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« Avec le PTB, il faut non pas un cordon sanitaire, mais un débat salutaire »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le parti d’extrême gauche ne menace pas les droits et les libertés hérités des Lumières, au contraire de l’extrême droite, argue le député fédéral Ecolo Marcel Cheron. Il n’est pas pour autant favorable à des alliances avec lui.

Marcel Cheron commente les négociations ouvertes avec le PTB dans plusieurs communes de Bruxelles et de Wallonie en tant que député fédéral Ecolo et historien. Il explique pourquoi un cordon sanitaire autour du PTB ne se justifie pas.

Comment qualifieriez-vous le PTB ? Gauche populiste ? Extrême gauche ?

Je le qualifierais certainement de gauche populiste. J’hésite parfois entre gauche radicale et extrême gauche. Mais j’avoue que c’est un débat sémantique qui me laisse un peu froid.

Faites-vous une différence entre le populisme de gauche et le populisme de droite ?

Oui. Quand il a été mis en oeuvre à partir de 1991, le cordon sanitaire répondait à l’émergence, essentiellement en Flandre, de l’extrême droite, le Vlaams Blok en l’occurrence, un parti ouvertement raciste, xénophobe et qui portait des valeurs contraires aux principes fondamentaux et au respect des droits et libertés tels que décrits par le siècle des Lumières et par sa traduction dans les conventions européennes. Il était légitime de prôner quelque chose d’assez radical en contrepartie du radicalisme de ce parti. L’honnêteté intellectuelle impose de reconnaître que le PTB n’est pas un parti développant des propositions racistes, xénophobes, contraires aux principes fondamentaux des conventions européennes. Je veux combattre ses idées. Certes, elles sont fondées sur des diagnostics que, souvent, on peut également dresser comme les errements de la financiarisation de l’ultralibéralisme. Mais les réponses que le PTB y apporte sont fondées sur des principes qui ne sont pas économiquement viables et qui remettent en cause l’autonomie des individus et aboutissent tout le temps à une restriction des droits et des libertés individuelles et collectives. J’ai passé beaucoup de temps à lire Marx, et surtout les diverses mises en oeuvre politiques de sa doctrine, je sais historiquement comment ça se termine : par un désastre économique et social et par des atteintes graves aux libertés individuelles. Je ne suis pas en train de dire que le PTB va instaurer cela, mais le processus intellectuel à l’oeuvre dans ce parti nie l’autonomie des individus.

Marcel Cheron, député fédéral Ecolo, négociateur de la sixième réforme de l'Etat et historien.
Marcel Cheron, député fédéral Ecolo, négociateur de la sixième réforme de l’Etat et historien.© Didier Lebrun/photo news

Donc, pour vous, le PTB défend une idéologie communiste à l’ancienne ?

D’abord, il est très difficile de se faire une opinion en regard de la transparence pratiquée par tous les autres partis. Le PTB est tout sauf transparent. Personne n’a accès à la réalité de ses réflexions, de ses congrès, de ses bureaux… La transparence que ses élus réclament à juste titre sur des sujets socio-économiques, ils ne l’appliquent pas à eux-mêmes. Ensuite, le PTB avance masqué et préfère jouer le populisme des constats antiestablishment. Enfin, quand il peut saper les institutions, y compris l’assemblée parlementaire, il ne s’en prive pas.

En quoi pouvez-vous affirmer que le PTB sape les institutions ?

Il dénonce chaque fois des éléments précis des statuts du parlementaire. Cela peut paraître sympathique : il s’attaque à de vraies dérives qu’écologistes, nous avons nous-mêmes dénoncées depuis des années et qui sont en passe d’être réglées – Publifin et les autres. Mais le Parlement n’intéresse pas en soi les dirigeants du PTB. Quand Raoul Hedebouw pose ses questions à la Chambre, c’est la vidéo que le parti va réaliser de son intervention qui l’intéresse, pour la montrer sur le terrain puisque, pour lui, le pouvoir est dans la rue.

Ce que vous décrivez ne justifie-t-il pas l’instauration d’un cordon sanitaire ?

Au contraire. Il faut non pas un cordon sanitaire mais un lieu de débat salutaire pour démontrer que, derrière les attaques populistes, c’est le programme du PTB qui ne va pas. Tous les modèles passés qui se sont basés sur cette idéologie ont échoué. Pas un n’a fonctionné.

Concevez-vous que certains ouvrent des négociations pour les associer au pouvoir ?

Le Parti socialiste, qui est particulièrement menacé par le PTB, a une stratégie que nous connaissons bien à Ecolo : associer au pouvoir une formation politique pour l’affaiblir en la confrontant au réel et à la contrainte de la gestion. J’ai refusé à l’époque de participer à la mascarade des convergences de gauche, portées par Elio Di Rupo. Ce jour-là, j’étais parti courir en Bourgogne. Le même mécanisme est testé à nouveau, avec plus ou moins de cynisme ou de sincérité en fonction des individus : soit le PTB refusera, soit, en cas d’accord, il devra se plier à un certain nombre de diktats qu’il refuse aujourd’hui.

La même stratégie prévaut-elle à Molenbeek, selon vous ?

Non. Là, je pense que c’est idéologique et lié au marxisme de l’historien Philippe Moureaux et de sa fille. La démarche est sûrement sincère ; ce qui pose un problème parce qu’elle vise à recréer un système qui a montré toutes ses limites, basé sur le clientélisme et le communautarisme.

Quel impact d’éventuelles alliances avec le PTB pourraient-elles avoir au nord du pays ?

Désastreux. Le PTB associé à de grandes majorités en Wallonie, c’est du pain bénit pour Bart De Wever.

De façon justifiée ou instrumentalisée ?

Les deux. Par l’instrumentalisation qu’il en fera. Et en regard de la réalité. Il aura raison de dire qu’il y a bien deux démocraties et deux manières différentes de concevoir des projets de société. Propulser le PTB comme parti phare de la gauche, très peu pour moi. Je défendrai toujours, à titre personnel, l’idée qu’il ne faut pas s’associer au PTB.

D’autant qu’en Flandre, le cordon sanitaire tient par rapport au Vlaams Belang ?

Pour le moment, en tout cas. Car on n’a pas été très loin de sa rupture à Ninove. On peut raisonnablement avoir quelques inquiétudes sur une forme de banalisation du Vlaams Belang et sur le fait qu’au sein de la N-VA même, il y a des éléments qui flirtent de plus en plus avec les prémices de dérapages un peu analogues. A cet égard, Theo Francken a, pour beaucoup d’écologistes, déjà franchi les limites. C’est très inquiétant.

Est-ce une des raisons pour exclure une coalition avec la N-VA ?

J’ai participé à quelques réformes de l’Etat et en particulier à la dernière. Il nous est arrivé, à Ecolo, de discuter avec la N-VA en compagnie du PS et du CDH. C’était très difficile. Mais je ne suis pas du genre à dire à l’avance :  » On ne fera pas ça.  » Je ne vois pas pourquoi on devrait dresser un cordon sanitaire autour de la N-VA, parti qui n’est pas de la même nature que le Vlaams Belang. Cela étant, affirmer que la probabilité politique est forte, pour Ecolo et Groen, sur la base de programmes extrêmement opposés, de sceller une coalition avec la N-VA, ça, c’est autre chose. Mais refuser a priori d’envisager de discuter avec la N-VA serait méconnaître des résultats qui, peut-être, vont nous obliger à le faire. Qui peut affirmer aujourd’hui que la N-VA ne sera pas le parti central en Flandre dans six mois ? Si c’est le cas, on le nie ? Dans ce cas, on active encore plus vite le confédéralisme. Je ne m’y résous pas. Il serait quand même paradoxal de ne pas établir de cordon sanitaire autour du PTB et d’en dresser un contre la N-VA. La N-VA est devenue la formation représentative d’une sorte de classe moyenne ascendante, qui en a marre de soutenir une Wallonie qu’elle perçoit comme défaillante, qui veut vivre sa propre vie et qui, sur beaucoup de sujets, diffère radicalement de ce qui est majoritairement pensé dans le sud du pays ou à Bruxelles. C’est une réalité. Pour autant, ces gens-là sont-ils fascistes et faut-il s’interdire définitivement de même commencer à discuter avec eux ? La question se posera peut-être en 2019, lorsqu’il s’agira de constituer un gouvernement fédéral. Alors, ce serait abandonner l’idée même d’en faire un la prochaine fois.

Des négociations postélectorales

A Charleroi, Liège, Herstal et Molenbeek, le Parti socialiste a invité le Parti du travail de Belgique (PTB, extrême gauche) à des négociations en vue de la formation de coalitions au niveau communal pour répondre au message de l’électeur qui, lors du scrutin du 14 octobre, a assuré une progression significative à la formation de Raoul Hedebouw. En milieu de semaine, aucune n’avait réussi ou capoté. Cette démarche a pourtant déjà suscité des réactions virulentes en Flandre. Membre du CD&V, Rik Torfs a prôné l’instauration d’un cordon sanitaire autour du parti d’extrême gauche. Sa branche néerlandophone, le PVDA, négocie, elle aussi, avec le SP.A du côté de Gand et d’Anvers.

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