Carles Puigdemont © Getty Images

Carles Puigdemont de retour en Belgique: « Le nationalisme représente un danger pour l’Europe »

Le Vif

À présent qu’il est de retour en Belgique, l’ancien ministre-président catalan Carles Puigdemont parle de sa période en captivité en Allemagne et de l’avenir de son mouvement d’indépendance. « Notre mouvement n’a pas besoin de leader. »

À l’automne 2017, Carles Puigdemont accède à la célébrité: en tant que ministre-président de Catalogne il a fait organiser un référendum sur l’indépendance de la Catalogne, malgré une interdiction constitutionnelle. Il a été accusé de « rébellion », avant de détaler en Belgique. Six mois plus tard, il a été arrêté à la frontière allemande après qu’un mandat d’arrêt européen ait été délivré contre lui, et enfermé quelques jours en prison. Entre-temps, il réside à nouveau dans notre pays d’où il veut continuer à mener la lutte pour l’indépendance.

Vous avez passé quatre jours dans une prison allemande. Comment avez-vous vécu cette période?

Carles Puigdemont: Cela peut sembler surprenant, mais c’était une expérience enrichissante, tant sur le plan humain que politique. Je n’ai pas eu de rencontres désagréables en Allemagne, tout le monde était respectueux et poli, même les gens qui ne partageaient pas mon opinion.

Vous voulez probablement dire par là qu’il n’en va pas de même en Espagne, alors que ce pays est aussi un état de droit.

Malheureusement, ce n’est pas pareil là-bas. Le système judiciaire espagnol a plus de défaillances. Un exemple : le juge qui doit décider de mon appel était sénateur pour le Parti populaire. Une telle personne n’est pas digne de confiance, non ? D’accord, on peut bien se rendre à la Cour européenne, mais en attendant un jugement qui vous donne raison on peut passer des années en prison.

Pourquoi êtes-vous revenu en Belgique?

Nous avons conclu que pour notre cause le plus utile est d’installer dans notre quartier-général dans la capitale européenne. Dans tout ce que j’ai fait depuis l’automne dernier, je n’ai rien fait pour moi. Je suis animé par mon sentiment de responsabilité pour la Catalogne.

Vous avez échappé à votre responsabilité en fuyant à l’étranger.

Si j’avais agi par motivation personnelle, je serais passé dans la clandestinité. J’ai uniquement utilisé ma liberté personnelle pour poursuivre mon objectif politique. J’ai voyagé au Danemark, en Suisse, et en Finlande pour y parler. Je continuerai à le faire.

Beaucoup de vos partisans sont en prison. Grâce à votre fuite, vous êtes un homme libre.

Je ne trouve pas ça amusant, mais je n’aime pas me trouver en exil non plus. J’ai, comme les autres au sein de notre mouvement, quitté le pays parce qu’il n’y avait pas de liberté d’expression totale et que nous n’avons pas de garantie d’un procès correct.

Vous avez réussi à faire connaître la question catalane dans le monde entier. Cela vous rend-il fier ?

Je n’ai pas de mérite. Deux phénomènes se sont rejoints : la forte mobilité de citoyens et la nouvelle technologie de l’information. Ce qui serait caché il y a quelques décennies est à présent diffusé dans le monde entier.

Vous êtes le visage de la Catalogne dans le monde. Cela vous plaît ?

Pas du tout. Ce n’est pas ce que je souhaite être, et cela ne rendrait pas justice au mouvement catalan. Nous n’avons pas besoin de leader et pas de martyr. Je mène une vie retirée.

Malgré votre travail, l’idée d’une république indépendante de Catalogne ne suscite guère la sympathie dans l’Union européenne.

Cela ne m’a pas étonné. J’ai toujours dit que personne ne nous reconnaîtrait. Ce qui m’a profondément déçu, c’est le silence après les violences policières le jour du référendum.

En organisant ce référendum, vous avez enfreint la constitution espagnole.

Je n’ai pas enfreint la constitution. La Cour constitutionnelle a enfreint la constitution en 2010 en se retournant contre notre statut autonome catalan, bien qu’en 2006 il ait été approuvé par 74% de la population.

Comment la Cour constitutionnelle peut-elle enfreindre la constitution?

Évidemment que c’est possible, et pas le moins parce que les juges doivent leur poste aux politiciens. Par ailleurs, la Cour constitutionnelle espagnole n’interdit nulle part le référendum.

Comment êtes-vous devenu combattant pour la cause catalane?

J’avais treize ans quand Franco est mort. Son décès a correspondu à mon entrée dans la vie adulte. Sous la dictature, on ne pouvait de toute façon pas exprimer son opinion. Au lieu de me plaindre, je pouvais faire quelque chose pour mon pays natal la Catalogne.

Vous avez toujours voulu un état indépendant?

Je n’ai jamais été et je ne suis pas pour une rupture dure. J’ai toujours voulu une Catalogne indépendante, mais comme résultat d’un processus démocratique, et sans violence.

Pourquoi? Le nationalisme est une idéologie du dix-neuvième siècle.

Nous ne parlons jamais de nationalisme, nous parlons de souveraineté. En Catalogne, nous ne parlons pas d’une lutte classique pour l’indépendance. Si le but avait été de fonder un nouvel État-nation, nous aurions pu le faire bien plus tôt. Le nationalisme est un danger pour l’Europe.

Finalement, vous voulez votre propre état: c’est ça le nationalisme.

Nous voulons un état indépendant en forme de république. Et nous croyons à une identité européenne. La majorité des Catalans serait d’accord pour l’autonomie et le passeport européen.

En tant que région autonome, la Catalogne a déjà des compétences très poussées. Pourquoi voulez-vous encore devenir indépendant ?

L’autonomie des régions espagnoles est purement administrative. Et nous les Catalans, nous devons, tout comme les Basques, comprendre que nous ne pouvons pas changer l’État espagnol.

Vous prétendez parler au nom des Catalans, mais au moins la moitié d’entre eux souhaite rester en Espagne.

Aux élections régionales, au moins la moitié ont voté pour des partis qui luttent pour l’indépendance.

Cette lutte n’a-t-elle pas divisé les gens et les familles?

On pourrait aussi bien dire que c’est l’unité de l’Espagne qui nous éloigne les uns des autres. Nous ne rendrions pas service à la démocratie en taisant les problèmes, rien que pour éviter le conflit. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de mécanisme pour le résoudre. En démocratie, les urnes sont le seul outil qui fonctionne.

Le nouveau Premier ministre socialiste Pedro Sánchez a relancé les négociations avec Barcelone, ne représente-t-il pas la meilleure chance d’une solution ?

Sánchez aussi a voté pour le placement sous curatelle de la Catalogne au sénat. Il n’y a qu’un seul parti en Espagne qui plaide en faveur d’un référendum contraignant en Catalogne, et c’est le Podemos de gauche. Mais c’est vrai : ce gouvernement socialiste fait souffler un vent différent.

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