Liesbeth Homans © BELGA

Bourgmestres non nommés en périphérie bruxelloise : « La Flandre interprète mal la loi »

Michelle Lamensch Journaliste

Liesbeth Homans (N-VA) vient d’annoncer son refus de nommer les bourgmestres à Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wezembeek-Oppem et Drogenbos. La ministre flamande de l’Intérieur reproche à ces quatre communes à facilités de la périphérie bruxelloise d’avoir envoyé elles-mêmes les convocations électorales pour les communales du 14 octobre dernier, à la place ou en plus de celles adressées aux électeurs par le gouverneur du Brabant flamand. L’avis de Nicolas Bonbled, professeur de droit public à l’UCL.

Y aurait-il un vice dans notre système institutionnel, qui fait que la nomination des bourgmestres de la périphérie bruxelloise est toujours aussi conflictuelle, depuis 1997 ? Cette année-là, la circulaire flamande Peeters y a imposé des demandes expresses pour la réception de chaque document communal en français. Quatre bourgmestres de communes à facilités viennent d’essuyer un refus de nomination par la tutelle régionale pour avoir convoqué leurs électeurs dans leur langue, pour le scrutin communal d’octobre 2018. Forts de deux arrêts du Conseil d’Etat en leur faveur. Depuis 1997, en effet, la circulaire Peeters a été recadrée à deux reprises, en 2014 et 2018, par le Conseil d’Etat, notre plus haute juridiction administrative. Mais le feu communautaire couve toujours.

« C’est extrêmement regrettable, explique Nicolas Bonbled, professeur de droit public à l’UCL. Il y a le principe de séparation entre les trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire, en ce compris le Conseil d’Etat. Mais un arrêt du conseil d’Etat s’impose immédiatement à toute autorité administrative. Nous avons ici un arrêt du 18 mai 2018, qui suspend l’annulation par la ministre Homans de la décision de Wezembeek-Oppem d’adresser les convocations électorales dans la langue de l’électeur, pour le scrutin communal d’octobre 2018. Les risques sont très faibles qu’il n’y ait pas – d’ici plusieurs mois… – annulation de l’annulation de la ministre. Mme Homans procède à un calcul parfaitement cynique, à peu de frais pour elle… Si les quatre bourgmestres privés de nomination intentent un recours au Conseil d’Etat, il y a peu de chances qu’on ait une décision avant les prochaines élections. »

La Cour de cassation a rappelé, le 6 décembre 2018, que les lois linguistiques de 1966 prévoient l’emploi de la langue choisie par le citoyen des communes à facilités, sans limite de temps et pour tout type de document, communal ou régional. La Cour de cassation est notre plus haute juridiction judiciaire…

« Cet arrêt est très important et le Conseil d’Etat l’aura certainement lu… La Cour de cassation est, en effet, à la tête de l’ordre judiciaire et il n’y a pas de lien hiérarchique entre cette cour et le Conseil d’Etat. Cet arrêt de cassation, qui constitue un précédent, rouvre un débat sur la portée des facilités puisqu’il élargit dans le temps la possibilité de recevoir des documents en français. »

Un compromis équilibré entre les deux thèses

Le carrousel auquel on assiste, avec ces refus de nomination de bourgmestres, ces annulations successives de décisions communales par la tutelle régionale et les arrêts du Conseil d’Etat donnant satisfaction aux francophones, ne viendrait-il pas de l’absence de hiérarchie des normes dans notre système institutionnel ? Les contestations doivent se régler en justice, administrative ou judiciaire…

« Une circulaire n’est pas un acte administratif, à proprement parler, elle n’est pas opposable à des particuliers et n’a même pas la valeur d’un arrêté ministériel. C’est un document régional, interprétatif d’une loi linguistique fédérale. Dans les années 1990, il y a eu plusieurs recours au Conseil d’Etat pour faire annuler la circulaire Peeters. Ces recours ont tous été traités par des chambres néerlandophones, qui ont, chaque fois, estimé que cette circulaire interprétative était conforme à la loi. Ce qui n’a jamais été accepté du côté francophone. »

Lors de la sixième réforme de l’Etat, en 2011, le contentieux administratif dans les communes à facilités de la périphérie bruxelloise a été confié à l’assemblée générale bilingue de l’institution. Au bénéfice des francophones…

« En 2014, le Conseil d’Etat a mis en présence les thèses francophone (déclaration une fois pour toutes du choix de la langue) et néerlandophone (déclaration renouvelée pour chaque document). Le Conseil d’Etat a trouvé un compromis « équilibré » entre ces deux thèses et a opté pour un délai de quatre ans. Le Conseil d’Etat a clairement dit, en 2014 et en 2018, que la circulaire Peters était une mauvaise interprétation de la loi. Mais le gouvernement flamand n’en tient pas compte. Il fait de la politique. Après 22 ans, on ne peut toutefois plus introduire un recours en annulation contre la circulaire Peeters : il y a prescription. »

La nouvelle loi communale prévoit que le bourgmestre non nommé a 30 jours pour introduire un recours après réception de la décision de la ministre. En principe, l’assemblée générale du Conseil d’Etat doit statuer dans les 90 jours. La dernière fois qu’elle a été activée (refus de nomination de Damien Thiéry, à Linkebeek), la procédure a pris 11 mois….

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