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Armand De Decker :  » La réforme du Sénat ? Une occasion manquée « 

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’ancien président du Sénat est amer : la réforme décidée dans le cadre de la réforme de l’Etat réduit à sa plus simple expression l’assemblée « la plus progressiste du pays ». Il votera le texte, mais du bout des lèvres.

« Que ce soit clair : j’étais favorable à une réforme du Sénat. Mais pas comme ça… » Président de la haute assemblée pendant huit ans, le libéral Armand De Decker exprime sa déception.

Le Vif/L’Express : Que pensez-vous de cette réforme du Sénat ?

Armand De Decker : Les négociateurs des partis ont fixé ses grandes lignes avant le règlement de la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde dans un climat qui était celui d’une crise politique aiguë. Ils ont fait de leur mieux dans un contexte très difficile où beaucoup de revendications contradictoires étaient sur la table. Un consensus existait sur la nécessité d’en faire un Sénat des Régions et des Communautés mais de grandes divergences existaient sur les compétences qu’il convenait de lui attribuer. Le Sénat en est sorti très affaibli puisqu’il perd l’essentiel de son rôle de colégislateur. Qu’il ne pourra plus veiller à la qualité des lois par une seconde lecture sauf dans certaines matières très limitées. Qu’il perd son droit d’initiative ce qui lui fait perdre au passage son rôle de chambre de réflexion…

C’est-à-dire ?

On retire au Sénat l’essentiel de ses compétences législatives tout en le maintenant en vie pour les matières institutionnelles. Il ne se réunira plus que pour tenter de résoudre les conflits d’intérêt et pour les réformes de l’Etat ultérieures. C’est malheureux. En fait, les sénateurs y viendront pour débattre de nos conflits alors qu’on aurait pu réunir ces représentants des entités fédérées pour les faire travailler ensemble au bien de l’Etat fédéral.
On lui retire le travail législatif alors que c’est dans ce domaine-là qu’il a rendu ses plus éminents services au pays. Le Sénat a l’image d’une assemblée conservatrice alors que c’est lui qui a initié, rédigé et adopté toutes les grandes réformes relatives au statut personnel des gens.
C’est au Sénat que l’on doit la réforme de la filiation, l’assouplissement des règles du divorce, la dépénalisation conditionnelle de l’avortement, la dépénalisation partielle de l’euthanasie, les progrès dans le domaine de l’égalité homme-femme, les réflexions en matière de bioéthique, de statuts de la monarchie … Le Sénat est l’assemblée la plus progressiste de Belgique. Et la Chambre des représentants qui vit dans l’immédiateté n’aura jamais le temps d’accomplir un tel travail de réflexion. C’est une décision qui entraînera un climat réactionnaire dans notre pays : si dans dix ou quinze ans, la Belgique prend du retard dans les évolutions sociétales, sera la conséquence de ce qui se produit.

Pourquoi ce manque de réflexion ? Parce que cela fait partie d’un paquet global ?

C’est effectivement dû au fait que huit partis ont contribué à la négociation de cette réforme afin d’obtenir une majorité des deux tiers dans les deux chambres et au climat qui régnait avant le règlement de B-H-V. On a donné un levier surdimensionné à de petits partis et de grandes concessions ont été faite à Groen et au Sp.A. Aujourd’hui, tout étant dans tout, les parlementaires des deux chambres sont coincés. Ils seront tenus de voter une réforme du Sénat peu convaincante.

Vous allez voter le texte ?

J’y serai contraint car si un élément de la réforme tombe, c’est l’ensemble de la réforme de l’Etat qui serait compromise avec toutes les conséquences que cette situation entraînerait… et aussi parce que je ne voudrais pas compromettre le refinancement de la Région bruxelloise qui fait partie de l’ensemble. Je me console en me disant que le Sénat nouveau se redéploiera dans une Belgique apaisée car à l’égal du Phénix de la mythologie, il renaîtra de ses cendres. J’en suis sûr.

Dès la prochaine législature ?

Oui, dès la prochaine législature. Beaucoup de choses auront été réglées par la réforme de l’Etat et j’espère que les Régions commenceront à mieux collaborer ensemble. Je vois très bien une nouvelle réforme du Sénat dans cinq ou dix ans par laquelle on lui attribuerait, à la demande des entités fédérées, de nouvelles compétences utiles à une meilleure et plus moderne gestion du pays.

L’interview intégrale dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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