Carte blanche

Avoir de la Suisse dans les idées (carte blanche)

Pour sortir de l’impasse politique, l’avocate Vicki Strapoci propose la mise en place d’un gouvernement fédéral à la suisse et une plus grande place laissée aux citoyens.

La Belgique n’a pas de gouvernement fédéral de plein exercice depuis plus d’un an. Est-ce parce que le pays est ingouvernable ? Est-ce une fatalité si c’est le cas ? L’idée selon laquelle nous vivrions dans le « pays du surréalisme » permet de faire passer notre résignation pour de l’ironie rigolarde. Qu’elle ne nous empêche pas d’agir ou de débattre pour autant. Le pays est en crise parce que ses représentants ne semblent pas en mesure de répondre à deux principes centraux du gouvernement moderne.

Rassembler pour régner : deux idées

Juste ou injuste, légitime ou illégitime, moral ou immoral, l’État a pour objectif intrinsèque d’assurer le gouvernement collectif de la population. Au-delà même de sa dimension démocratique, une des fonctions essentielles de l’élection est de permettre à la fois le renouvellement et la pérennité du gouvernement. Ni moins, ni plus.

Par ailleurs, un régime politique légitime doit reposer sur l’assentiment de tous. Cette exigence ne requiert pas que tous soient d’accord avec le contenu des décisions prises, mais qu’ils soient d’accord avec la manière dont la décision est prise. Or, les citoyens sont de plus en plus nombreux à penser qu’ils sont impuissants et incompris, et que le pouvoir politique est lui-même impuissant et incompréhensible. En Belgique, ce sentiment est accru par le fait que le débat institutionnel est organisé de telle sorte qu’il échappe à la compréhension du plus grand nombre.

Ces deux principes répondent à des aspirations paradoxales. On veut à la fois des décisions plus rapides et plus efficaces, mais aussi plus patientes et plus participatives. On exige des représentants qu’ils tiennent leurs engagements tout en leur demandant d’être capables de prendre distance avec celles-ci au nom de l’intérêt général. Enfin, ces aspirations rencontrent en Belgique des obstacles particuliers. D’une part, les familles politiques traditionnelles recueillent aujourd’hui moins de 50 % des voix des électeurs du pays, ce qui rend plus difficile la formation d’un gouvernement stable. D’autre part, plusieurs études montrent que les opinions publiques néerlandophones et francophones diffèrent peu mais que les paysages politiques des deux communautés s’éloignent de plus en plus. La formation d’un gouvernement fédéral n’est, aujourd’hui, pas une priorité pour certains des acteurs assis autour de la table.

Hocus Pocus

Comment répondre aux aspirations évoquées plus haut ? Changer les règles du jeu ne suffit jamais à changer le jeu lui-même. Les deux propositions qui suivent n’apparaissent toutefois pas plus déraisonnables que de tenter depuis huit mois d’organiser les noces du PS et de la NVA.

Premièrement, si la négociation d’un gouvernement fédéral s’avère si difficile, pourquoi ne pas envisager un dispositif organisant à l’avance la composition du gouvernement ? Ce système existe en Suisse. Ce que les Suisses appellent eux-mêmes la « formule magique » depuis 1955 consiste à composer d’office le gouvernement en fonction de la représentativité des partis les plus importants du pays.

Concrètement, cela signifie que les 15 ministères du gouvernement fédéral seraient automatiquement répartis en fonction des scores obtenus par chaque parti lors des élections fédérales. Les modalités de la mesure peuvent bien sûr grandement varier. Toutefois, on pourrait imaginer que la « formule magique » doive assurer une majorité renforcée – 60 % par exemple – du corps électoral afin qu’elle ne revienne pas agréger des courants politiques à la fois dominants et radicalement opposés. On pourrait imaginer également qu’elle assure la représentation d’au moins deux partis de chaque communauté linguistique, ou qu’elle se couple à la constitution progressive de partis-coupoles nationaux. On pourrait par ailleurs s’assurer que chacun des partis représentés s’engage a respecter le titre 2 de la Constitution relatif aux droits et aux devoirs du citoyen.

Une telle formule magique ne constitue donc pas une variante des coalitions-miroirs un moment évoquées par le président du CD&V Joachim Coens, puisqu’elle s’appuie sur les résultats des élections fédérales, et non sur une reproduction au niveau fédéral des alliances conclues au niveau des communautés.

Elle présente ce faisant une série d’avantages. Elle assure d’office la mise en place d’un gouvernement fédéral. Contrairement aux apparences, elle respecte davantage le choix des électeurs, puisqu’elle empêche les partis politiques d’interpréter à leur guise les résultats des élections. Enfin, la coexistence au sein du gouvernement de partis aux programmes très différents représente bien sûr une difficulté importante mais aussi une dimension intrinsèque de la vie démocratique : il s’agit par ailleurs déjà d’un défi de fait aujourd’hui.

Cela signifie-t-il que les partis francophones pourraient être amenés à cohabiter avec la NVA ? Oui, comme la NVA sera probablement contrainte de cohabiter avec le PS, sans pour autant avoir l’assurance d’obtenir une réforme de l’État en récompense de son supplice. De manière générale, il semble difficile d’en appeler à la fois à l’unité du pays et à la formation d’une coalition n’incluant en son sein que les Flamands qui conviennent.

Par ailleurs, la « formule magique » ne conduit-elle pas à une dépolitisation de l’action gouvernementale ? Le choix négocié d’une coalition ne permet-elle pas du moins d’opérer des choix politiques clairs, ou en tout cas d’assurer un minimum de cohérence dans l’action gouvernementale ? Disons d’abord que nous écrivons ces lignes précisément parce que, huit mois après les élections fédérales, l’adoption de ces choix politiques clairs semblent relever aujourd’hui de la science-fiction. Admettons cependant que le dispositif envisagé tend à neutraliser le débat politique, et à empêcher une véritable alternance politique.

Pour notre gouverne

Une deuxième réforme importante est donc nécessaire : il faut donner la possibilité au citoyen de se prononcer directement sur les choix politiques qui sont posés à la communauté. Il faut donc modifier la Constitution afin de permettre la tenue de référendums.

Liées au souvenir de la Question Royale, l’instauration du référendum fait l’objet de réactions étrangement irrationnelles de la part du personnel politique : il convient du moins de noter que les parents de celles et ceux qui sont en charge du pays n’étaient pour la plupart pas nés lors de la consultation populaire.

Le référendum revient bien sûr aux sources de l’idéal démocratique : chaque citoyen dispose d’un droit égal à peser sur la décision collective. Mais il présente aussi de nombreux avantages en termes de délibération et de gestion publique. Le référendum permet d’organiser un débat public dépassant forcément les frontières communautaires, sans pour autant nier celles-ci. Organisé sur une base régulière, il peut être puissant outil d’intégration et d’éducation civique. Là où l’élection ne donne aux élus qu’un mandat finalement imprécis, il permet d’isoler clairement l’enjeu qui est discuté. Il permet de politiser cet enjeu, et de mieux clarifier les désaccords à son propos.

Ce faisant, pourquoi ne pas envisager que les futures réformes de l’État puissent aussi être soumises à référendum ? Il y a toujours une part de négociation dans une réforme de l’État. Mais il est temps que le dernier mot revienne aux citoyens plutôt qu’à une douzaine de négociateurs émergeant blafards d’une cave retirée, imposant à l’opinion publique un accord dont les termes ne auront pas été mis à l’agenda en campagne, dont les arguments n’auront pas été débattus publiquement et dont les points délicats auront été rédigés de manière volontairement incompréhensibles.

Ces deux propositions se complètent. Si elles ne suffiront pas à sauver la Belgique ou la démocratie, elles garantissent la formation du gouvernement et vivifient le débat démocratique. Faut-il s’en effrayer ? La Suisse y a en tout cas survécu jusqu’ici.

Vicki Strapoci, avocate.

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