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BHV :  » Nous avons encore été vendus « 

Bourgmestre en titre de Rhode-Saint-Genèse, Myriam Delacroix-Rolin ne partage plus l’infortune de ses trois collègues francophones non-nommés des communes à facilités. Cela n’empêche pas la députée CDH de ressentir l’accord intervenu sur BHV comme un énième coup dur porté aux francophones de la périphérie.

Le Vif.be : BHV scindé, la bourgmestre francophone de la périphérie flamande que vous êtes est-elle rassurée ?

Myriam Delacroix-Rolin : les problèmes dans la vie de tous les jours vont subsister, les circulaires Peeters du gouvernement flamand sont maintenues, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales aurait dû être reconnue pour parvenir à une véritable solution, ce qui n’est pas le cas. Enfin, trois bourgmestres francophones en périphérie (NDLR : Linkebeek, Crainhem, Wezembeek-Oppem) ne sont pas nommés, au mépris du respect des droits de l’électeur.

N’y a-t-il pas de lots de consolation ?

Si, il y a du positif, tout de même : une procédure de nomination d’office des futurs bourgmestres, qui pourront en cas de contestation recourir à l’Assemblée générale du Conseil d’Etat, composée d’autant de magistrats francophones que néerlandophones. Il y a la communauté métropolitaine qui permettra à nos communes de rencontrer les Régions en matière de travaux publics, d’environnement, etc. Sur le plan judiciaire, le compromis renforce les droits des justiciables francophones, y compris dans la grande périphérie. Enfin, il subsiste entre Bruxelles et la périphérie assez de liens sur le plan électoral et judiciaire pour garantir la porosité de la frontière linguistique et éviter ainsi qu’elle ne devienne frontière d’Etat.

Qu’est-ce qui vous tracasse le plus, dans cet accord ? La perte des droits est manifeste sur le plan électoral. D’abord, il y a la grande périphérie qui ne pourra plus voter qu’en Brabant flamand. Et pour les six communes à facilités, la possibilité de voter, soit pour des listes en Brabant flamand, soit pour des listes bruxelloises, va diluer les voix sur les candidats. Les politiciens bruxellois continueront-ils à défendre nos intérêts ? Une distanciation va s’opérer entre les élus bruxellois et les habitants de la périphérie. Ce n’est pas positif du tout.

BHV est scindé sans l’élargissement de la Région bruxelloise : ce n’était pas votre premier choix. En octobre 2010, votre conseil communal demandait encore par motion le rattachement de Rhode-Saint-Genèse à Bruxelles : c’est plutôt loupé…

Notre premier choix, c’était la non-scission de BHV. On a raté une occasion de rattacher les communes à facilités de la périphérie à la Région bruxelloise. Ce qui aurait solutionné tous les problèmes dans le futur. Je ne comprends pas le refus flamand à cet élargissement : à terme, la Région bruxelloise aurait compté davantage de néerlandophones. Côté francophone, cela nous aurait évité de devoir encore systématiquement défendre nos droits en périphérie.

Les francophones dans les communes à facilités de la périphérie ne sont-ils pas tirés d’affaire ? On croyait à la fin prochaine des tracasseries. Non, clairement non. Nous serons désormais aidés par ce recours possible devant des instances paritaires : les tribunaux d’arrondissement réunis sur le plan judiciaire, et l’assemblée générale du Conseil d’Etat pour le contentieux administratif. C’est très positif. Mais nous devrons continuer à défendre nos droits par défaut.

Une tuile pour vos administrés : comment réagissent-ils ?

Peu m’interrogent. Vous savez, beaucoup de gens se sont très fortement désintéressés de la politique. Après un an d’impasse, même les habitants, ici à Rhode, vous disaient : « BHV, y en a marre, il faut terminer cette histoire. Il faut avancer, il y a la crise économique ! »

Peut-être parie-t-on sur la lassitude des gens, sur le fait qu’ils renonceront à d’épuisantes démarches pour défendre leurs droits ?

En tout cas, nous les aiderons dans leurs recours s’il le faut. Internet, les nouvelles technologies, nous facilitent la tâche, en nous permettant notamment de fournir les traductions de documents. C’est une question d’organisation.

On ne leur a pas demandé leur avis, non plus. En novembre 2007, les 19 bourgmestres de Bruxelles et des six communes à facilités avaient exigé une consultation populaire sur l’élargissement de Bruxelles, si BHV était scindé…

C’est vrai. Mais à partir du moment où tous les partis francophones étaient partie prenante à la négociation, nous pouvions établir un dialogue direct. De toute façon, nous n’avions plus le temps d’organiser cette consultation populaire. Nous avons été pris de court par l’exigence de Wouter Beke (NDLR : président du CD&V) de régler BHV comme préalable à tous les dossiers. Et comme les partis nous disaient que « tout évoluait bien »…

Les francophones se sont-ils aplatis ?

Nous savions que les néerlandophones allaient imposer leur volonté aux francophones. Nous avons refusé le blocage, parce que le temps pressait : il fallait former un gouvernement et trouver absolument une solution pour sauver la Belgique. Les négociateurs francophones nous ont beaucoup écoutés, ils ont fait tout ce qu’ils pouvaient mais ils avaient le couteau sur la gorge.

Les droits des francophones de la périphérie sacrifiés pour le salut de la patrie, en somme ?

A chaque réforme institutionnelle, les francophones de la périphérie perdent des droits et se retrouvent un peu plus en Flandre. C’est chaque fois le même manège : on entame la négociation avec optimisme, on entreprend des démarches auprès des négociateurs, on dépasse les enjeux des partis pour faire cause commune, francophones confondus. On tente de sauver les meubles, et au final on perd. Cette fois encore, nous sommes vendus.

Ce n’est pas très classe, tout ça…

Lors de la réforme précédente, en 2001, il fallait obtenir de l’argent pour l’enseignement francophone. Cette fois, les quatre partis francophones demandaient l’élargissement de Bruxelles en cas de scission de BHV : mais il s’est avéré que les régions bruxelloise et wallonne manquaient de moyens financiers. Et nous avons à nouveau servi de monnaie d’échange.

Comment pouvez-vous opérer encore dans un parti, le CDH pour ne pas le nommer, qui vous utilise ainsi comme monnaie d’échange ? Je raisonne toujours dans l’intérêt des habitants de ma commune. Le fait d’avoir au sein de chaque parti des défenseurs de la périphérie est crucial. Car sans liens avec ces différents partis, ils ne vous défendent plus.

La vengeance pourrait être un plat qui se mange froid. Voterez-vous cet accord communautaire les yeux fermés, à la Chambre ? Tout dépendra de la manière dont les droits des francophones en périphérie seront défendus dans les détails. A ce stade, nous connaissons les grandes lignes de l’accord, mais il subsiste encore des zones d’ombre, des sous-entendus. J’ai posé des questions à mon parti, le CDH : ce qui est clair dans leur tête ne l’est pas encore toujours dans les textes. Ils sont prévenus : je voterai en âme et en conscience.

Où est la pacification communautaire tant louée, dans tout ça ?

La pacification ? Non, non, non ! Il faut vivre dans nos communes à facilités pour savoir que c’est l’inverse. Les provocations de l’autorité flamande sont incessantes, dans tout, tout, tout ! Des décisions de la commune sont suspendues ou annulées, les budgets communaux approuvés avec retard par la tutelle, des subsides sont retardés, des projets en matière de travaux publics sont décidés sans nous avertir : on nous ennuie sur tous les dossiers. Soit la Flandre se décide à nous traiter comme les autres communes flamandes, soit elle continuera à nous chercher des poux. Mais nous sommes et nous resterons des citoyens de seconde zone en Flandre, c’est vrai.

Vous avez été nommée bourgmestre par la tutelle flamande, à l’inverse de trois de vos collègues francophones de la périphérie. Vous jouez donc le jeu correctement : mais vous êtes en train de nous dire que cette bonne volonté ne paie pas…

Ma priorité absolue est que mes administrés vivent en paix. Vous savez, une commune de la périphérie n’est pas l’autre, et le contexte est tout différent. Lorsque j’ai entamé mon mandat de bourgmestre, il y a 23 ans, Rhode-Saint-Genèse comptait 51% de francophones et 49% de néerlandophones, là où Linkebeek recense jusqu’à 86% de francophones. Mon public n’est donc pas du tout unilingue francophone. Je dois ainsi tenir compte d’une échevine néerlandophone : si je décide moi-même d’adresser des convocations électorales en français, le gouverneur du Brabant flamand sera immédiatement alerté et interviendra dans l’heure. A Linkebeek ou Crainhem, il leur est possible de garder le silence sur ce genre de décisions, de se rendre à l’imprimerie et le gouverneur du Brabant flamand ne l’apprendra qu’une fois l’envoi des convocations engagé.

Damien Thiéry (FDF) à Linkebeek, Arnold d’Oreye (FDF) à Crainhem, François Van Hoobrouck (MR) à Wezembeek-Oppem, font toujours de la résistance. Cherchent-ils les ennuis ?

Je ne veux pas les juger. Chacun mène sa commune comme il le veut. Mon bilan est là : des francophones continuent à venir s’installer à Rhode. Au scrutin de 2006, j’avais adressé à tous les électeurs de Rhode, comme l’exigeait le gouverneur du Brabant flamand, une convocation électorale en néerlandais mais qui était doublée d’une convocation en français pour les francophones. Je n’ai été nommée bourgmestre qu’en décembre 2007, un an après ma désignation. C’était clairement une manière pour la tutelle flamande de nous diviser, et elle a très bien réussi. Je voulais rester solidaire des autres bourgmestres non nommés, mais on m’a dit : si vous refusez la fonction, elle reviendra au suivant qui était un FDF. A Rhode-Saint-Genèse, j’étais portée par une partie de la population néerlandophone, je ne pouvais laisser un FDF diriger la commune.

Vous comptez récidiver dans l’envoi des convocations électorales en néerlandais et en français aux communales de 2012 ?

Chaque chose en son temps. On a de l’imagination. Je ne cherche pas l’affrontement mais le respect des droits. On ne se laissera pas faire.

Entretien : Pierre Havaux

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