Olivier Mouton

Bienvenue dans la francophonie des fous!

Olivier Mouton Journaliste

Les négociations se décantent enfin. MR et CDH avancent. Défi, incontournable, se pose en faiseur de roi. Des majorités différentes sont en vue en Wallonie et à Bruxelles. La révolution de la gouvernance reste dans le flou. Oui, vous vivez dans un pays asymétrique et surréaliste.

Près d’un mois après que Benoît Lutgen, président du CDH, ait débranché la prise des majorités francophones avec le Parti socialiste, la situation commence enfin à se décanter. De là à dire que le citoyen va y retrouver son latin, que le big-bang institutionnel tant attendu est avancé et que notre petite Belgique fonctionnera mieux demain qu’hier, il y a de la marge. Accrochez-vous ! Notre pays surréaliste pourrait le devenir davantage encore…

MR et CDH entament des négociations à deux pour les entités fédérées francophones, au coeur d’un paysage politique dévasté. Et sans certitude : à deux, ils n’ont de majorité qu’en Wallonie, pas en Région bruxelloise, ni en Communauté française. Où les deux partis laissent « la porte ouverte »…

La première certitude de cette crise qui en est à son 25e jour, c’est que Benoît Lutgen a tenté son coup de poker sans grande préparation. Durant plus de trois semaines, les contacts entre partis se sont multipliés dans tous les sens, illustrant une impréparation complète dans la gestion de cette crise. « Le kamikaze, c’est le président du CDH ! », clamait Alain Gerlache à la RTBF, voici une semaine. Pas faux. « Que nous aurait-on dit si nous venions avec une solution toute faite négociée dans les coulisses des cabinets ? », rétorquait alors une source CDH. C’est vrai : on aurait probablement dénoncé un geste de politique politicienne. Mais aujourd’hui, à part un coup de sang à l’encontre du PS, on ne voit guère d’intention précise dans l’attitude du patron du CDH.

Son geste promettait un « big-bang francophone », une remise à plat révolutionnaire des pratiques avec des majorités déterminées à réformer sans le PS. Mais la montagne accouche d’une souris.

Car la deuxième certitude, c’est que nous vivons surtout des moments d’anthologie sur le plan politique. Or, donc, Ecolo a consulté tout le monde de son côté pour faire avancer son unique priorité du moment : la bonne gouvernance. Puis, ses coprésidents ont rallié les discussions avec le MR et le CDH. Pour un dénouement qui était écrit d’avance : Ecolo a quitté la table, jeudi 13 juillet, son avoir obtenu raison sur tout. Et pour cause, on savait que le décumul intégral et l’intégration des rémunérations privées au total pris en compte pour le plafonnement des revenus étaient imbuvables pour libéraux et humanistes. Et de toute manière, qu’aurait fait l’actuel Ecolo dans une majorité de centre-droit alors que son profil se situe très à gauche sur le plan socio-économique et sociétal ? Le parti, traumatisé par son échec électoral de 2014, en a profité pour se positionner. Victoire d’étape ! Il continuera son travail dans les parlements, hors des discussions entre présidents de partis. En attendant, voilà une autre prise débranchée. Les possibilités se réduisent.

A ce jour, le vainqueur inattendu de ce petit mois de crise est donc Olivier Maingain. Depuis le début, le président de DéFi se présente comme l’autre chevalier blanc de cette cavalcade historique, en réclamant notamment que le CDH fasse « preuve d’imagination » pour débarquer l’ancienne ministre Joëlle Milquet, inculpée. Une stratégie gonflée de la part de ce vieux briscard de la politique belge. Mais lui, il a eu la sagesse d’attendre que le fruit mûr tombe de l’arbre en continuant les discussions bilatérales en marge du trio MR-CDH-Ecolo. Bien joué ? Voilà en tout cas DéFi faiseur de rois à Bruxelles et en Communauté française, deux niveaux de pouvoir où MR et CDH ne disposent pas de la majorité nécessaire. Une situation idéale qui lui permet d’imposer ses conditions.

Mais vers quoi semble-t-on se diriger, si on suit bien les désirs esquissés par Olivier Maingain ? Vers une Belgique francophone à deux vitesses, déchirée entre la Wallonie et Bruxelles, rajoutant une couche de complexité à un pays qui est déjà incompréhensible…

D’accord, la présence du MR en Wallonie permettrait peut-être d’ajouter un peu d’huile au système en rétablissant une ligne directe avec le fédéral. Mais pour le reste, visez le tableau ! Nous aurions donc une majorité MR-CDH en Wallonie, susceptible de rompre avec l’héritage de trente années de PS au pouvoir. Celle-ci ne disposerait toutefois que d’une majorité courte, bien trop courte : on a déjà vu qu’elle serait fragile à l’occasion d’un vote où une députée CDH s’est désolidarisée de son parti. En Région bruxelloise, le « faiseur de rois » Olivier Maingain se verrait bien prolonger la coalition PS-DéFi-CDH, ce que les partenaires flamands, dont Guy Vanhengel (Open VLD), appellent aussi de leurs voeux. Mais le CDH, qui joue le jeu jusqu’ici, le permettra-t-il ? Ou tirera-t-il la prise à la rentrée ? Le chaos menacerait alors dans une entité déjà pointée du doigt par les partis flamands pour sa complexité démesurée.

Le monde politique francophone a complètement perdu le Nord. Crûment dit, on est en droit de se demander s’ils ne sont pas tous devenus fous…

Et à la Communauté française ? Olivier Chastel, président du MR, a salué le fait qu’Olivier Maingain « ouvrait une porte ». Oui, mais laquelle ! Les partis présents dans les deux Régions francophones se retrouveraient ensemble à ce niveau. Soit, potentiellement, une quadripartite MR-CDH-PS-Défi. Des analystes pourraient affirmer qu’il s’agit là d’une évolution naturelle pour un fédéralisme adulte : des majorités différentes dans toutes les entités, y compris francophones, avec des politiques spécifiques et une autonomie assumée. Sans blague !? Ne serait-ce pas surtout un chaos annoncé, avec des blocages et des oppositions en cascade – et la promesse d’un nouveau round institutionnel en 2019 ? Les quatre partis présents à la Communauté française, rétorquerait-on, donneraient un large consensus à une réforme de l’enseignement vitale pour l’avenir. C’est vrai. Ce serait aussi la reconstitution d’un grand front francophone à même de panser les plaies de trois dernières années pour préparer l’avenir et contrer le confédéralisme voulu par la N-VA. Franchement, qui y croit ?

Ce n’est pas tout. Derrière ce grand Barnum en quadrichromie, la bonne gouvernance reste globalement en rade. « Le CDH ne veut pas changer de système, mais seulement de casting », flingue Zakia Khattabi (Ecolo). Cinglant ! Et confondant : les vieux réflexes protecteurs d’un monde politique, pourtant décrédibilisé par les affaires, empêchent visiblement la mise en oeuvre d’une révolution éthique crédible. Et les aspirations divergentes des uns et des autres – pour ne pas parler des rancoeurs et des rivalités – réduisent à néant toute perspective d’un plan global, lisible, valable pour tous les niveaux de pouvoir. Pire : la crise est née des affaires, elle s’est enracinée ces derniers jours dans un climat délétère où les uns et les autres ne cessent de se dénoncer dans les médias ou de se jeter des anathèmes au sein d’une majorité wallonne en phase terminale. Un suicide collectif.

Cela fait sept mois aujourd’hui que les premières révélations au sujet de Publifin ont été diffusées sur le site du vif.be. Sept mois au cours desquels le monde politique francophone s’est enfoncé chaque jour davantage dans une crise profonde. Le déclic opéré par Benoît Lutgen devait être un sursaut. MR et CDH, qui entament ce 14 juillet les négociations, savent l’énorme responsabilité qui pèse sur leurs épaules, dans un climat où l’antipolitisme ne cesse de grandir. Et si tout cela faisait pschittttt ? Certains acteurs, désabusés, n’excluent déjà pas un été de crise avant que le MR et le PS ne reprennent les choses en mains à la rentrée pour remettre de l’ordre, dès lors que le PS aura fait sa révolution éthique le 24 septembre, lors du congrès clôturant le Chantier des idées…

C’est dire combien le monde politique francophone a complètement perdu le Nord. Crûment dit, on est en droit de se demander s’ils ne sont pas tous devenus fous…

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