Pascal De Sutter

Canonisations: Faut-il glorifier ceux qui ont déjà connu la gloire?

Pascal De Sutter Psychologue politique à l'UCL

La canonisation de deux papes semble faire l’unanimité dans la sphère bien-pensante. On y voit même un fin calcul politique et diplomatique: Jean XXIII serait bien vu de l’aile progressiste de l’Eglise tandis que Jean-Paul II serait apprécié des plus conservateurs. De quoi garder l’église au milieu du village.

Or, dans les faits, Jean XXIII était plutôt quelqu’un de conservateur tandis que Jean-Paul II s’est montré progressiste à bien des égards. Cela montre déjà la grande différence entre l’image que l’on retient d’un homme et la réalité de sa vie et de sa personnalité. De manière très incorrecte, je me permets d’imaginer ce qu’en penserait Jésus-Christ. Je reconnais que la démarche est peu audacieuse, vu que la religion catholique peut aujourd’hui être critiquée sans risque et en toute liberté. Je me demande vraiment si Jésus aurait choisi de canoniser ces deux papes. Ils sont certes éminemment respectables, mais ils connurent déjà la gloire et la reconnaissance de leur vivant. Il me semble que Jésus ne fit pas le choix de ses disciples parmi les grands prêtres de Jérusalem. Il s’entoura de simples charretiers, charpentiers, journaliers ou pêcheurs.

Certes, on peut comprendre que pour attiser la ferveur populaire, il est préférable de canoniser des gens populaires. Mais alors pourquoi pas l’abbé Pierre? On me rétorquera qu’il n’a pas accompli les deux miracles réglementaires. Mais Jean XXIII non plus. Avouez que cela sent le favoritisme. Il faut dire que l’abbé Pierre n’était pas vraiment politiquement correct quand il disait: « Le pape ferait mieux de s’occuper d’autre chose que de s’ingérer et de légiférer dans les relations sexuelles au sein du couple. » Jésus qui était anticonformiste, qui empêchait que l’on lapide une adultère, qui s’entourait de femmes et de pauvres gens aurait certainement bien aimé l’abbé Pierre. Mais on ne canonisera jamais un homme qui a dit: « Les grenouilles de bénitier, les bigots et les bigotes, les tartuffes dévots, c’est de ce côté que j’ai reçu le moins d’aide. » Jésus n’aimait pas non plus les pharisiens bigots et leur préférait les humbles publicains. « Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. » Aujourd’hui, le saint sert de modèle de vie pour les croyants. Une voie à suivre.

On est alors en droit de se demander si devenir pape est vraiment un modèle de vie à suggérer au commun des mortels? Ne pourrait-on pas proposer des destins plus accessibles et plus modestes comme le Père Damien (canonisé en 2009, 120 ans après sa mort)? Le psychologue que je suis constate que ce sont souvent les plus extravertis et les plus narcissiques qui accèdent à la gloire et la célébrité de leur vivant. Tandis que les personnalités humbles et pieuses restent inconnues. Comme nombre de ces 2 647 prêtres polonais morts dans les camps de concentration (1) et dont les noms sont tombés dans l’oubli. Le monde laïque a imité le religieux en créant aussi ses saints, notamment par la panthéonisation qui remplace la canonisation au sein de la République française. Les prix Nobel, les prix Goncourt, les Oscars, etc. sont autant de récompenses qui sanctifient presque toujours des personnes déjà couvertes de gloire. Je propose que l’on crée des récompenses honorant les petits, les sans-grade, les modestes, les inconnus qui ont consacré leur vie au bien commun sans faire de publicité. Par exemple, il me semble que chez nous le Roi ferait mieux d’anoblir une assistante sociale qui a consacré sa vie à aider les sans-papiers plutôt qu’un PDG de banque qui s’est enrichi.

Mais rien ne vous oblige à penser comme moi…

(1) Précisons cependant que Maximilien Kolbe, prêtre mort à Auschwitz, a été canonisé le 10 octobre 1982

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