© Jasper Jacobs/Belgaimage

Ben Weyts, premier ministre du rail flamand

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le responsable N-VA de la Mobilité enfile avec ravissement la tenue de premier machiniste d’une politique ferroviaire flamande, régisseur en chef de treize investissements fédéraux mais fixés et cofinancés par la Flandre. Fier de pouvoir ainsi rendre le rail un peu moins belge. « Dat is historisch. »

Il jubile. Il pavoise. Il dit avoir rendez-vous avec l’Histoire. Il n’est pas loin de se prendre pour le tout premier ministre des chemins de fer flamands. La semaine dernière, aux députés nordistes agréablement surpris, le N-VA Ben Weyts, en charge de la Mobilité au sein du gouvernement régional flamand, annonçait avoir une nouvelle sensationnelle à glisser sous le sapin : « Pour la première fois dans l’histoire, la Flandre va s’asseoir au volant de la politique ferroviaire. Dat is historisch. »

A l’origine d’une telle jouissance, un accord de principe conclu avec son homologue fédéral, François Bellot (ministre des Transports , MR), portant sur une volée de nouveaux investissements ferroviaires au nord du pays. Au total, treize chantiers programmés, annoncés comme un début de délivrance pour une Flandre plus embouteillée que jamais.

La mobilité, la Flandre en fait son affaire depuis que le domaine est devenu matière régionale. Lui échappe encore le rail, « l’épine dorsale du transport public », rappelle Weyts. Une chasse gardée du pouvoir fédéral, qui le serait un peu moins depuis que les Régions peuvent y mettre leur grain de sel.

C’est une dure lutte, engagée depuis 2013 par les gouvernements flamands, qui s’achève ainsi sur un triomphe. C’est que le niveau fédéral a longtemps snobé les appétits du nord du pays. Mais, a confié Ben Weyts aux députés flamands, tout ouïe, la partie a été finement jouée pour enfin décrocher le Graal : « Je n’ai pas voulu me présenter au fédéral, à la tête d’une fanfare et un gros chèque-cadeau à la main. Non, nous avons utilisé le mécanisme du cofinancement comme un levier pour obtenir la réalisation de nos priorités ferroviaires. Et nous avons arraché le fait que la Flandre va non seulement payer mais aussi déterminer les investissements qu’elle financera. En veillant à ce que les plans de la SNCB et d’Infrabel soient adaptés aux desiderata flamands. »

Confondu par tant d’ingéniosité, Ludo Van Campenhout, député N-VA, a frôlé l’extase : « Vous devenez en quelque sorte le machiniste de la politique ferroviaire en Flandre. » Le ministre a rougi sous le compliment. Et n’a pas démenti.

Encore un pan de la Belgique en passe de s’effondrer, avec ses chemins de fer aiguillés sur des voies régionales ? Pas si vite. L’Etat fédéral est encore loin de rester à quai. Jusqu’à nouvel ordre, la SNCB et Infrabel gardent la haute main sur les investissements à l’échelle du pays et sur leur répartition entre le nord et le sud selon la clé de répartition 60/40. Sur 100 euros investis dans le rail, 60 le sont donc en Flandre et 40 en Wallonie.

« Nous ouvrons une nouvelle voie dans l’histoire institutionnelle »

C’est le fédéral qui déboursera 371 millions d’euros pour exaucer les voeux de la Flandre. Laquelle, de son côté, met sur la table 100 millions pour faire l’appoint. Le prix à payer pour obtenir la modernisation de plusieurs lignes intérieures flamandes et l’aménagement de la desserte ferroviaire du port d’Anvers.

De l’argent flamand pour financer le rail toujours belge : Ben Weyts confesse ce poids sur l’estomac : « Que la Flandre paie pour une compétence fédérale n’est pas évident pour moi. Mais nécessité fait loi. » Le lot de consolation en vaudrait la peine : « La part du lion des moyens financiers flamands est à présent consacrée à la réalisation concrète de projets ferroviaires et non plus seulement à des études de faisabilité. »

C’est beaucoup, aux yeux du ministre. Carrément énorme même, à l’entendre : « Selon moi, l’économie et la société flamandes franchissent un pas gigantesque. Nous traçons une nouvelle voie dans l’histoire institutionnelle de ce pays. »

En voiture donc pour une Flandre qui se voit maîtresse du rail posé sur son sol. Le train est en marche, ne s’arrêtera-t-il qu’à la scission pure et simple du chemin de fer belge ? On sait que l’idée trotte dans les têtes pensantes de la N-VA. On sait aussi que le scénario, de l’avis des experts, se heurterait à une foule d’obstacles techniques et de contraintes financières qui transformeraient l’opération en casse-tête et la rendraient fort peu praticable.

Deux d’entre eux, consultés par Le Vif/L’Express, invitent Ben Weyts à quitter son nuage. « Personnellement, je ne vois rien d’historique à cela. Le cofinancement des investissements ferroviaires par les Régions ne me paraît pas significatif. A mes yeux, ce discours relève plutôt du besoin psychologique du gouvernement flamand de se mettre en évidence dans un domaine qui n’est pas le sien », décode Henry-Jean Gathon, professeur d’économie des transports à l’Université de Liège. Celui qui préside aussi le Comité consultatif pour les voyageurs ferroviaires identifie un autre incitant à la régionalisation : « Aux yeux de l’électeur flamand, des grèves qui paralysent le chemin de fer depuis le sud du pays sont autrement plus dévastatrices que de savoir que c’est de l’argent flamand qui finance un bout de rail. »

Joseph Pagano, spécialiste des finances publiques à l’Université de Mons, ne voit lui non plus « rien d’anormal à ce que les Régions interviennent pour définir leurs priorités ferroviaires. Le pas posé en Flandre ne doit pas être surdimensionné. C’est un petit pas mais un pas quand même. Souvenons-nous de ce qui est advenu aux secteurs d’activité dits nationaux dans les années 1980 ». Sidérurgie, textile, construction navale : tous finalement passés au stade régional.

Que le fédéral n’investisse plus assez dans le rail, que la SNCB dans la dèche doive déclarer forfait, ce sont les Régions qui pourront prendre la main. Pour peu qu’elles en aient les moyens. Pas un problème pour la Flandre.

On est en Belgique. On sait comment ça se passe : une fois le pied glissé dans la porte, c’est tout le corps qui finit par passer. La Flandre ne s’est pas faite en un jour. Ses chemins de fer non plus.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire