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Armes nucléaires : la Corée du Nord peut dire merci à la Belgique

Muriel Lefevre

Les armes nucléaires de la Corée du Nord ont un « je-ne-sais-quoi » de belge, révèle De Morgen.

L’usine de traitement où Kim Jong-un fabrique le plutonium pour ses armes nucléaires est une copie d’Eurochemic, une usine pilote de retraitement chimique qui était opérationnelle à Dessel dans les années 1960 et 1970. Une information confirmée pour la première fois par Belgoprocess, le repreneur d’Eurochemic.

Il n’est pas difficile de détecter quand la Corée du Nord se lance dans la production de Plutonium. Les satellites-espions perçoivent alors une intense chaleur sur le site de Yongbyon. Ce que les gens savent moins, c’est que la technologie utilisée pour ce complexe s’inspire directement du projet pilote lancé dans les années 60 et 70 à Dessel en Belgique.

Cette usine pilote de retraitement chimique de combustible nucléaire a été financée par 13 pays de l’OCDE entre 1966 et 1975. Elle reste la seule entreprise à avoir mené des travaux de recherches et une exploitation industrielle sur le plan international dans le domaine particulièrement complexe et sensible du recyclage des combustibles nucléaires.

La Belgique va prendre le lead du projet en tant que leader mondial des combustibles nucléaires. Une position acquise après avoir fourni, dans les années 1940 et 1950, du minerai d’uranium du Congo belge pour les armes nucléaires américaines. L’importance stratégique de l’usine pilote a été soulignée par son emplacement situé sur des terrains appartenant à la famille royale précise De Morgen.

À Eurochemic, on collectait du combustible utilisable provenant du combustible nucléaire irradié. On séparait l’uranium, le plutonium et les déchets nucléaires. Le recyclage visait la réutilisation civile dans les centrales nucléaires, une première mondiale. Le manque de perspective commerciale va néanmoins mettre à mal le projet qui ne fera pas long feu en raison des coûts d’exploitation élevés. Il sera arrêté dès 1975 et c’est l’État belge qui hérite de l’installation. Il la maintiendra encore durant 10 ans avec 190 employés avant de définitivement jeter l’éponge près de dix ans plus tard. Nettoyer le site va par contre s’avérer une opération très onéreuse et ne sera achevée qu’en 2012 par Belgoprocess.

Néanmoins les techniques utilisés sur le site ont été et ont permis une « seconde vie » à Eurochemic qui se reconvertira dans la gestion des déchets radioactifs résultants de son exploitation avant d’être liquidée en 1990.

Naïveté

La technique utilisée était alors une première mondiale puisque pour la première fois on recyclait du combustible de centrale nucléaire pour en faire de la nouvelle matière fissile. La technique n’était cependant pas une véritable nouveauté puisqu’on l’avait déjà utilisé sur le projet militaire Manhattan, le nom de code derrière l’extraction du plutonium utilisé pour la bombe nucléaire de Nagasaki. A ce détail près que si les Américains avaient jalousement tenu pour eux les secrets de fabrication, les scientifiques d’Eurochemic ne voyaient aucune raison de ne pas diffuser leurs connaissances sur ce qui, à leurs yeux, était « projet écologique ». A aucun moment, ils n’ont songé que leur création pouvait facilement être détournée dans un but militaire.

Les Belges semblent également avoir eu du mal à tenir leur langue. Le journaliste de recherche Mark Hibbs, spécialisé dans les affaires nucléaires, a déclaré dans une interview à The Atlantic en 2013 que des agents nord-coréens avaient participé à une conférence à Vienne dans les années 1980 et que certains Belges chargés de la conception de l’usine de retraitement du plutonium avaient été fort prolixes. « 

Pour fabriquer des armes nucléaires avec de l’uranium, il faut enrichir le minerai naturel. Cette technologie, les Nord-Coréens l’ont acquise au début des années 90 suite à un échange de savoir avec le Pakistan. Le célèbre scientifique Abdul Qadir Khan, également formé en Belgique et aux Pays-Bas, aurait été au coeur de cet échange dit De Morgen. Il a été nommé ingénieur-métallurgiste à la KU Leuven en 1972 où il s’est lié d’amitié au défunt professeur Martin Brabers. Par son biais, il rejoint une société néerlandaise qui avait accès à l’usine d’enrichissement d’Urenco. Khan pouvait dès lors espionner à loisir pendant trois ans et sous le nez des services de renseignement. Il va ensuite emporter ses secrets au Pakistan afin de développer avec succès une arme nucléaire pakistanaise dès 1998. Barbers va encore longtemps entretenir des contacts avec Khan. Pour le quotidien, Barbers était soit très naïf, soit « il faut y voir autre chose ».

Le régime nord-coréen a profité de cette naïveté et réussit, dès les années 1980, à construire une copie de cette usine de traitement. Il faudra pourtant attendre 2010 avant qu’un éminent scientifique nucléaire américain, qui a visité Yongbyon, lache, en passant, que l’usine ne pouvait être qu’une copie d’Eurochemic. Une constatation qui aurait mérité un peu plus de publicité, selon Luc Barbé, spécialiste belge du nucléaire, tant il est convaincu « que l’installation pilote de Dessel a servi de fondement au programme d’armement nucléaire nord-coréen ».

Belgoprocess, qui a démantelé Eurochemic il y a quelques années et hérité de ses archives, reconnaît pour la première fois qu’il y a bel et bien une similitude entre les deux usines. « Que le principe et le processus de travail de l’usine de retraitement de Yongbyon s’appuient sur ceux d’Eurochemic est plus que probable au vu du contexte historique », explique Bart Thieren de Belgoprocess dans De Morgen. Selon lui, « le partage de connaissances acquises entre les pays participants était justement l’un des objectifs du projet ». Du coup, « il n’était pas si difficile pour un pays comme la Corée du Nord de réunir des informations à travers des rapports scientifiques, des documents et des conférences « . Eurochemic a également été largement documenté et archivé dans les bibliothèques scientifiques, « formant ainsi une base de données avant la lettre ».

Belgoprocess offre aujourd’hui son expertise si l’usine de retraitement de Yongbyon devait être démolie dans le cadre d’un accord de désarmement. « Belgoprocess a recyclé plus de 95% des matériaux d’Eurochemic, son savoir-faire pourrait donc être d’une aide précieuse » précise Thieren.

Regain d’activité sur un site nord-coréen d’essais nucléaires

Pyongyang a intensifié ses travaux de terrassement dans un tunnel de son principal site d’essais nucléaires, a affirmé vendredi 12 janvier un site internet spécialisé, alors que la situation s’est nettement apaisée sur la péninsule depuis le début de l’année. Le site très respecté « 38 North » appuie ses dires sur l’interprétation d’images satellites qui montrent une activité plus importante sur le site de Punggye-ri, où l’on voit notamment des chariots miniers, des ouvriers ou encore des amoncellements de plus en plus grands de déchets d’excavation. « Ces activités témoignent des efforts continus de la Corée du Nord pour entretenir les capacités du site de Punggye-ri en vue d’éventuels essais nucléaires futurs », indique le site internet.

La Corée du Nord a réalisé six essais nucléaires, donc cinq sous le Mont Mantap, à partir du Tunnel Nord du site de Punggye-ri, dans le nord-est du pays. Après une série de secousses sismiques repérées sur le site, « 38 North » avait indiqué en octobre que le site de Punggye-ri pourrait être affecté par le « syndrome de la montagne fatiguée » à la suite du dernier essai. Le « syndrome de la montagne fatiguée » décrit un site dont la structure géologique a été fragilisée par des explosions nucléaires souterraines répétées. « 38 North » jugeait cependant peu probable que le site de Punggye-ri soit abandonné, en pointant l’existence d’autres tunnels.

Après observation des dernières photos satellites, « 38 North » indique que le Tunnel Nord semble « en sommeil », avec de l’eau s’écoulant de son entrée. Mais il observe que « les excavations se sont accélérées au Portail Ouest ». Ailleurs sur le site, « 38 North » fait état d’activités inhabituelles avec notamment 100 à 120 ouvriers alignés dans une cour, pour une raison inconnue. Ces clichés datent de décembre, soit peu avant que le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un ne fasse, à l’occasion de son adresse annuelle du Nouvel An, un rare geste d’ouverture en direction du Sud.

Armes nucléaires : la Corée du Nord peut dire merci à la Belgique
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Ce changement d’attitude, après deux années de tensions sur la péninsule en raison des programmes nucléaires et balistiques du Nord, a permis la tenue mardi des premières discussions Intercoréennes en plus de deux ans. La Corée du Nord a accepté à cette occasion d’envoyer en février une délégation aux jeux Olympiques d’hiver qui auront lieu à Pyeongchang, en Corée du Sud.

Trois des six essais nucléaires nord-coréens ont été réalisés depuis le début 2016. Le dernier en date, le plus puissant, date de septembre.

Les étapes-clés des programmes balistique et nucléaire

Rappel des étapes-clés des programmes balistique et nucléaire de la Corée du Nord

Les débuts, à la fin des années 1970

Le Nord commence à travailler à la fin des années 1970 sur une version du missile soviétique Scud-B (portée de 300 km), avec un premier essai en 1984.

Entre 1987 et 1992, Pyongyang met au point des missiles de longue portée, dont le Taepodong-1 (2.500 km) et le Taepodong-2 (6.700 km).

En 1989, des photos satellites américaines dévoilent l’existence d’un centre nucléaire à Yongbyon, au nord de Pyongyang.

1994 : accord avec Washington –

En octobre 1994, accord bilatéral entre les États-Unis et la Corée du Nord, qui s’engage à démanteler son programme nucléaire militaire en échange de la construction de réacteurs civils. Cet accord intervient trois mois après le décès de Kim Il-Sung, remplacé par son fils, Kim Jong-Il.

Fin 2002, Washington accuse Pyongyang de poursuivre un programme secret en vue d’obtenir de l’uranium hautement enrichi. La Corée du Nord expulse les inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) puis se retire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP).

2006 : premier essai

Le 9 octobre 2006, Pyongyang qui avait mis fin en mars 2005 au moratoire sur les missiles de longue portée, procède à son premier essai nucléaire. Le Conseil de sécurité de l’ONU vote des sanctions économiques et commerciales, dont le champ sera élargi et qui seront renforcées à plusieurs reprises. En février 2007, Pyongyang accepte de démanteler son programme nucléaire et d’accueillir des inspecteurs de l’AIEA, en échange d’un million de tonnes de carburant et de son retrait de la liste des Etats qualifiés de terroristes par Washington.

2009 : deuxième et troisième essais

En avril 2009, Pyongyang quitte les négociations à Six (les deux Corée, la Chine, la Russie, les États-Unis, le Japon) entamées en août 2003, puis réactive son programme nucléaire. Le 25 mai, deuxième essai nucléaire souterrain. En décembre 2011, Kim Jong-Un succède à son père. Un troisième essai nucléaire est effectué en février 2013.

2016 : ogive miniaturisée

Le 6 janvier 2016, quatrième essai nucléaire souterrain. La Corée du Nord affirme avoir testé une bombe à hydrogène, ce qui est mis en doute par les spécialistes. En août, pour la première fois, le Nord tire directement un missile balistique dans la zone économique maritime du Japon. Le 9 septembre, les autorités annoncent avoir réalisé leur cinquième essai nucléaire portant sur une ogive miniaturisée susceptible d’équiper un missile.

2017 : une portée inédite

En juillet 2017, le Nord tire deux missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) qui semblent mettre à sa portée une bonne partie du continent américain. Le 3 septembre, sixième essai nucléaire, de loin le plus puissant et qui concerne selon les autorités nord-coréennes une bombe H suffisamment petite pour équiper un missile.

Le 15 septembre, moins d’une semaine après l’adoption par l’ONU d’une 8e série de sanctions, la Corée du Nord tire un missile balistique au-dessus du Japon, à une distance de 3.700 km de son territoire, selon Séoul.

Le 20 novembre, Washington qualifie officiellement d' »Etat soutenant le terrorisme » ce pays qui avait déjà figuré sur la liste noire américaine de 1988 à 2008.

Le 28 novembre, la Corée du Nord effectue un nouveau tir de missile balistique, annonce Séoul. Le missile a été tiré vers l’est à partir de la province du sud Pyongan, selon l’agence sud-coréenne de presse Yonhap.

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