L'un des deux frères est était le responsable des attaques du métro de Maelbeek © REUTERS

Attentats : et s’il n’y avait pas eu de bombes ?

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Pourquoi la Belgique n’a-t-elle pas appliqué dans les temps un règlement européen interdisant la vente des précurseurs d’explosifs ? Ces produits, pouvant servir à fabriquer des bombes, n’auraient plus dû être librement commercialisés dès septembre 2014. Mais ce n’est qu’après les attentats de Paris que les autorités ont pris les choses en main.

Quatre kalachnikovs, quatre armes de poing, des munitions. L’arsenal découvert lors de la perquisition du 15 janvier 2015 laissait planer peu de doutes quant aux intentions de djihadistes présumés retranchés dans cet appartement de Verviers. Faire pleuvoir les balles. Comme les frères Kouachi à Charlie Hebdo une semaine avant eux, à Paris. Comme Amedy Coulibaly à l’Hyper Cacher, dans la capitale française. Comme Mehdi Nemmouche au Musée juif de Belgique, à Bruxelles. Comme Mohammed Merah à Toulouse et Montauban. Mais cette fois, il n’allait pas être seulement question de mitrailler. Dans la planque, les policiers trouvent du TATP. Le même explosif que ceux actionnés à Paris le 13 novembre 2015. Le même que ceux qui allaient servir ensuite à Zaventem et Maelbeek, le 22 mars de cette année.

Des balles et des bombes. Les terroristes sont passés à la vitesse supérieure. Après les attentats de Bruxelles, les enquêteurs révèlent avoir retrouvé à Schaerbeek 15 kilos d’explosifs, 150 litres d’acétone et 30 litres d’eau oxygénée. Des « précurseurs d’explosifs », lorsqu’ils tombent entre de mauvaises mains, que l’on peut acheter en toute légalité.

Pourtant, ces produits n’auraient plus dû être librement disponibles. Plus depuis le 2 septembre 2014. Ainsi en a décidé un règlement européen, voté le 15 janvier 2013. A l’époque, le terrorisme n’est qu’une irréelle crainte. Même si certains précédents ont alerté le Parlement européen. Comme Anders Behring Breivik, qui, en 2011, en Norvège, a conjugué tuerie de masse et bombe artisanale.

Le règlement comporte trois mesures. D’abord l’interdiction de la vente de certaines substances (comme l’eau oxygénée ou peroxyde d’hydrogène, de son nom scientifique) au grand public. D’autres produits, telle l’acétone, restent commercialisables mais l’acheteur doit s’identifier et remplir un formulaire décrivant l’utilisation prévue. Enfin, toutes les transactions suspectes doivent être signalées à un point de contact spécialement créé. Au départ, la Belgique figure parmi les bons élèves. En 2013, avant l’entrée en vigueur du règlement européen, le gouvernement fédéral a mis sur pied un point de contact national. Puis… rien. Jusqu’au lendemain des attentats de Paris.

Un brin de droit européen s’impose : à la différence d’une directive, un règlement ne doit pas être transposé. Il est normalement applicable tel quel. Sauf quand les Etats membres doivent prendre des mesures complémentaires. Ce qui aurait dû être le cas pour les précurseurs d’explosifs, confirment plusieurs spécialistes.

Coquille vide

En Belgique, les substances sont donc restées en vente libre, alors qu’elles n’auraient plus dû l’être depuis le 2 septembre 2014. « Il y avait ce point de contact national, mais sans les deux autres mesures, c’était une coquille vide ! » s’exclame un expert des questions de sécurité. La police fédérale refuse de révéler le nombre de cas suspects rapportés, « étant donné le contexte actuel ». Le point de contact n’a fait l’objet d’aucune campagne de publicité auprès des commerçants. Seuls les grands acteurs du secteur ont été informés via une brochure distribuée par la FEB.

Pourquoi la Belgique n’a-t-elle pas fait ses devoirs européens ? En octobre 2013, la ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet (CDH), se montre pourtant consciente des enjeux. « L’ordonnance entre en application le 2 septembre 2014, en d’autres termes les Etats membres ont encore onze mois pour en implémenter les dispositions », signale-t-elle en réponse à une question parlementaire.

Le gouvernement fédéral a finalement mis près de deux ans à « implémenter ». En août 2015, le SPF Economie produit une « analyse d’impact intégrée ». Sans suite jusqu’au 24 novembre 2015, lorsque le ministre de l’Economie, Kris Peeters (CD&V), demande un avis à l’inspection des finances. Les attentats de Paris, survenus onze jours plus tôt, ont-ils servi d’électrochoc ? En tout cas, les étapes s’enchaînent, selon les documents internes que Le Vif/L’Express a pu consulter : quatre réunions en intercabinets entre le 21 décembre et le 22 janvier, suivies des avis des cabinets concernés, de réunions du groupe de travail… Le 8 avril dernier, une note finale est envoyée au conseil des ministres. Le 15 avril, celui-ci annonce « la mise en oeuvre du règlement européen sur la commercialisation et l’utilisation de précurseurs d’explosifs ». Sans préciser que cet avant-projet de loi (actuellement étudié par le Conseil d’Etat) arrive en retard…

Le dossier semble s’être perdu dans les méandres des cabinets ministériels. Porté par l’Intérieur en 2013, il a finalement abouti à l’Economie (qui gère les autorisations de transport d’explosifs, les autorisations de stockage…), via la Santé qui (comme l’Intérieur) aurait jugé que ce n’était pas de son ressort. « On tourne, on tourne, on tente de refiler le « bébé » et, au final, il ne se passe rien », considère l’expert en sécurité. « Ça a pris un peu de temps pour identifier qui était responsable, confirme Chantal De Pauw, porte-parole du SPF Economie. On n’est pas dans les temps, on est en infraction, mais la loi devrait entrer en vigueur en septembre. Alors, on sera pleinement en ordre et on fera une campagne de communication. »

La commission d’enquête parlementaire, qui entend faire la lumière « sur les circonstances des attentats », se penchera-t-elle aussi sur cet aspect ? Par ailleurs, et pur couper court à toute tentation de bashing, il faut noter que la Belgique n’est pas la seule à blâmer : la France, les Pays-Bas, l’Espagne et le Luxembourg sont, eux aussi, seulement occupés à concocter une loi.

Des balles et des bombes. Et s’il n’y avait eu « que » des balles ? Nul ne peut réécrire l’histoire. Nul ne peut cependant s’empêcher de s’interroger : « Et si ? » Et si la vente du peroxyde d’hydrogène avait été interdite ? Et si l’identification en cas d’achat d’acétone avait été effective ? Peut-être que cela aurait alerté les autorités, ou fait remonter le nom d’un ou de plusieurs suspect(s) au-dessus de la pile. Peut-être que les terroristes auraient contourné la loi. Peut-être celle-ci leur aurait compliqué la tâche. Peut-être.

Par Mélanie Geelkens

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