Nicolas De Decker

Benoît Lutgen, une certaine idée du calcul

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La figure de Benoît Lutgen est un mystère pour le monde. Pas tant par les airs de rogue Ardennais qu’il cultive bien moins qu’il ne les réfrène, mais parce qu’entre ses « effectivement » et ses « quelque part » gît semble-t-il une pensée.

Cette pensée du  » quelque part  » impalpable en est pourtant bien une, calfeutrée dans le confort formel des formules creuses qui jalonnent l’expression présidentielle, celles d’un  » pragmatique qui a des convictions « ,  » résolument tourné vers l’avenir « , avec des  » valeurs de terrain ancrées dans la réalité concrète « , des  » mains dans le cambouis  » et des  » problèmes pris à bras-le-corps « , bref, avec ces artifices de langage qui voudraient le montrer idéaliste, mais pas idéologue, comme si c’était possible. Parce que chez Benoît Lutgen, le creux n’est pas un vide. La preuve : il n’est ni national, ni socialiste, s’oppose aux méchants capitalistes et aux brutaux communistes, il est Benoît Lutgen, ci-devant radical, toujours postmatérialiste, encore humaniste, et aujourd’hui bienveillant. La bienveillance, c’est la thématique sur laquelle le président et ses camarades de parti feront campagne. Les formations adverses, qui avaient depuis 2002 et à cause de Joëlle Milquet, perdu la possibilité de se déclarer démocrates ou humanistes sont cette fois contraintes de se montrer telles qu’elles sont vraiment, à savoir malveillantes, et c’est bien fait pour elles. L’idéaliste a donc des valeurs, parmi lesquelles la bienveillance, et c’est en effet la bienveillance qui étouffe Benoît Lutgen lorsqu’il place Olivier Maingain  » dans le sac à dos du PS « , ou qu’il rappelle que son frère Jean-Pierre, désormais compagnon de route de DéFI, est toujours sous le coup d’une inculpation, ce qui devrait poser problème à Olivier Maingain.

Quand du u0022quelque partu0022 d’une pensée surgit un nulle part mathématique.

Benoît Lutgen a donc des valeurs, et elles comptent beaucoup pour lui. C’est normal, pour quelqu’un qui ne fait pas de la politique par calcul : les petits jeux politiciens le rebutent, comme les comptes d’apothicaire parlementaire.  » Nos concitoyens méritent mieux que ça !  » dit-il toujours en se poussant du menton. Et puis, il déploie le plus puissant argument de cette rentrée politique :  » Il y a une majorité possible sans le PS et sans la N-VA « , a-t-il déclaré au Soir et à Bel RTL, pour être bien sûr que toute la Belgique le sache. Benoît Lutgen n’est ni nationaliste, ni socialiste, et ça tombe assez bien, parce que la majorité de ses concitoyens non plus. Et il a raison : les groupes PS (23 sièges) et N-VA (31 sièges) à la Chambre n’atteignent pas les 76 nécessaires à la constitution d’une majorité dans un hémicycle qui en compte 150. Mais, avec leurs 73 sièges, les trois autres familles associées, les 34 députés MR et Open VLD, les 12 Ecolo et Groen, et les 27 CDH et CD&V non plus. Pour exister, cette majorité Lutgen sans socialistes ni nationalistes devrait convaincre les députés Vuye et Wouters, ou les trois députés du Vlaams Belang, ou le député du PP, ou les 13 députés SP.A, ou les deux députés du PTB, ou les deux députés de DéFI. Pour composer son gouvernement bienveillant sans socialistes ni nationalistes, Benoît Lutgen aurait besoin de gens plus nationalistes que la N-VA, plus socialistes que le PS, et au fond beaucoup moins bienveillants que le CDH. Ou quand du  » quelque part  » d’une pensée surgit un nulle part mathématique.

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