Léonard Maistriaux

Carte blanche: clarifier la loi, une exigence de démocratie

Léonard Maistriaux Etudiant en droit (UCL)

« L’homme ne s’était pas attendu à de telles difficultés, il avait pensé que la Loi devait être accessible à tout le monde et en tout temps« . Ainsi s’exprimait, en 1925, l’écrivain tchèque Franz Kafka dans son célèbre livre « Le Procès« . Par ces lignes, il illustrait déjà les problèmes d’incompréhension des citoyens face aux lois.

A l’heure actuelle, un célèbre adage dit que « Nul n’est censé ignorer la loi « . Mais qui connaît réellement la loi ? Les lois sont devenues tellement nombreuses, longues et complexes que seuls les juristes, ceux qui ont consacré au minimum 5 années de leur vie à étudier le droit, connaissent la loi et son application. Et encore. Dans un monde réglementaire de plus en plus diversifié, chaque juriste doit se spécialiser dans un domaine particulier et « ne connaît la loi » que dans ce domaine.

C’est donc dans les mains d’une certaine caste de la population, les juristes, que se concentre la connaissance des règles auxquelles tout citoyen est astreint. Ce constat est troublant dans notre État qui se dit « de droit » : personne n’est censé ignorer la loi, mais presque personne ne la connaît !

Certes, si la loi est complexe, c’est qu’elle recouvre une réalité qui l’est de plus en plus également. Il est indéniable que le monde dans lequel nous vivons se transforme sous le coup de la technologie et de la mondialisation et que la loi ne fait qu’épouser cette réalité changeante.

Il faut également reconnaître que le nombre toujours croissant de lois répond à une demande sociale. Les politiques sont de plus en plus soumis à la pression de l’opinion publique et sommés par la société d’agir dès qu’un nouveau problème surgit. Considérant leurs faibles marges de manoeuvres, une des seules actions possibles des politiciens est la création de lois.

Personne n’est censé ignorer la loi, mais presque personne ne la connaît !

En période de crise de confiance envers les institutions et le monde politique, clarifier la loi contribuera à redonner de la foi et de la crédibilité au système. Clarifier la loi, ce n’est pas seulement un témoignage de respect envers les citoyens qui en sont destinataires, c’est aussi et surtout une exigence de démocratie.

Un effort important peut être fourni en vue de davantage de clarté de la loi, et ce, tout en lui conservant la précision nécessaire. Clarifier les lois permettra d’améliorer leur compréhension par les citoyens. Ce travail doit être réalisé par tous les « acteurs de la loi » : du créateur (le législateur) aux praticiens (les juges et les avocats).

Commençons par le législateur. La clarification des lois est de sa responsabilité première. L’exemple de celui qui crée la loi pourra ensuite inspirer ceux qui la mettent en pratique.

Montesquieu évoquait déjà la nécessaire « simplicité des lois civiles et criminelles« . Or, en Belgique, le nombre de pages de textes légaux et réglementaires qui sont publiés par an a presque quintuplé entre 1950 et 2010. À l’heure actuelle, de plus en plus de lois n’ont pas un intitulé explicite. Pour que le citoyen puisse s’y retrouver, pourquoi ne pas proposer un bref résumé en langage clair de chaque loi ou règlement adopté par le législateur ? Ce faisant, tout un chacun pourrait aisément comprendre quelles règles ont été adoptées et quelles en sont les conséquences pour lui.

Souvent les décisions de justice sont hermétiques, trop complexes et déconnectées de la réalité de leurs destinataires premiers, les citoyens.

Parlons ensuite des juges. Souvent les décisions de justice sont hermétiques, trop complexes et déconnectées de la réalité de leurs destinataires premiers, les citoyens. Le langage obscur des décisions de justice pourrait être considéré comme une manière d’asseoir l’autorité du pouvoir judiciaire. Toutefois, c’est l’effet inverse qui se produit : la justice est discréditée et s’éloigne du citoyen (qu’on appelle de manière distante le « justiciable«  dans le jargon judiciaire). Ici encore, un effort peut être fait pour reconnecter les institutions au citoyen et pour favoriser l’accès à la justice. Tout juge devrait être conscient qu’il a deux missions : sa tâche juridique, qui consiste à raisonner et à trancher le litige sur la base du droit, et sa tâche pédagogique, qui consiste à se faire comprendre par son interlocuteur. En jugeant, le juge ne doit pas étaler sa science juridique et donner un cours de droit au citoyen, mais veiller à être clair afin d’être compris par son destinataire. Ensuite, il faudrait imposer une structure aux jugements : distinguer clairement les arguments des parties de la décision finale du tribunal. Enfin, pourquoi ne pas bannir purement et simplement la multitude d’expressions désuètes (telles que « attendu que  » et « surseoir à statuer « ) et les remplacer par des locutions simples voulant dire la même chose (telles que « étant donné que  » et « attendre avant de juger « ) ?

Intéressons-nous enfin aux avocats. Etant le lien le plus évident entre le citoyen, les lois et les institutions, l’avocat doit veiller à correspondre le plus possible à la réalité de son client. Or, bien souvent, l’avocat utilise un langage trop compliqué pour le commun des mortels, renforçant un sentiment d’infériorité dans le chef du client. Il y va de l’intérêt des avocats eux-mêmes de changer cela car, selon un sondage canadien de 1993, 50 % des clients dont les avocats parlaient en jargon juridique ne voulaient pas retourner les voir ou leur envoyer de nouveaux clients. Concrètement, les avocats devraient, dans leur relation avec leurs clients, veiller à ce que ceux-ci comprennent effectivement la situation qui les concerne. Cela se réalise par le biais d’une meilleure communication : en vulgarisant les concepts juridiques, en écrivant des phrases et des paragraphes courts et en évitant les formalités inutiles.

Clarifier les lois et améliorer la compréhension par les citoyens demeure un idéal et, comme tout idéal, est souvent invoqué mais jamais atteint. C’est toutefois notre travail de juriste d’apporter notre pierre à l’édifice afin de progresser vers une plus grande compréhension des lois par les citoyens, ce qui est indispensable à la démocratie, à l’État de droit et à la cohésion du corps social.

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