© Jean-Paul Guilloteau

Alain Minc : « L’euro ne peut pas mourir »

La France vient de perdre son triple A et Nicolas Sarkozy, du terrain dans la course présidentielle. Le chef de l’Etat français n’avait-il pas quasiment lié son sort au maintien de cette note prestigieuse ? Et voilà que ce « trésor national » n’est plus ! L’homme qui a théorisé et popularisé cette dramaturgie s’appelle Alain Minc. N’a-t-il pas répété à l’envi que le président « jouait sa peau » sur le maintien de ces trois lettres ? Depuis 2007, le banquier d’affaires, essayiste, économiste est de ceux que Nicolas Sarkozy écoute. Qu’il s’agisse de supprimer la publicité à la télévision ou de recruter un directeur de campagne. A la fois sarkophile et sarkologue, Minc s’explique ici sur le triple A. Et donne son analyse de la crise de la zone euro et de la présidentielle française.

Le Vif/L’Express : La France vient de perdre son triple A. Vous aviez fait de son maintien la clé de la réélection de Nicolas Sarkozy. Ne le regrettez-vous pas?

Alain Minc : S’il n’y avait pas eu cette dramatisation, les deux plans d’ajustement auraient été difficiles à lancer et nous aurions été sacrément davantage sur le toboggan. Cela dit, la perte de notre triple A après la décision de l’agence de notation la plus cow-boy est un facteur de complication, même si, quand on est objectif, on doit souligner que 2 agences sur 3 dont la plus grande, Moody’s, ont maintenu le triple A. Néanmoins, c’est une complication pour Nicolas Sarkozy, bien sûr, mais aussi pour ceux de ses concurrents qui s’estiment aptes à gouverner, Hollande et Bayrou. Tous les projets passeront encore plus sous le scanner de la rigueur budgétaire et d’une politique de compétitivité, car, comme le disent les agences, il faut à la fois serrer la vis et relancer la croissance par une politique de l’offre. Cette dernière suppose d’avoir le courage de faire comme Schröder en son temps avec son agenda 2010. Si les Français font l’effort que les Allemands ont réalisé, ils pourront rattraper le terrain perdu. En 1995, la compétitivité de la France était de 10 points supérieure à celle de l’Allemagne. En 2007, elle était de 10 points inférieure. La France a donc perdu 20 points, sous l’effet conjugué des 35 heures, mesure de la gauche, puis de la revalorisation du smic, mesure de la droite. L’atout de la France est que le temps joue pour elle : dans vingt ans, les Allemands seront passés de 85 à 75 millions d’habitants et les Français de 65 à 75 millions.

Restez vous optimiste malgré cette dégradation ?

Beaucoup plus que Jacques Attali ! La France va, certes, payer le prix naturel de décennies de laisser-aller, mais l’Europe en sortira renforcée. La dette française représente plus de 80 % du produit intérieur brut (PIB). Sur ce total, seulement 20 % viennent de la crise. Le reste – 60 % – correspond à des lâchetés accumulées, comme dans tous les pays occidentaux. Pourtant, à sa manière, avec sa démarche de crabe et dos au mur, l’Europe ne cesse de progresser. Il y a deux ans, avant le spasme grec, personne n’aurait imaginé que des mécanismes de solidarité se mettraient en place, que les Allemands accepteraient la gouvernance à la française et que les Français reconnaîtraient que les seuls critères de cette gouvernance sont ceux des Allemands. Personne n’aurait imaginé, non plus, que la Banque centrale européenne (BCE) ferait preuve d’un empirisme au moins équivalent à celui de la Réserve fédérale américaine en matière de financement des banques.

L’euro est donc sauvé ?

Il ne peut pas mourir. D’abord, parce que son coût de destruction serait au-delà de l’imaginable. Au bord du gouffre, les décisions jugées aujourd’hui iconoclastes seraient prises. Ensuite, tout le monde veut le sauver, y compris les Allemands, qui étaient européens par mauvaise conscience historique et le sont devenus par intérêt. Enfin, ceux qui prônent la sortie de l’euro afin de pouvoir dévaluer oublient que, pour qu’une dévaluation réussisse, il faut un plan de rigueur. Comme les pays qui dévalueraient conserveraient leur dette en euros, ces plans seraient beaucoup plus lourds que ceux d’aujourd’hui. Actuellement, la menace la plus grave pour l’équilibre mondial n’est pas l’euro, c’est l’Iran. A force d’être provoqué, Israël peut répliquer et frapper. C’est une question d’identité et de survie pour un pays qui considère que, dans la région, il ne saurait y avoir d’autre bombe nucléaire que la sienne.

La reconquête du triple A doit-elle être un objectif ou faut-il se contenter d’éviter une nouvelle dégradation?

Cela prend plus de temps que de le perdre. Préserver le AA+ de la France suppose un effort de rigueur plus important. Y a-t-il une autre voie ? Si Standard & Poor’s notait le programme du Parti socialiste français avec les critères – justifiés ou non – d’une agence, ce serait BBB- !

Le couple franco-allemand n’est-il pas encore plus déséquilibré après la perte par la France du triple A ?

Les choses se jouent sur deux tables différentes. Sur celle de l’économie, l’Allemagne détient la majorité et nous avons une minorité de blocage. Mais la seconde table, celle de la politique, du militaire, de la diplomatie, est franco-britannique.

La BCE devrait-elle acheter massivement de la dette des Etats en difficulté pour résoudre la crise ?

Créer de la masse monétaire sans limites n’est pas bon et conduit à l’inflation, comme on le voit déjà au Royaume-Uni. Mais, si cela devenait absolument nécessaire, la BCE le ferait, pendant un temps limité. A l’inverse, si elle s’était comportée comme la banque centrale britannique, les pays laxistes, assurés de voir leurs bons du Trésor achetés, n’auraient pas eu d’incitation à agir.

La France, dans ce contexte, doit-elle réformer son contrat social?

Comment dire qu’un contrat social fonctionne bien quand les dépenses publiques représentent 54 % de la production et que le taux de pauvreté s’élève à 13 % de la population ? Il faut se concentrer sur ceux qui en ont le plus besoin et dire qu’une partie de la classe moyenne doit faire l’effort de se protéger elle-même. Est-il normal que le fils d’un zonard qui est grippé soit remboursé à 65 %, parce qu’il n’a pas de mutuelle, alors que celui d’un cadre supérieur l’est à 95 % ? C’est l’éternel débat entre équité et égalité.

Dans sa gestion de la crise, Nicolas Sarkozy a-t-il commis des erreurs ?

En août 2007, il a écrit une lettre à Nicolas Merkel, euh (quel lapsus !) à Angela Merkel, alors présidente du G 8, pour lui dire que ce qui se passait était très grave. Elle avait répondu : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » On ne peut reprocher au président français ni de ne pas avoir vu venir la crise ni de ne pas avoir été actif. De la même manière, la chancelière – dont les Français ne mesurent pas les difficultés politiques – a fait, au rythme qui lui était possible, ce qu’il fallait. La seule question que je me pose, depuis cet automne, c’est de savoir si l’Etat français n’aurait pas dû devenir actionnaire des banques. Quand je les vois réduire leurs encours de crédit pour ne pas augmenter leur capital, je me dis qu’il n’aurait pas été inutile de leur tordre le bras.

Comment expliquez-vous le prurit réformateur de Nicolas Sarkozy à trois mois de l’élection ?

Après 50 ans, on ne change plus et les gens ont la stratégie de leur tempérament. Celui de Sarkozy est tourné vers l’action, ce sera le cas jusqu’à la dernière seconde et ce sera aussi sa manière de dessiner son action s’il est réélu. Vous allez être surpris par l’importance et le nombre de sujets qu’il va lancer ! Il sait bien que la TVA sociale ne va pas rendre la France compétitive d’ici au mois de mai, mais il veut un signe politique extrêmement fort et très simple, avec trois objectifs : compétitivité, compétitivité et compétitivité.

TVA sociale d’un côté, taxe Tobin de l’autre, fidèle à sa méthode, Nicolas Sarkozy mélange le vinaigre et le miel ?

Vous ne pouvez pas interdire à un candidat de faire de la politique à trois mois d’une élection !

Quelles seraient les deux bonnes raisons de voter pour Nicolas Sarkozy en 2012 ?

La logique, c’est l’alternance, sauf que les socialistes français n’ont pas le programme que les circonstances exigent. S’ils étaient aussi responsables que des socialistesà néerlandais ou allemands, tout serait différent ! D’abord, réduire la part du nucléaire à 50 %, c’est absurde ; ensuite, ne pas accepter un débat sur la baisse des dépenses publiques montre que la gauche ne mesure pas la pression qui s’exerce sur la France. Or nous devons appliquer, en plus modéré, la politique de Mario Monti en Italie – soutenue par les anciens communistes italiens ! Les socialistes français sont à des années-lumière de tout cela. Voter Nicolas Sarkozy, c’est dire qu’il est le seul à mener une politique économique qui prenne en compte la contrainte actuelle.

Une seule politique est possible ?

Non. Il y a une seule réalité. Après, on peut en partager le poids différemment, en fonction de la vision que l’on a des classes sociales, du degré d’égalité ou de la redistribution que l’on souhaite. Je suis sûr que François Hollande comprend le monde tel qu’il est, mais il ne le montre pas. Le PS français étant prisonnier d’une logique parlementariste, son candidat fait des compromis avec les tendances de son parti.

Face à la crise, êtes-vous vraiment sûr que sa politique serait fondamentalement différente de celle de Nicolas Sarkozy ?

La réalité est toujours plus forte. Elle a rattrapé François Mitterrand au bout de deux ans, Jacques Chirac au bout de six mois et Lionel Jospin au bout de deux mois. Les marchés ne laisseraient pas beaucoup de temps à François Hollande, mais entre-temps les dégâts seraient faits et le prix à payer plus élevé.

La baisse des naturalisations revendiquée et célébrée par le ministre français de l’Intérieur Claude Guéant vous satisfait-elle ?

Rien de ce que fait Claude Guéant en matière d’immigration ne me satisfait. L’enfant de naturalisé que je suis est pour l’accroissement du nombre de naturalisations. Si l’on a fini par corriger la circulaire sur les étudiants étrangers, le signal envoyé est totalement négatif. Je suis contre l’immigration clandestine, mais la naturalisation, selon des critères précis, est plutôt un hommage rendu à la France. Dans le monde d’aujourd’hui, la compétition pour la formation des élites est un élément clé, alors ne donnons pas l’impression qu’on est prêt à les mettre dans un charter pour le Mali dès que possible !

Croyez-vous à l’hypothèse d’une cohabitation ?

Si Nicolas Sarkozy gagne la présidentielle et la gauche les législatives, ce ne serait pas une nouvelle cohabitation, mais une union nationale forcée entre deux légitimités nées de scrutins simultanés.

En 2009, vous signiez dans Le Figaro une Lettre ouverte à mes amis de la classe dirigeante. Avez-vous été entendu ?

Pas terrible. Cette lettre était une manière de dire : il y a un problème d’exemplarité des privilégiés. Certains en sont conscients, d’autres vivent dans une bulle à l’écart de la société. Dans un pays où les syndicats seraient forts, ce seraient eux qui tordraient le bras aux patrons. Je pense surtout aux rémunérations visibles dans le monde financier. Ce que la prospérité autorisait, la crise ne le permet plus. J’ajoute que je n’aime pas voir certains patrons augmenter significativement leur salaire, puis souhaiter être imposés un peu plus. Quand on a conscience de la réalité, on commence par peser sur son propre salaire.

Vous-même venez d’être nommé président des autoroutes Sanef. Quelle sera votre rémunération ?

120 000 euros annuels avant charges, le bas de la fourchette, selon une étude d’un cabinet spécialisé. Mais c’est AM Conseil qui me fait vivre.

Quand Nicolas Sarkozy a voulu que son fils prenne la tête de l’Etablissement public pour l’aménagement de la région de la Défense (Epad), il vous a demandé de l’auditionner. L’entourage du chef de l’Etat n’a-t-il pas fait preuve de cécité, à l’époque ?

Nous n’avons pas été, moi inclus, assez réactifs.

Quelle est la personnalité qui vous paraît la plus prometteuse à droite ?

Alain Juppé ! Ce serait un merveilleux maître d’école pour une classe de quadras à noter et à stimuler.

A gauche ?

Je ne veux pas rendre à Manuel Valls le mauvais service de dire du bien de lui.

Si François Hollande est élu, beaucoup vous imaginent toujours en visiteur du soir de l’Elysée ! Leur donnez-vous tort ?

Oui ! François Hollande n’en aurait pas envie, et moi non plus.

PROPOS RECUEILLIS PAR CORINNE LHAÏK ET ERIC MANDONNET

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