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Les armes nucléaires vont-elles rester à Kleine Brogel: un secret de Polichinelle discuté en séance plénière

Muriel Lefevre

Une résolution sur les armes nucléaires que la Chambre doit voter suscite des inquiétudes au sein de l’OTAN et de la diplomatie américaine, dit De Morgen. Elle concerne des armes nucléaires américaines qui sont stockées sur la base aérienne de Kleine Brogel. L’occasion de revenir sur l’un des secrets les plus mal gardés de Belgique.

Les armes nucléaires vont-elles rester à Kleine Brogel: un secret de Polichinelle discuté en séance plénière

Une résolution sur les armes nucléaires que la Chambre doit voter suscite des inquiétudes au sein de l’OTAN et de la diplomatie américaine, dit De Morgen. Elle concerne des armes nucléaires américaines qui sont stockées sur la base aérienne de Kleine Brogel. L’occasion de revenir sur l’un des secrets les plus mal gardés de Belgique.

Juste avant Noël, les socialistes dirigés par le député John Crombez (sp.a) au sein de la commission parlementaire des affaires étrangères ont approuvé une résolution qui vise à retirer les armes nucléaires de notre pays. La prochaine étape est un vote en séance plénière de l’Assemblée qui aura lieu demain. Plusieurs sources indiquent que l’ambassadeur américain en Belgique est  » particulièrement préoccupé « . Un certain nombre de parlementaires ont été approchés par l’ambassade pour une discussion sur cette question et une source au sein de la diplomatie américaine confirme qu’ils  » suivent de près  » la résolution. Si celle-ci est effectivement approuvée demain, cela pourrait attirer le courroux des américains, mais aussi des autres membres de l’OTAN.

Cependant, ce vote est loin d’être acquis, dit encore De Morgen. Le Vlaams Belang pourrait par exemple jouer un rôle important. Van Grieken, le président du parti a ainsi laissé planer l’idée d’une abstention. « Nous sommes contre cette résolution des partis de gauche, parce que nous ne sommes pas des pacifistes naïfs, mais en tant que nationalistes flamands, nous n’avons pas envie de sauver la face de la Belgique » peut-on lire dans De Morgen. D’autant plus que ces deux dernières années, les bonnes relations entre la Russie et certains membres du Vlaams Belang sont apparues au grand jour. Mais, toujours selon le président Van Grieken, cela ne jouerait ici aucun rôle.  » Quels que soient les liens internationaux que, selon la presse, nous entretenons, j’espère que tout le monde comprend que nous agissons dans l’intérêt de la Flandre. Mieux vaut un missile dans le jardin qu’un Russe dans la cuisine. »

Un autre acteur important pourrait bien être le parlementaire Theo Francken. Celui qui est également président de la délégation parlementaire belge à l’OTAN s’est fait siennes les préoccupations de Washington et tente, vaille que vaille, de convaincre suffisamment de monde pour obtenir un soutien suffisant au parlement pour une résolution visant à réaffirmer l’engagement de la Belgique envers l’OTAN. « En tant que partisan de l’alliance transatlantique, je pense que nous devrions nous pencher sur nos intérêts « , déclare ainsi Francken toujours dans De Morgen. « Pensez seulement à ce que nous apporte le quartier général de l’OTAN dans notre pays et qui place Bruxelles sur la carte du monde. En ce qui concerne la contribution financière à l’OTAN, nous sommes déjà les pires de la classe. Un retrait des armes nucléaires n’est donc pas un bon signal pour le président Trump. »

Les partisans des bombes nucléaires de Kleine Brogel font valoir que ces dernières permettent à l’OTAN de fermer les yeux sur les lacunes de la participation belge. On notera cependant que si cette résolution parlementaire est effectivement votée, cela ne fera pas sortir de facto les armes nucléaires de notre pays. Cela mettrait juste la pression sur un éventuel prochain gouvernement. Un gouvernement dont, rappelons-le, personne ne peut encore prédire la composition.

La résolution a déjà passé le cap de la commission des Relations extérieures

La commission des Relations extérieures de la Chambre avait approuvé en décembre 2019 une proposition de résolution des socialistes qui demande le retrait des armes nucléaires sur le territoire belge et l’adhésion de la Belgique au Traité international d’interdiction des armes nucléaires. Par cette résolution, la Chambre demande au gouvernement « d’établir, dès que possible, une feuille de route visant le retrait des armes nucléaires sur le territoire belge ». « Non seulement, nous ne voulons pas de ces nouvelles bombes mais nous estimons que c’est le moment de discuter d’un calendrier sérieux de retrait des bombes nucléaires », a expliqué l’un des auteurs de la proposition, Christophe Lacroix (PS). Les écologistes, auteurs d’une proposition de loi imposant ce retrait, ont soutenu l’initiative. Ils rappellent le caractère secret de l’accord qui lierait la Belgique aux Etats-Unis depuis les années 1960 à propos de ces armes nucléaires. « Jamais, les représentants du peuple n’ont été consultés en Belgique. Or, dans d’autres pays de l’OTAN, des débats ont eu lieu et ont parfois mené au retrait de ces armes ou au refus d’en recevoir des nouvelles », avait expliqué le député Samuel Cogolati (Ecolo-Groen).

Retour sur l’un des secrets les plus mal gardés de Belgique

Plusieurs ministres et Premiers ministres belges l’avaient déjà avoué à demi-mot auparavant et en 2019 un rapport présenté par un parlementaire de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN est venu confirmer ce que l’on savait depuis longtemps: des armes nucléaires américaines sont stockées sur la base aérienne de Kleine Brogel.

Le rapport présenté par un parlementaire de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (et qui est une institution entièrement séparée et indépendante de l’OTAN) confirmait, en effet, que la Belgique abrite des armes nucléaires américaines sur son sol. Le document est un projet de rapport de la commission Défense et Sécurité de l’Otan qui s’était tenue lors de la session de printemps de l’Alliance, du 31 mai au 3 juin derniers, à Bratislava. Le rapport, disponible sur internet, était daté du 16 avril 2019 et porte sur la « dissuasion nucléaire ». On y lit que « dans le contexte de l’Otan, les États-Unis déploient environ 150 armes nucléaires, en particulier des bombes gravitationnelles B61, en Europe, à bord d’avions à double capacité (capacité conventionnelle et nucléaire, tels que les F-16 belges, NDLR), à la fois américains et alliés. Ces bombes sont stockées dans six bases américaines et européennes – Kleine-Brogel en Belgique, Büchel en Allemagne, Aviano et Ghedi-Torre en Italie, Volkel aux Pays-Bas et Inçirlik en Turquie ». Une nouvelle version du rapport a été mise en ligne jeudi dernier. Il y est à présent écrit que « dans le contexte de l’Otan, selon des sources ouvertes, les États-Unis déploient environ 150 armes nucléaires, en particulier des bombes gravitationnelles B61, en Europe, sur des avions à double capacité à la fois américains et alliés. Les alliés européens souvent cités comme exploitant de tels avions sont la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie ».

Et voilà l’un des secrets les plus mal gardés de Belgique qui refait parler de lui

Les documents divulgués alors ne font en réalité que confirmer ce que l’on sait depuis longtemps. Et ce pour une raison somme toute stratégique : avoir des armes nucléaires secrètes ne sert à rien. Pour Alexander Mattelaer (VUB), spécialiste de la défense interviewé par De Morgen, il est plus que jamais nécessaire d’être clair. « En particulier depuis l’invasion russe de la Crimée, l’OTAN elle-même communique de plus en plus en détail sur la dissuasion nucléaire. Il adopte un langage plus fort. »

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Mais même avant cela, au fil des ans, les indices se sont accumulés. Par exemple la présence à Kleine Brogel d’une unité américaine la’701e MUNSS’ qui a pour mission de préserver et entretenir les munitions américaines. Des unités similaires sont stationnées dans les autres bases européennes dotées d’armes nucléaires américaines. En 2013, WikiLeaks divulguait à son tour une série de documents diplomatiques, dont un message de septembre 2009 de Howard Gutman, alors ambassadeur des États-Unis dans notre pays. « En ce qui concerne l’aspect militaire, les armes nucléaires tactiques américaines présentes à Kleine Brogel font en sorte que le gouvernement adopte une approche prudente « , écrit M. Gutman au département d’État à Washington. Plus tard en 2009, le ministre des Affaires étrangères Yves Leterme (CD&V) plaidera en faveur du retrait des armes nucléaires américaines d’Europe. Pour les chercheurs spécialisés aussi il n’y a guère de doute. En avril, l’American Bulletin of the Atomic Scientists notait dans son rapport annuel que Kleine Brogel détenait pas moins de vingt armes nucléaires. Le rapport est considéré comme faisant autorité et est d’ailleurs utilisé comme source dans la version finale du rapport présenté par un parlementaire de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN. On notera aussi que le rapport n’est pas désavoué par le département américain de la Défense.

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Malgré les preuves de plus en plus évidentes d’une présence d’armes nucléaires en Belgique, la réaction des gouvernements belges successifs et de la Défense sur sujet a toujours été la même: on ne confirme pas et on n’infirme pas non plus. Ce secret de Polichinelle avait cependant déjà été évoqué par plusieurs ministres et Premiers ministres belges. Par exemple par le ministre de la Défense Guy Coëme (PS) en 1988 : « A l’exception de Kleine-Brogel, il n’existe pas d’autres types d’armes nucléaires dans notre pays » ou encore lorsque, vingt ans plus tard, Pieter De Crem fait un lapsus similaire. « La défense nie ou confirme, mais tout le monde sait qu’il y a une capacité nucléaire à Kleine Brogel « . En 2013, Jean Luc Dehaene, Guy Verhofstadt, et Willy Claes se fendent d’un message vidéo plaidant, et avouant du même coup leur présence, pour le retrait des armes nucléaires de Kleine Brogel.

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Autant de sorties qui rendaient risible le pseudo secret entourant la présence de ces armes. Néanmoins si le sujet a été si longtemps tu, c’est qu’on ne peut le qualifier de broutille. D’autant plus qu’il s’agit d’un traité bilatéral secret entre Bruxelles et Washington selon De Standaard. Ce traité, nom de code Pine Cone, aurait été signé au début des années 1960 (les bombes sont stockées depuis novembre 1963 à Kleine-Brogel).

Une violation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires

Leur présence est aussi une violation du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. « C’est la raison pour laquelle notre pays ne peut pas admettre que ces armes sont réellement ici « , dit Ludo De Brabandere van Vrede vzw toujours dans De Morgen.

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L’autre raison était de s’éviter un débat parlementaire qui promettait d’être houleux. Le sceau du secret d’État rendait en effet toute supervision parlementaire ou publique impossible sur ce sujet et il n’y a donc jamais eu de débat public sur la question. Pas même lorsque la colère populaire se fait ressentir lorsque la Belgique accepte, en pleine guerre froide, de déployer des roquettes américaines à Kleine Brogel et Florennes pour contrer la menace soviétique. La manifestation antimissile de 1983 reste la plus grande manifestation de l’histoire belge à ce jour avec plus 400.000 manifestants. Elle ne changera cependant rien dans les faits. Ce n’est qu’après la guerre froide que l’arsenal sera réduit, sans être liquidé puisque, comme signalé auparavant, il resterait une vingtaine de bombes B61 dans notre pays. Des bombes qui sont dix à quinze fois plus puissantes que celles larguées sur Hiroshima et Nagasaki. Cela pourrait changer prochainement puisque les États-Unis veulent mettre ces bombes nucléaires à mise à jour et les rapatrier temporairement aux USA. Du coup certains se demandent si ce n’est pas le bon moment de se demander s’il est judicieux de les ramener en Belgique.

Pas seulement un but politique

C’est oublier un peu vite que si ces bombes n’avaient qu’un but politique et servent uniquement de signal dissuasif vers la Russie, elles ont aussi un autre volet. Moins symbolique serait le poids de ces bombes sur la politique en Europe et les ventes que cela garantit à l’industrie militaire américaine. Pour preuve, les bombes secrètes étaient aussi l’un des points d’achoppement du dossier autour du renouvèlement des F16. Si le gouvernement avait mis si longtemps à trancher sur le dossier des F-16, c’est parce qu’il ne parvenait pas à déterminer exactement sa position vis-à-vis des armes nucléaires stockées à Kleine-Brogel.

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Les bombes nucléaires avaient tout d’un éléphant dans un magasin de porcelaine dans ce dossier qui a longtemps plombé le gouvernement. Car, détail non négligeable, la tâche des F-16 de la 10e escadrille de Kleine-Brogel était en effet de larguer, si nécessaire, les bombes américaines. Mais comme ces bombes relèvent du secret d’État elles ne pouvaient pas apparaître dans le débat. Si en théorie, d’autres appareils peuvent remplir la mission de largage de ces bombes américaines, il aurait en effet été peu probable que le Pentagone autorise que l’on construise le mécanisme nécessaire à ces bombes dans un appareil non américain. Un élément qui a dû sérieusement faire pencher la balance vers les F35 américains.

La position floue de la Belgique sur le nucléaire

Ce qui n’a pas aidé non plus dans le processus est la position floue de la Belgique sur les armes nucléaires. Pourtant, un rapport datant de 2015 et réalisé par d’éminents membres de l’armée révélait que « c’est une évidence que la Belgique doit participer à l’effort nucléaire de l’OTAN ». Et ce avec prestige. Dans cette optique, on ne pouvait qu’envisager un remplacement par un appareil de la cinquième génération, soit le F-35 américain. Cet appareil serait ce qui se fait de mieux, si l’on en croit son constructeur, et permettrait d’accomplir ces fameuses missions nucléaires qui ouvriraient à la Belgique les portes d’un groupe très fermé à l’OTAN.

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