Claude Demelenne

Appel aux socialistes bruxellois : camarades, révoltez-vous contre les capitalistes rouges !

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Les chiffres donnent le tournis. Sous le règne socialiste, la Ville de Bruxelles est une pétaradante start-up capitaliste.

Un paradis doré pour quelques hauts cadres (consultants, directeurs…) payés de 1000 à 1250 euros par jour. À Bruxelles, l’ascenseur social est en pleine surchauffe. Un ascenseur à deux vitesses. Il profite non pas au « petit » personnel, mais à un ex-bourgmestre et à une ex-présidente du CPAS qui ont touché indûment, selon la commission d’enquête parlementaire, chacun plus de 100.000 euros de jetons de présence, au sein du Samusocial.

Un « État » antisocial

La Ville de Bruxelles, « un État dans l’État », selon l’expression d’Olivier Maingain ?

Sans doute. Mais d’abord, un État antisocial. Un État où les plus riches sont toujours plus riches, quand ils trustent les postes-clés dans l’administration de la Cité. Malgré un contexte d’austérité salariale, la Ville de Bruxelles est une petite entreprise qui n’a pas connu la crise… en tout cas pour ses principaux dirigeants, bénéficiant de rémunérations plus que chatoyantes. De toute évidence, les Camarades gestionnaires de la Ville n’ont pas placé la lutte contre les inégalités salariales parmi leurs priorités.

Pour tenter de justifier les coquettes sommes qui ont choqué l’opinion (au moins 1000 euros par jour pour « l’élite » des informaticiens), Rudi Vervoort, ministre-président socialiste de la Région de Bruxelles-Capitale, a argumenté : « Il faut aussi du personnel compétent ». Ce raisonnement est bancal. Il sous-entend qu’en deçà d’un certain niveau de salaire – himalayesque aux yeux du commun des mortels – il n’est pas possible de mobiliser des travailleurs compétents. C’est le même raisonnement qu’ont longtemps tenu certains Camarades liégeois à propos de Stéphane Moreau, qui jusqu’à l’an dernier faisait la pluie et le beau temps au sein du PS principautaire. Que répétaient en boucle ses supporters ? « Certes, le big boss de Publifin/Nethys est fort bien payé (NDLR : 1 million d’euros brut par an!), mais il est hypercompétent. Et puis, le montant de son salaire correspond aux prix du marché, pour des patrons d’entreprises de même taille, évoluant dans un environnement concurrentiel ».

Soumission aux « lois du marché »

Ancienne présidente de l’ASBL s’occupant de la gestion informatique de la Ville, au coeur du scandale, l’échevine socialiste, Karine Lalieux – dont l’honnêteté n’est pas en cause – semble bien démunie : « Ce n’est pas dans les valeurs que je défends de payer de tels salaires de 1000 à 1250 euros par jour, mais la Ville n’avait pas le choix.pour assurer la continuité du service public », a-t-elle déclaré. « Et puis, ces montants salariaux correspondent aux prix du marché dans le secteur informatique « . S’il n’est pas toujours simple de recruter des profils très pointus d’informaticiens, la réflexion de Karine Lalieux est néanmoins révélatrice d’une évolution déplorable du PS : la soumission aux règles du jeu fixées par la doxa néo-libérale. On attend d’un parti de gauche conséquent qu’il bouscule les sacro-saintes « lois du marché ». Pas qu’il s’aplatisse. Pas qu’il renonce à changer l’ordre du monde.

Les capitalistes rouges – minoritaires, mais influents au sein du PS – ne veulent plus modifier, même à la marge, l’ordre du monde. Ils ont intégré les valeurs et les codes du libéralisme triomphant. En ce compris, le culte de l’enrichissement personnel, symbole – sans rire – d’une carrière « socialiste » réussie. En ce compris, le goût de l’opacité – comme le plantureux salaire de Moreau à Liège, les généreux jetons de présence du duo Mayeur-Peraita à Bruxelles, ont longtemps été classés top-secret.

Lorsque Rudi Vervoort déclare, à propos des dernières affaires, « ce n’est pas un problème lié au PS, c’est un problème de gouvernance », il joue à l’autruche. Ces affaires sont d’abord et avant tout un énorme problème socialiste. Ce qui est en cause, c’est le comportement de certains Camarades, alliant discours très à gauche et pratiques très à droite. Il ne suffit pas d’imposer, comme l’a fait le PS, de nouvelles règles déontologiques strictes pour l’ensemble de ses mandataires. Au-delà de l’indispensable transparence, c’est le contenu de la politique socialiste qu’il faut infléchir. Ce que les militants socialistes doivent imposer à leurs élus, partout où ils participent au pouvoir, comme à Bruxelles, ce sont des actes concrets de rupture avec l’idéologie néo-libérale. On en est loin.

Usure du pouvoir

À Bruxelles, le PS en position dominante depuis bientôt deux décennies, incarne trop souvent la gauche du renoncement. Les capitalistes rouges, très actifs dans la capitale de l’Europe, creusent la tombe d’un parti qui n’est plus pris au sérieux quand il appelle de ses voeux un monde plus juste. Tel est le drame du PS : chaque affaire politico-financière rend son message un peu plus inaudible.

Il serait salutaire qu’après le scrutin communal d’octobre, le PS bruxellois parte se refaire une santé dans l’opposition. Ces dernières années, le tandem PS-MR à la Ville de Bruxelles a tout raté : le piétonnier (imposé à la hussarde), le stade national (fantasmé en dépit du bon sens), l’assainissement des pratiques (le chantier reste gigantesque), l’image de marque de la Ville (elle s’est encore dégradée)… L’usure du pouvoir est cruelle. Après une telle succession de flops, et un probable reflux électoral socialiste, qui comprendrait que le PS continue imperturbablement à – mal – gérer Bruxelles ?

L’exemple allemand

Les militants socialistes bruxellois pourraient s’inspirer utilement de l’action des jeunes sociaux-démocrates allemands. Ceux-ci sont en révolte contre les dinosaures de leur parti, qui veulent leur imposer une nouvelle grande coalition avec la CDU d’Angela Merkel. Aux militants socialistes bruxellois désemparés par les errements de leur parti, il est temps de lancer cet appel : Camarades, révoltez-vous contre les capitalistes rouges ! Indignez-vous quand le PS tourne le dos à ses idéaux. À Bruxelles comme ailleurs, c’est l’avenir d’une gauche à la fois moderne et … à nouveau de gauche qui est en jeu.

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