Malgré cette déclaration, à la fin du discours de Bart de Wever, toute la salle entonne... © Frédéric Pauwels

Bart De Wever, colosse aux pieds d’argile

Triompher n’est pas tout, il reste surtout à confirmer. Bart De Wever, « messie » de la N-VA et homme fort de la Flandre, découvre la grande solitude du vainqueur au lendemain de la bataille. Des vaincus flamands à relever, des troupes à discipliner, des francophones à amadouer.

Veni, vidi » mais pas encore « vici ». Bart De Wever patientera avant d’enrichir, mais rien n’est moins sûr, la collection de citations latines qu’il adore resservir aux grandes occasions. Celle-là, attribuée au glorieux César, n’est pas près d’appartenir au chef de file de la N-VA. Ses troupes ont beau afficher un moral de vainqueur depuis leur triomphe au scrutin du 13 juin, leur leader porté aux nues n’est pas le nouvel imperator. Tout juste le président d’un parti nationaliste flamand propulsé sans crier gare au rang de pivot central de l’échiquier politique belge. Jouer dans la cour des grands, cela vous pose un homme.

Le tribun provocateur, qui rêve tout haut d’en finir avec la Belgique, s’est mué en discret informateur, tout pénétré de la mission confiée par le Palais royal : contribuer au salut de la patrie belge en danger. Première rançon d’un succès électoral qui a dépassé toutes les espérances de la N-VA. Et qui a de quoi effrayer son principal artisan.

Brutale inversion des rôles. Au tour de Bart De Wever de sauter dans l’arène, à ses rivaux malheureux de prendre place au balcon. CD&V, Open VLD, SP.A, LDD, Vlaams Belang, Groen ! : tous ces partis auxquels il a fait mordre la poussière assistent, avec une pointe de délectation, aux premières parades amoureuses esquissées par l’homme qui a fait chavirer la Flandre. Pas question de répondre avec empressement à ses avances, de lui faire ce cadeau-là.

L’appel des partis flamands à se serrer les coudes, lancé par De Wever au soir du scrutin, n’a eu pour pâle écho que des messages polis de félicitations. Proficiat, Bart : à toi de jouer, de mouiller seul ta chemise avant d’essayer habilement de mouiller celle des autres.

Des défis et des pièges, partout De Wever s’en est allé tenter sa chance de l’autre côté de la frontière linguistique. Auprès de cet autre vainqueur incontournable des élections, le PS. De Wever l’informateur aurait déjà volontiers conclu un accord de base avec le parti d’Elio Di Rupo, avant de songer aux autres pièces à incorporer dans un attelage gouvernemental. Là encore, l’homme pressé s’est fait provisoirement éconduire. Tout doux : pas question pour les socialistes francophones de saisir, sans y regarder à deux fois, cette main tendue qui inspire tant de méfiance. Car on ne sait encore trop ce qu’elle signifie et surtout ce que l’autre contient. Et puis cela ferait mauvais genre de s’engager si vite et en solo avec un tel prétendant. Non pas que le PS chasse de ses pensées toute « alliance contre nature » : Laurette Onkelinx avait usé de l’expression pour qualifier l’expérience vécue avec les libéraux au sein de la coalition violette de 2003 à 2007. Un axe fort PS – N-VA mérite mûre réflexion.

Bart De Wever piaffe. L’homme doit se sentir un peu seul, avec ce triomphe qui est le sien avant même d’être celui de son parti. Où qu’il jette le regard, les défis à relever et les pièges à déjouer s’accumulent sur sa tête. Ce groupe de la N-VA démesuré, qui a pris possession du Parlement fédéral : 27 députés, 13 sénateurs, la plupart novices, qu’il va falloir discipliner, tenir à l’oeil pour éviter tout dérapage. Cette loyauté à la cause fédérale qu’il faudra concilier avec une posture radicalement flamingante, pour ne plus dire séparatiste. Des attentes énormes qu’il faudra décevoir. Tous ces partis meurtris, avides de revanche, prêts à savonner la planche sur laquelle ils espèrent voir dégringoler la nouvelle coqueluche de la Flandre.

Tout cela, Bart De Wever le sait. Sans laisser jusqu’ici trahir ses états d’âme ni découvrir ses plus profonds desseins. Même les observateurs avisés de ses faits et gestes s’interrogent. Tel Bart Maddens, politologue à la KUL, et « père » d’une doctrine très en vogue dans les milieux politiques flamands qui vise à pousser les francophones à demander une réforme de l’Etat : « Peu de gens en Flandre, y compris au sein de son propre parti, savent ce que Bart De Wever va faire. » Chassé le temps de sa mission d’informateur royal, son naturel reviendra-t-il au galop ? La réponse est très attendue.

PIERRE HAVAUX

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