Comme dans l'affaire Wesphael, la plupart des romans de Simenon se déroulent dans la petite sphère familiale. © ÉRIC LALMAND/BELGAIMAGE

Bernard Wesphael, une affaire qui ressemble à du Simenon

Jacques Dubois est docteur en philosophie et lettres et professeur émérite de l’université de Liège. Il est spécialiste de l’oeuvre de Georges Simenon. En marge du procès Wesphael, aux Assises de Hainaut, où l’ex-député wallon affronte des accusations terribles (la mort de son épouse, Véronique Pirotton), nous l’avons sollicité.

Vous qui avez édité l’écrivain liégeois dans la Pléiade, voyez-vous des similitudes entre le drame d’Ostende, ce huis clos de la chambre 602 de l’hôtel Mondo, et l’oeuvre de Simenon ?

Je ne peux répondre que oui. Il y a une tonalité simenonienne dans cette histoire qui concerne des gens ni tout à fait médiocres ni tout à fait sordides, des gens moyens, un peu gris, au départ tout au moins. On a ce mélange extraordinaire de personnages qui sont quand même dignes d’estime, qui auraient pu mieux tourner et qui ont galvaudé leur vie avec l’alcool, les liaisons amoureuses, un manque de cohérence… Georges Simenon a écrit 200 romans, tous très différents. Cela peut aller du roman très épuré à une histoire enchevêtrée et complexe. Ce qui est plutôt le cas ici. La vie de la victime et du présumé coupable sont des vies banales et en même temps compliquées, tordues. Le roman qui m’évoque le plus cette affaire est Lettre à monjuge. C’est l’un des rares romans de Simenon où nous suivons un procès. Souvent, l’enquête est la trame même du roman. Dans Lettre àmon juge, le héros est éperdument amoureux et, pourtant, il étrangle sa jeune amie, une Liégeoise rencontrée dans un bar en France. C’est une histoire d’excès d’amour. Peut-être que, dans le cas présent aussi, il y a de cela… C’est parce qu’il n’a pas pu partager tout le passé de sa compagne, l’alcool, les aventures, que le héros médecin étrangle celle qu’il aime. Je ne voudrais pas en conclure que c’est ce qui s’est passé à Ostende… Ma conviction n’est pas faite sur cette affaire et je ne voudrais pas être un des jurés.

Les milieux familiaux ont-ils le même impact que dans l’oeuvre de Simenon, qui n’a jamais cessé de s’interroger sur sa propre famille ?

Beaucoup d’histoires de Simenon sont domestiques et familiales. Elles se déroulent à l’intérieur d’un petit milieu, avec des écarts, des tromperies, des choses cachées qui ne se révèlent qu’au fil de l’enquête. Le rôle du père est important, tout autant que celui de la mère. Du côté des crimes passionnels en rapport avec deux familles et dans un milieu très circonscrit, on peut songer à La Chambre bleue, dont un film fut tiré récemment. C’est un assez beau roman, plutôt du côté épuré, qui se termine par ce qui relève peut-être de l’erreur judiciaire. Les deux amants qui sont accusés d’avoir tué leurs conjoints respectifs sont condamnés à la perpétuité, et cependant, il y a un doute du côté du personnage masculin. A-t-il participé aux meurtres ? Ou est-ce sa maîtresse qui a tué les deux époux ? Le lecteur ne le saura jamais.

Liège est le théâtre de la rencontre de Bernard Wesphael et de Véronique Pirotton. C’est leur milieu de vie. Cette ville a-t-elle des caractéristiques propres à ce drame ?

Bernard Wesphael est né à Waremme, d’où ma famille est aussi originaire. Liège était la capitale de la principauté du même nom, qui rayonnait sur toute la région. On a vite tendance à y stagner, à s’y mouvoir dans un milieu fermé. Les gens rencontrent toujours les mêmes personnes. Cela ne veut pas dire qu’ils ne voyagent pas mais il y a un accrochage au terroir. Dans l’affaire Wesphael, le père de l’enfant de Véronique Pirotton est étranger, mais il a vécu à Liège. La ressemblance la plus frappante entre cette affaire et l’univers simenonien est le milieu social,  » la petite bourgeoisie simenonienne « . Pour avoir passé beaucoup de temps à lire les 200 romans de Simenon, j’observe que l’affaire Wesphael se passe, elle aussi, dans une classe très moyenne, tirant vers le bas plutôt que le haut. Bernard Wesphael a certes été député mais quand on connaît ses antécédents, il était plutôt du côté des petites gens et ça, c’est très simenonien. Idem, sans doute, pour les Pirotton.

Il y avait, chez les deux partenaires, un vrai besoin de reconnaissance…

Ils ont frôlé des promotions mais cela n’a pas bien tourné pour eux. Dans l’oeuvre de Simenon, en effet, le besoin de reconnaissance des petites gens est très insistant. Dans Pedigree, son roman autobiographique, il raconte que son père, agent d’assurances, était satisfait de son sort, de sa petite vie routinière, alors que sa mère, qui avait été demoiselle de magasin, avait beaucoup d’ambition pour ses fils. L’un est devenu un grand écrivain, l’autre, un rexiste collaborateur. Une double traduction de l’ambition maternelle, qui voulait que ses enfants soient connus et reconnus. Le besoin de reconnaissance est capital pour Simenon mais le romancier ne fait ainsi qu’anticiper sur ce qui est encore plus commun à notre temps.

Trouve-t-on, dans son oeuvre, la figure du triangle amoureux : deux hommes se disputant la même femme ?

Je n’en ai pas le souvenir. Dans L’Assassin, qui se déroule aux Pays-Bas, Kuperus, le héros, est plutôt un homme qui se partage entre deux femmes : sa légitime qu’il tue parce qu’elle a un amant, sa servante avec laquelle il couche, sans parler du type que cache la même servante dans la maison de tous. Exemple de roman compliqué, enchevêtré, conduisant à une sorte de néant…

Finalement, seul Bernard Wesphael sait, au fond de lui-même, ce qui s’est passé dans la chambre d’hôtel. Y a-t-il, dans l’oeuvre de Simenon, des exemples d’introspection ?

Simenon était féru de psychanalyse. Il n’est pas rare que ses héros réfléchissent à leur destin. Plusieurs de ses romans, L’Homme qui regardait passer les trains ou La Fuite de Monsieur Monde mettent en scène des hommes d’âge mûr qui remettent leur vie en question et qui s’en vont. Ils ne se comprennent plus, ils ne supportent plus la routine de leur existence. Ils veulent échapper à la monotonie de leur vie. J’ai employé pour eux le mot de  » déviance  » : ils quittent leur voie à un moment de crise. C’est là que l’on voit combien Georges Simenon a d’affection pour ses personnages. Dans Maigret et les braves gens, il s’avère que le coupable est le frère de l’épouse du mari assassiné. Eprouvée par la mort de son mari, ladite soeur s’arrange cependant pour que son mauvais garçon de frère puisse fuir. Et c’est une illustration de plus de la devise de Simenon :  » Comprendre et ne pas juger.  » La vertu du pardon : tout un programme.

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