Bart De Wever © BELGA

Bart De Wever et les moeurs politiques anversoises: « Il a perdu sa pureté »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Cela ne lui arrive pas souvent, mais après sa visite au restaurant étoilé ‘t Fornuis, Bart De Wever a clairement perdu son sens de l’intuition. Finalement, la N-VA fait de la politique comme tous les autres.

« Très ennuyeux », déclare un entrepreneur qui occupe une haute fonction auprès de l’organisation d’employeurs flamande Voka. « C’est très ennuyeux pour Bart De Wever qu’il existe une vidéo dans laquelle on le voit avec des personnages controversés du monde immobilier. Jusqu’à présent, il était au-dessus de la mêlée, mais maintenant il se trouve en plein milieu. Cela lui collera aux basques jusqu’aux élections. Pour beaucoup de gens, la vidéo met fin à l’idolâtrie échue à De Wever pendant des années ».

Cela arrive souvent aux détenteurs du pouvoir: ils maîtrisent le jeu et préparent la réponse avant même que l’opposition se soit agitée. Jusqu’à ce qu’ils trébuchent sur une petite pierre. C’est arrivé aussi au grand communicateur Bart De Wever. Ne soupçonnant rien, le bourgmestre anversois et président de la N-VA s’est rendu accompagné de membres de son parti à une fête organisée au restaurant étoilé ‘t Fornuis, situé à quelques rues de l’hôtel de la ville d’Anvers. Le site d’informations Apache était au courant et a surveillé le restaurant étoilé, connu comme l’un des meilleurs restaurants de la ville, en caméra cachée.

Erik Van der Paal, promoteur immobilier et commanditaire de Land Invest Group, était l’organisateur de la fête. Van der Paal, qui fêtait son 45e anniversaire, n’a pas accueilli les invités dans le restaurant. Non, il les a salués dans la rue, juste devant les caméras d’Apache. Les images n’ont été diffusées qu’un petit mois plus tard : le vendredi 17 novembre, la veille de la réunion du conseil N-VA qui réélirait Bart De Wever président du parti avec 98,5% des voix. Immédiatement, la N-VA a pu lancer sa campagne pour les élections communales sous le slogan : « Veilig thuis in een welvarend Vlaanderen » (En sécurité chez soi, dans une Flandre prospère). Cependant, la campagne a eu nettement moins d’attention que la vidéo d’Apache et la façon dont De Wever a réagi.

La vidéo a été qualifiée d’atteinte de mauvais goût à la vie privée, qui relève davantage des paparazzis américains que de la presse flamande. D’autres ricanaient à la vue du défilé de politiques, d’avocats et de caciques de l’immobilier venus témoigner leurs honneurs à Van der Paal, qui possède manifestement le statut de bonze anversois.

C’était du voyeurisme politique: les images du libéral flamand tombé Geert Versnick qui débarque au restaurant avant même l’hôte ; membres du CD&V local tels que Marc Van Peel et Caroline Bastiaens ; l’échevin sortant Rob Van de Velde (N-VA) qui baisse servilement la tête à la vue de l’hôte. Et de la parlementaire Annick De Ridder (N-VA) qui lui saute au cou. Sa présence alimente la rumeur qu’elle pourrait se retrouver deuxième sur la liste N-VA, au lieu de Liesbeth Homans qui en tant que ministre flamande n’est pas disponible pour un mandat urbain. Sur la vidéo, on peut également voir Bart De Wever, avec son chef de cabinet Philippe Beinaerts et les échevins anversois Koen Kennis et Fons Duchateau, tous deux membres de la N-VA. Selon Apache, il y avait une cinquantaine de personnes présentes à la fête.

Coca Zero

Dès que les images de l’accueil chaleureux ont été rendues publiques, elles ont fait grand bruit. De Wever a essayé de faire taire toutes les rumeurs : « Je connais tous ceux qui peuvent investir et créer de l’emploi à Anvers. Si demain ce n’est plus possible, je m’interroge sur la plus-value d’un politique. J’ai bu un Coca zéro à cette réception. On ne peut se défendre contre une création d’ambiance aussi négative. Elle ruine la politique. »

Généralement, De Wever réussit à communiquer de manière convaincante, mais cette fois, il ne semble pas avoir choisi les bons mots. Le risque que le « Coca Zéro » lui colle aux basques est important. Dans son dernier numéro, le magazine nationaliste flamand ‘t Pallieterke utilise déjà la métaphore du Coca Zéro pour les politiques qui se font passer pour des tigres de réception. Et dans le quotidien Het Laatste Nieuws, Luc Vanderkelen, lui-même connaisseur de la meilleure table, se demande : « Bart De Wever aurait-il vraiment bu un Coca Zéro au Fornuis ? Tout est possible, évidemment, mais que le chef Johan Segers serve du coca à ses hôtes exquis ? Feu le promoteur immobilier Hugo Ceusters appelait le restaurant « sa cantine ». Il y allait tous les jours faire du lobbying pour ses projets immobiliers. Manifestement, ce rôle a été repris par un autre groupe : Land Invest Group. »

Le plus ennuyeux pour De Wever c’est évidemment que la fameuse vidéo Apache ressurgira à tort et à travers. Dans le quotidien De Tijd, Koen Meulenaere s’en prend au bourgmestre anversois : « Comment peut-on être aussi bête que pour aller se faire dorloter par un riche magnat immobilier à qui quelques semaines plus tard on délivre un permis d’une valeur de dizaines de millions d’euros dans un restaurant étoilé avec son collège d’échevins presque au grand complet ? C’étaient juste quelques bouchées, se sont-ils défendus, une petite réception comme la petite relation (‘relatietje’) de Vangheluwe », écrit-il.

Entre-temps, Bart De Wever a un autre problème. Jusqu’à présent, il a pu positionner la N-VA comme un parti qui fait de la politique autrement que les partis « classiques ». Depuis la semaine dernière, ces explications ne prennent plus, certainement pas depuis qu’il a essayé de se justifier en comparant l’approche anversoise à la gantoise. Le problème de De Wever ce n’est pas que la N-VA ait fait quelque chose d’exceptionnel en assistant à cette fête d’anniversaire. Non, son problème c’est l’inverse : la N-VA fait de la politique comme tous les autres.

« Honnêtement, je ne comprends pas bien que De Wever se soit rendu à cette fête », déclare l’entrepreneur qui occupe une haute fonction au sein de Voka. « Le contexte n’était pas bon. Je peux tout de même partir du principe qu’il savait qui serait là ? Moi je demande toujours à ma secrétaire de téléphoner à l’avance pour savoir qui sera présent à cette fête pour déterminer si j’y vais ou pas. Et quand il s’avère qu’il y aura des gens qui figurent dans des procédures dont vous êtes responsable, il ne faut pas y aller. Tout le monde connaît tout de même le sort réservé à la corruption ou aux magouilles avec les permis, mais cela lui collera aux basques. Cela forme un tournant dans la façon dont on regarde Bart De Wever : il a perdu sa pureté. »

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