© Franky Verdickt

Bourgeois – Magnette : un bras de fer confédéral

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Intégrale de l’interview conjointe des ministres-présidents flamand et wallon pour Le Vif/ L’Express et Knack.

La « frontière de la grève »

M. Bourgeois, vous avez fait une déclaration controversée, début juillet, selon laquelle la frontière linguistique était la frontière de la grève. Vous maintenez ?

Geert Bourgeois : J’ai constaté qu’il y avait du côté francophone une grève d’inspiration politique, la FGTB disant qu’il fallait aller jusqu’au bout pour faire tomber le gouvernement. Cela a été trop loin avec la détérioration d’un cabinet ministériel, des blocages de route provoquant le décès d’une femme danoise et empêchant les étudiants de se rendre à leurs examens. J’évoquais surtout cette mentalité, ce jusqu’au-boutisme.

M. Magnette, vous aviez perçu cela comme une insulte ?

Paul Magnette : Non, je n’avais pas eu envie d’en faire une polémique et je n’ai d’ailleurs pas réagi. Sur le fond, il est important de dire qu’il n’y a pas de « frontière de la grève ». En 2015, il y a eu plus de grèves en Wallonie qu’en Flandre, c’est vrai, mais en 2014, il y avait eu 100.000 jours de grève de plus en Flandre qu’en Wallonie. On aime toujours faire vivre des préjugés, mais les faits sont plus nuancés. 2015 est en outre une année très particulière. Je suis désolé de devoir commencer avec de la politique pure, mais ce gouvernement n’a que 25% de soutien en Wallonie. Par définition, chaque fois qu’il prend des décisions, il a contre lui 75% de l’opinion publique. Imaginez un gouvernement composé du côté flamand de Groen et du SP.A, ne pensez-vous pas qu’il y aurait quelques résistances dans la société flamande ?

Geert Bourgeois : Pour ne pas polémiquer, je ne parlais pas en chiffres absolus, je parlais de la mentalité, similaire parfois à celle de la France. On sous-estime l’impact que cela a eu sur notre opinion publique.

Caterpillar et les clichés de Charleroi

Cela a-t-il joué un rôle, selon vous, dans la fermeture de Caterpillar ?

Geert Bourgeois : Non, je ne pense pas, c’est autre chose. C’est un choc terrible, comparable à celui de Ford-Genk en Flandre. Je comprends cette émotion.

Mais l’émotion a visiblement été moins grande en Flandre qu’en Wallonie…

Paul Magnette : Oui, j’ai constaté cela. Je montrais les images de l’émission Afspraak à mes collaborateurs, tout de suite les caméras arrivent dans les quartiers les plus pauvres de Charleroi, prennent des gens qui sont en situation difficile affirmant qu’ici, tout est mort, torses nus parce qu’il fait très chaud… C’est terrifiant, cette culture du cliché. On envisage d’ailleurs de mettre une pancarte : « Hier, clichés voor vlaamse journalisten ». Ils vont toujours prendre les mêmes photos au même endroit, à Dampremy, je peux vous montrer exactement où. 95% des images sont faites sur 2% du territoire. Cela existe, je ne le nie pas, mais on cultive des lieux communs qui creusent le fossé entre les opinions publiques en Belgique. On doit essayer de sortir de cela.

La Flandre n’est pas assez sensible à ce qui se passe à Caterpillar ?

Paul Magnette : C’est frappant : quand c’était Ford-Genk, il y avait un écho très large du côté francophone, parce que c’est perçu comme un drame national. Dans la presse flamande, du moins les premiers jours, cela se retrouve en quatrième page et loin dans le JT. Pourtant, le choc est vraiment national : 40% des sous-traitants ont leur siège en Flandre. Dans les réactions politiques, par contre, il y a eu une belle unanimité et personne n’a rejeté la responsabilité sur les grèves à Caterpillar.

M. Bourgeois, connaissez-vous la région de Charleroi ?

Geert Bourgeois : Avant toute chose, je ne me sens en aucun cas responsable d’images utilisées par les journalistes. Je pense que les politiques flamands ont réagi très correctement, cela a provoqué la même émotion que pour Ford-Genk. Je n’ai pas de conseil à donner, mais je suis d’avis qu’il faut négocier très durement avec Caterpillar et faire en sorte de reprendre le site en mains. L’objectif doit être d’y développer de nouvelles technologies – et je sais la politique que Paul mène en faveur de la reconversion de l’économie wallonne – comme ce fut le cas à Philips Hasselt où le résultat est phénoménal. Quelle que soit l’émotion, on ne fera plus revenir ces industries.

Les transferts Nord-Sud

La Flandre et la Wallonie doivent-elles mener un combat commun contre les multinationales ?

Geert Bourgeois : Je n’ai pas ce sentiment. Au contraire, chacun de nous essaye de les attirer. Les raisons profondes du départ de Caterpillar, je ne les connais pas en détails. Ce qui est sûr, par contre, c’est qu’il est mauvais en général qu’une ville ou une région dépendent d’une seule très grande entreprise.

C’est la leçon que vous tirez, vous aussi ?

Paul Magnette : Oui, mais cela fait longtemps qu’on l’a tirée. Personne ne souhaite dépendre d’une seule industrie, on a tous en tête l’image de ces cités américaines qui ont tout perdu. On préfère évidemment passer à un tissu beaucoup plus dense de PME interdépendantes les unes des autres. Dans le cas de Caterpillar, on ne peut pas dire à la fois qu’il faut se battre durement et préparer la reconversion. On doit faire les choses dans l’ordre. Mais la transformation du tissu économique wallon dans ce sens-là, elle est en route depuis très longtemps.

Le drame de la Wallonie, c’est d’avoir été l’une des régions les plus prospères et les plus industrialisées du monde. En 1911, la Belgique était le deuxième pas le plus riche au monde et c’était la Wallonie qui en était la source. La conséquence, c’est que la Wallonie a été une des région touchées les plus rapidement et le plus profondément. La Flandre a eu la « chance » d’avoir des industries d’une seconde génération plus performante. Ce décrochage s’est marqué encore plus durement dans les années 1980, avec l’effondrement de la sidérurgie. Quand on parle de transferts Nord-Sud, il ne faut pas oublier cette histoire : c’est la Wallonie qui a tiré la prospérité du pays pendant 130 ans. Avec des Flamands : 500.000 d’entre eux sont venus travailler en Wallonie. C’est une histoire plus complexe et imbriquée que celle d’un riche qui paye pour un pauvre.

Geert Bourgeois : Mais notre porte est aussi ouverte aux travailleurs wallons, hein : dans ma région, ils viennent surtout de France, pas de Wallonie.

Paul Magnette : Parce que les Français ont des avantages sociaux et fiscaux.

Geert Bourgeois : Et parce qu’ils risquent de perdre le chômage.

La Flandre offre un univers économique plus libéral, la Wallonie davantage social-démocrate, est-ce tenable ?

Paul Magnette : Moi, je pense que c’est tenable. Il faut bien comprendre que personne n’aime recevoir des transferts. Il n’y a rien de plus humiliant, pour le dire très clairement, que de dépendre de quelqu’un d’autre. Richard Sennett, un grand sociologue américain, a écrit un très beau livre intitulé « Respect » montrant comment on humilie quelqu’un en lui faisant des cadeaux. Moi, je suis content de payer des impôts, c’est la preuve que je m’en sors bien dans la vie.

Les transferts Nord-Sud sont de deux types. Il y a les transferts inter-institutionnels qui sont organisés par la loi de financement, ils sont plus limités que dans tous les Etats fédéraux. En plus, à partir de 2025, ils seront démantelés sur une dizaine d’années, c’est un compromis que l’on fait. Il y a par ailleurs les transferts interpersonnels à travers la sécurité sociale. Le problème n’est pas que les Wallons surconsomment, personne n’abuse de la sécurité sociale, il faut le dire. Par contre, il est clair que la Wallonie sous-alimente les recettes de la sécurité sociale puisque la prospérité est moindre. La seule chose que l’on espère, c’est que cela finisse le plus vite possible. De Wever a beaucoup blessé les Wallons en disant qu’ils étaient comme des junkies qui attendent leur argent.

La difficulté, pour être clair, c’est que la Flandre est des région les plus dynamiques d’Europe. Plus vous êtes riches, plus vous avez les moyens humains et financiers pour se développer – et tant mieux, on leur souhaite. Notre retard est très difficile à combler. Enfin, nous avons analysé les effets de débordement : nous avons cette situation très paradoxale où quand on injecte 100 euros dans l’économie wallonne, cela génère 31 euros d’effets secondaires en Wallonie, mais 36 en Flandre. Quand on génère 100 euros en Flandre, cela génère 47 euros supplémentaires en Flandre, mais seulement 9 en Wallonie. Parce que la Flandre a généré un tissue de PME aujourd’hui très riches, avec beaucoup d’entreprises wallonnes clientes de la Flandre. Il y a un déficit commercial net de la Wallonie par rapport à la Flandre de 5,5 milliards.

Le patriotisme économique wallon

Voilà pourquoi vous dites « Achetez Wallon ! » ?

Paul Magnette : Oui. Mais je précise que je ne dis pas cela dans une optique protectionniste. Je ne dis pas « Achetez Wallon » pour ne pas acheter flamand. Cela veut dire acheter des produits confectionnés sur le sol de Wallonie. Que ce soit par des industriels flamands : super ! Tu disais : venez travailler en Flandre. Moi, je dis : venez investir en Wallonie ! Dans l’agro-alimentaire, la Wallonie produit des pommes et des poires, dont 80% sont transformées en Flandre, qui fait dès lors plus de valeur que nous. Même chose pour le lait. Nous devons être conscients de ça, afin de construire chez nous les chaînons manquants.

Geert Bourgeois : Paul Magnette parle longtemps et très vite, j’aimerais quand même intervenir. Quand il parle des déclarations de Bart De Wever, il doit aussi retrouver celles de Karel De Gucht sur les transferts. Dans tous les partis flamands, il y a des plaintes à ce sujet. Mais je suis content de l’entendre dire publiquement que ce n’est pas plaisant d’en recevoir, qu’il a la volonté de transformer son économie – j’ai d’ailleurs déjà dit que je trouvais que plan Marshall était sur la bonne voie en créant des pôles de compétitivité, des liens avec les centres de recherche…

Mais j’entends le même discours depuis que je suis en politique : encore dix ans et nous serons à niveau. Ce que dit Paul Magnette, Spitaels et d’autres l’ont dit avant lui. Lors de la dernière réforme de l’Etat menée sous Di Rupo, nous devons encore transférer des moyens pendant dix ans avant que cela ne devienne dégressif. C’est faux de dire que l’on va y mettre un terme, ces transferts continueront. Paul a oublié de signaler une autre forme de transferts, ce sont ces policiers que l’on affecte en Wallonie parce que les routes sont plus longues… Au niveau fédéral, ce sont des transferts difficiles à détecter. Le problème des transferts, c’est qu’ils ne mènent pas à une responsabilisation. Paul Magnette dit la même chose que moi avec une autre approche : ces transferts ne sont pas bons, il faut en sortir.

En ce qui concerne le fait d’acheter wallon, j’espère en effet que ce n’est pas du protectionnisme, que l’on ne va pas tirer une frontière entre nous. La France aussi insiste de plus en plus sur les produits français. En matière d’agroalimentaire, nous avons un des secteurs les plus forts d’Europe.

Paul Magnette : J’ai acheté des tomates Flandria en Corse, il n’y a pas très longtemps.

Geert Bourgeois : Bon. C’est un secteur très innovateur, dominant dans le monde. Mais c’est la force de notre esprit d’entreprise, cela n’a rien à voir avec une quelconque politique flamande protectionniste. Cela ne fonctionne pas comme ça. Ce qui est le plus important, c’est la qualité des produits, leur caractère innovant…

Elio Di Rupo plaide pour la semaine des quatre jours…

Geert Bourgeois : C’est un non-sens économique. Ce n’est pas parce que des travailleurs presteront 20% moins d’heures que l’on créera 20% d’emplois supplémentaires. Cela ne fonctionne pas comme ça. Nous sommes dans un vieux continent au coeur d’un monde globalisé très concurrentiel. Notre croissance est faible, les prévisions du Bureau du plan annoncent malheureusement un taux de 1,2% l’année prochaine. Nous devons au contraire être très compétitifs, très qualitatifs. Si l’on est trop cher, on s’exclut soi-même du marché, c’est aussi simple que ça.

Paul Magnette, vous y croyez à cette réduction du temps de travail ?

Paul Magnette : J’aimerais revenir un instant sur l’interpénétration des économies wallonne et flamande. La Flandre ne peut pas nous reprocher d’essayer de faire ce qu’elle a fait.

Geert Bourgeois : Pas du tout !

Paul Magnette : Qu’est ce qui fait la force du tissue économique flamand ou allemand, c’est l’existence de PME très fortement imbriquées entre elles qui forment un éco-système. Quand une entreprise progresse, elle en entraîne d’autres. Nous voulons faire la même chose. Les entreprises du plan Marshall ont eu entre 2006 et 2014, en moyenne, une croissance remarquable de 60%. C’est aussi parce que ce sont des secteurs de pointe. Mais si cette croissance n’a pas de retombées indirectes sur l’économie wallonne, cela ne marchera jamais. Ce que la Flandre a fait.

Geert Bourgeois : Mais on n’a pas dirigé ça !

Paul Magnette : Si, je pense que c’était dirigé par une forme de patriotisme économique. Dans une vie antérieure, j’ai lu les programmes de la Volksunie, que vous connaissez mieux que moi, ce discours était fort présent dans les années 1970. La Wallonie a besoin de la même chose. Si on veut un jour que la Wallonie rattrape la Flandre, cela ne peut marcher que si l’on recrée de l’interpénétration économique. On veut plus de Marc Coucke en Wallonie ! Je fais régulièrement un tour en Flandre pour dire : si vous voulez que les transferts s’arrêtent, aidez-nous !

Geert Bourgeois : Il n’y a pas de patriotisme flamand, Paul Magnette surestime cela. C’est simplement la conséquence d’une politique intelligente, entamée suffisamment tôt, orientée autour d’une série d’activités pour lesquels nous sommes parmi les plus forts du monde, avec un accent mis sur l’innovation. Voilà le bon choix à faire.

La Belgique pré-confédérale

Dans la nouvelle configuration belge, la Flandre et la Wallonie travaillent-elles bien ensemble ?

Geert Bourgeois : Nous avons une forme de collaboration confédérale entre nous. Nous faisons des missions commerciales ensemble, j’ira en Iran faire une sorte de mission confédérale, accompagné par Jean-Claude Marcourt. J’ai négocié directement avec Paul le pré-accord belge sur le climat sur les énergies renouvelables, la réductions des gaz à effet de serre…

Paul Magnette : Objectivement, le système produit peu de tensions entre Régions, il produit naturellement plus de tensions entre les Régions et le fédéral. Parfois, je suis davantage d’accord avec Geert qu’il n’est d’accord avec Johan Van Overtveldt au sein du Comité de concertation.

Geert Bourgeois : Je ne dirais pas ça, maintenant il est d’accord avec mes remarques sur le budget.

Paul Magnette : C’était juste pour donner un exemple.

Le fossé politique Nord-Sud

Geert Bourgeois : Nous avons toutefois une très lourde divergence de vue au sujet des traités commerciaux. Nous, Flandre, assumons 83% des exportations belges, nous avons besoin du CETA avec le Canada ou du TTIP avec les Etats-Unis. Ma proposition, c’est que l’on décide au niveau européen de scinder ces traités entre le volet commercial, compétence exclusive de l’Europe, et celui concernant les investissements, où se situant les divergences les plus sensibles. Pour nous, ce commerce ouvert est essentiel.

Les critiques évoquent le risque de faire baisser nos standards européens ?

Geert Bourgeois : C’est faux. Le mandat de la Commission européenne est clair à ce sujet, c’est transparent, chaque parlement peut le contrôler.

Paul Magnette : C’est vrai que nous avons des divergences à ce sujet, mais comprenez bien que ce n’est pas un mouvement d’humeur. Cela a été un très long travail effectué par nos parlements, il y a eu des dizaines d’heures d’auditions. La commissaire européenne Cecilia Malmström est venue s’expliquer. Il y a eu, à l’issue de cela, une résolution du parlement wallon pour demander des balises. Le cas Caterpillar ne va pas arranger les choses.

Fondamentalement, ce qui est en jeu, c’est le rapport de force entre les autorités publiques et les grandes entreprises multinationales. Je ne fais pas un procès universel de ces dernières, mais Caterpillar, c’est 55 milliards de chiffre d’affaires, quatre fois le budget de la Région wallonne. C’est un rapport de forces déjà difficile. Si par une série d clauses qui empêchent d’orienter certains investissements sur le continent européen, on affaiblit encore les autorités publiques, qu’est-ce qu’il restera de notre capacité de régulation ? Or, nos concitoyens ont besoin de savoir que la politique peut encore faire des choses. Nous ne sommes pas les jouets du pouvoir de l’argent !

Effectivement, chez vous, il y a un grand enthousiasme général ; chez nous, il y a un rejet massif du TTIP. Mais de toute façon, de TTIP is dood à partir du moment où l’Allemagne et la France ont dit qu’ils n’en voulaient plus.

Geert Bourgeois : Je n’en suis pas sûr, il pourrait y avoir une percée après les élections américaines et françaises.

Les deux démocraties

C’est l’expression de nos deux démocraties ?

Paul Magnette : De deux opinions publiques.

Geert Bourgeois : C’est un discussion idéologique, en tout état de cause.

Le contexte sécuritaire européen, avec les attentats qui nous ont frappé, ne témoigne-t-il pas de la nécessité de maintenir une politique fédérale, d’ailleurs gérée par les N-VA Jambon et Francken ?

Geert Bourgeois : Une politique sécuritaire doit en tout état de cause traverser les frontières. Il doit y avoir plus de collaborations, plus d’échanges d’informations, cela ne se passe pas au seul niveau belge. Mais dans de nombreux Etats fédéraux, l’organisation judiciaire est aux mains des entités fédérées comme c’est le cas aux Etats-Unis ou en Suisse. Aux Etats-Unis, chaque Etat a sa police, même chose pour les Catalans, les Basques ou les Ecossais, cela n’empêche pas que l’on collabore dans le combat contre le terrorisme, que l’on échange les informations.

Vous êtes demandeurs pour aller plus loin dans l’autonomie ?

Geert Bourgeois : Oui, oui, absolument. Ce n’est pas à l’ordre du jour, il y a un stop communautaire, mais vous connaissez mon programme.

La N-VA a présenté il y a dix jours un plan Sécurité qui a été fort commenté…

Paul Magnette : Fort commenté par les partis flamands, surtout. C’est la facilité intellectuelle qui consiste à dire que c’est Nord-Sud. Le débat, il a eu lieu entre la N-VA d’un côté, le CD&V et l’Open VLD de l’autre. La vie politique est beaucoup plus complexe. Ce n’est pas vrai que la frontière idéologique épouse exactement la frontière linguistique, il y a aussi une gauche en Flandre. S’il y avait vraiment deux démocraties, les ministres Jambon et Francken seraient-ils aussi hauts dans les sondages en Wallonie qu’aujourd’hui ? Non. Ou M. Michel aussi populaire en Flandre.

Geert Bourgeois : Du côté francophone, certains me disent : « M. Bourgeois, il nous faut un parti comme le vôtre. »

Paul Magnette : En Flandre, on me dit qu’il faut un parti socialiste fort.

M. Magnette, quand vous avez commencé, vous avez refusé d’inviter le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, pour l’inauguration des locaux de la police…

Paul Magnette : C’était vraiment un incident mineur que j’ai essayé d’éviter et de cacher. M. Jambon avait fait des déclarations assez violentes et des anciens combattants menaçaient de faire un incident. Je voulais éviter ça. Si cela était arrivé, cinq ans après, on en parlait encore. J’ai dit à Olivier Chastel : « On va l’inviter, mais fait en sorte qu’il ne vienne pas… » Le problème, c’est qu’il a répondu : « Si on m’invite, je viens… » Mais je vous rassure : on inaugure une caserne des pompiers d’ici quelques semaines et on invitera M. Jambon.

Tout va mieux alors ?

Paul Magnette : Je ne dis pas que tout va mieux. Je l’ai dit dès le premier jour : l’asymétrie va être difficile. En fait, après 1993, on a eu beaucoup de mal à faire fonctionner le fédéralisme et puis cela s’est installé avec des majorités symétriques. Un jour ou l’autre, il était normal que l’on ait des majorités asymétriques. Cela finira par s’installer. Ce qui est compliqué, je l’ai dit, c’est que ce gouvernement représente un Wallon sur quatre.

Geert Bourgeois : Ce que je constate, Paul, c’est qu’il est plus facile de conclure des accords directement entre Régions qu’à travers le Comité » de concertation.

Paul Magnette : Cela dépend.

Geert Bourgeois : Le financement des hôpitaux, par exemple, et la dette qui doit être transférée aux entités fédérées, depuis combien de temps en parle-t-on au sein du Comité de concertation ? Nous allons plus vite pour trouver des accords ensemble.

Paul Magnette : Je suis d’accord que le Comité de concertation ne fonctionne pas parce qu’il y a un vice de forme. On crée un système fédéral dans lequel le fédéral et les Régions sont sur le même plan, il n’y a pas d’hiérarchie des normes. Mais le Comité de concertation, c’est le fédéral qui invite les Régions, qui préside et qui daigne les écouter. Cela ne va pas. Je n’aurais pas de problème à ce qu’il soit organisé tour à tour à la place des Martyrs, à l’Elysette, au Lambermont, ce serait plus logique. Cela fonctionne beaucoup mieux dans certaines conférences interministérielles, nous avons élaboré un Plan de sécurité sans problèmes.

C’est une questions de personnes ou de structures ?

Paul Magnette : Oh, les deux !

Geert Bourgeois : Sous Verhofstadt, c’était la même chose

Sur la notion de citoyenneté, d’intégration, il semble que vous vous soyez rapprochés…

Geert Bourgeois : Oui et j’en suis content. Je me souviens des discussions à la Chambre sur la Snel Belg wet, je disais que la nationalité devait être liée à la citoyenneté, à l’intégration et à la connaissance de langue, comme au Canada. Je me souviens encore du mur d’incompréhension du côté francophone ! Le sud du pays a fait le pas vers ce parcours d’intégration plus tard. Ce n’est pas « la » solution, bien sûr, mais je trouve cela important de dire que ceux qui viennent ici doit faire partie de notre communauté et en respecter ses valeurs, nos libertés… Nous devons être fermes à ce sujet.

Paul Magnette : Je suis tout à fait d’accord avec ça, j’ai toujours été partisan d’une intégration volontaire. J’ai grandi dans une région très multiculturelle. Tant qu’il y avait de l’emploi fort, l’intégration se faisait très naturellement. C’est devenu compliqué à la fin des années 1980, que le chômage a grandi et que le regroupement familial a amené une population moins liée au travail. J’ai plaidé pour le parcours d’intégration obligatoire et je suis heureux qu’on l’ai adopté. Alain Van der Biest avait écrit un livre pour dire que les Flamands sont finalement beaucoup plus Français que les francophones de ce point de vue-là. Le modèle décrit par Geert est le modèle républicain français. Par contre, je trouve dommage que l’on fasse des polémiques sur le burkini, c’est vraiment faire un bazar quand on n’a rien à dire.

Vous avez utilisé le mot confédéral plusieurs fois. Pour vous, ce sera un enjeu majeur pour 2019 ?

Geert Bourgeois : Nous dévoilerons la stratégie du parti plus tard. Vous connaissez notre programme. Je veux encore une fois insister que l’indépendance qui se trouve dans nos statuts, ce n’est pas l’indépendance dans le sens du 19e siècle. Je dis toujours qu’une nation moderne fait partie d’un plus grand ensemble. En Belgique, il s’agit donc d’aller vers un confédéralisme avec des Etats fédérés ayant une capitale partagée et un maximum d’autonomie et de responsabilités parce que nous sommes deux démocraties.

Paul Magnette : Je conteste fondamentalement l’idée des deux démocraties. Il y a des différences d’opinion incontestables, mais de là à faire comme si c’était deux démocraties avec une frontière. C’est plus complexe que cela. Sur beaucoup de sujet, il y a une communauté de vue entre Flandre, Wallonie et Bruxelles.

Geert Bourgeois : Enfin, la Wallonie est au centre-gauche, la Flandre au centre-droit.

Paul Magnette : On a au moins le centre en commun…

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