un peu d’argent pour vivre. Ils espéraient également pouvoir un jour traverser la frontière vers ce pays. L’un d’eux avait aussi déclaré dans des conversations téléphoniques qu’il souffrait et ne voulait plus faire ce « travail ».

« Je me suis comportée avec eux comme avec mes amis »

Vendredi, les prévenus ont eu droit à la parole en dernier lieu. La journaliste Myriam Berghe, contre laquelle le parquet réclame une peine légère pour complicité de trafic d’êtres humains, a parlé d' »égalité de traitement ». « Je me suis comportée avec eux comme avec mes amis. J’estimais que je ne devais pas leur poser tout un tas de questions: quoi? Où? Comment? », a souligné celle qui a hébergé plusieurs migrants chez elle.

« Le mot ‘trafiquant d’êtres humains’ est trop lourd à porter« , a pour sa part déclaré Zakia S., bénévole du parc Maximilien. Le parquet réclame contre elle aussi une peine légère pour complicité de trafic d’êtres humains. « Je n’arriverais pas à avancer avec cela. Le trafic d’êtres humains, c’est exploiter la misère des gens. Ce n’est pas ce que j’ai fait. Je n’ai pas compris ce qui m’est arrivé. Ce n’est pas ce que je suis. Je trouverais ça dramatique d’être condamnée« , a-t-elle dit.

Enfin, les migrants prévenus d’avoir agi à plusieurs occasions comme auteurs d’un trafic d’êtres humains ont exprimé leur gratitude envers les Belges qui les ont accueillis. Ils ont aussi dit souhaiter que « la Belgique continue d’accueillir des gens comme nous ».

Le jugement sera rendu le 12 décembre prochain à 9h00.

Myria partie-civile : un procès dans le procès

Myria, le Centre fédéral Migration, s’est constitué partie civile contre neuf personnes dans ce dossier. Aucune d’entre elles n’est belge. Dans la foulée, l’organisme indépendant a été traité de « raciste », et notamment par l’avocate de l’un des prévenus qui s’est exprimée à l’entame du procès mercredi matin: « Ça fait tache quand on est la soeur jumelle d’Unia (le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, NdlR) « , a déclaré Selma Benkhelifa, avocate de Walid, un Tunisien en situation régulière sur le territoire belge qui a passé huit mois en prison et contre lequel Myria s’est constitué partie civile. L’avocate évoque un « racisme institutionnalisé » dans le chef de l’institution fédérale. Certains de ses collègues pensent porter plainte contre Myria auprès d’Unia.

Au cours de leur plaidoirie, les deux avocats de Myria ont justifié cette constitution de partie civile partielle : « On nous a reproché d’être racistes, parce que nous ne nous constituons pas partie civile contre les deux prévenues belges et la prévenue belgo-marocaine, mais bien contre tous les autres. Rassurez-vous : cela fait plus de 15 ans que l’on s’occupe de ce genre de dossiers. Et nous avons étudié celui-ci avec soin », a déclaré devant le tribunal Me Luc Arnou.

Chaque année, le centre qui a pour mission légale de stimuler la lutte contre le trafic d’êtres humains dit se constituer partie civile dans une dizaine de dossiers de traite ou de trafic d’êtres humains.

Lire aussi: « L’histoire de Mahmoud, Hussein et Hassan, 3 migrants inculpés dans le « procès des hébergeurs »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire