L'asbl Abbé Edouard Froidure cumule une série de missions : de l'accueil de mineurs en danger au suivi des familles en difficulté. © FROIDURE.BE

Aide à la jeunesse : le « pôle » catholique absorbe 80% des subsides publics

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Le « pôle catholique » continue de peser de tout son poids dans le milieu social. Le fruit d’une histoire singulière.

C’est un héritage de l’histoire. En Belgique, jusqu’au début du XXe siècle, il n’y a pas réellement de cadre législatif organisant la protection de l’enfance. Les pupilles trouvent refuge dans des orphelinats. Il s’agit d’hospices civils, surtout situés dans les grandes villes, mais la plupart de ces établissements sont créés par des religieux, qui se vouent principalement à l’action charitable et à l’enseignement et en font une véritable  » profession « . A l’époque, les initiatives privées d’inspiration chrétienne sont déjà en première ligne et un partenaire privilégié de l’Etat.

C’est aussi un héritage politique : contrairement à d’autres pays, la Belgique a choisi de déléguer à des opérateurs privés à but non lucratif des versants importants de son action socio-sanitaire. Quand, à partir de 1965, une nouvelle loi introduit le financement public des lieux spécialisés dans l’accueil des mineurs en danger, la majorité d’entre eux sont des organisations privées, essentiellement les orphelinats dirigés ou gérés par les congrégations. Une sorte d’économie mixte tout à fait originale entre le public et le privé est ainsi instituée.

Voilà ce qui explique une présence forte des institutions catholiques dans le terreau de l’aide à la jeunesse. Aujourd’hui, elles continuent de bénéficier de ce contexte porteur. Sur un budget de 276 millions d’euros annuels, finançant quelque 365 associations, le  » pôle  » catholique absorberait 80 % à 82 % des subsides publics.

En coulisse, on s’agace des soutiens financiers qui sont accordés au  » pôle  » catholique

Les noms des instituts ne font pas mystère d’une filiation ouvertement chrétienne. Eux-mêmes ne s’en cachent guère, même si, selon eux, leur dimension confessionnelle serait passée à l’arrière-plan. D’autres, en revanche, n’ont pas d’affichage catholique spécifique, mais gardent des relations plus ou moins étroites avec leurs origines. Mais à la lecture de leurs statuts dans Le Moniteur belge, on apprend que Les Galopins (30 enfants placés), Le Tremplin (30) ou encore L’Ancre (15) désirent  » promouvoir ces objectifs dans un esprit évangélique « . Que ce dernier occupe un immeuble appartenant aux soeurs du Saint-Coeur de Marie de La Hulpe, dont les membres demeurent majoritaires au sein de l’assemblée générale de l’asbl. Que L’Espoir (30) s’affirme  » oeuvre libre à caractère confessionnel catholique « . Que Les Cabris (15) souhaitent voir transférer  » l’actif social à l’Institut d’éducation Saint-Jean-de-Dieu « ,  » à défaut, à la personne qui, d’après la hiérarchie catholique, serait à ce moment le chef légitime du diocèse de Namur « . Que Les Glanures (35) demandent que  » l’ensemble de l’actif soit cédé à la Mission évangélique de réveil « , et précisent que  » cet article est intangible « . On pourrait multiplier les exemples. Le screening que Le Vif/L’Express a réalisé montre la force persistante du milieu catholique.  » Une prédominance, pas un monopole « , précise Rachid Madrane (PS), ministre de l’Aide à la jeunesse, contacté par nos soins.  » Certaines villes, communes, provinces continuent néanmoins à être très actives, même si elles sont effectivement très minoritaires.  »

Les services agréés par la Fédération Wallonie-Bruxelles sont forcément d’importance inégale. On note ainsi des poids lourds, comme la Maison heureuse, fondée en 1956 par l’abbé Emile Gerratz, et dirigée aujourd’hui par l’abbé Albert Klinkenberg, ancien vicaire épiscopal chargé de la pastorale. L’asbl regroupe 14 foyers, surtout en région liégeoise et à Namur, emploie 450 personnes et accueille quelque 400 enfants,  » en agissant en fidélité à son fondateur « . De taille plus modeste, citons pêle-mêle l’asbl Institut d’éducation Saint-Jean-de-Dieu, héritière d’une structure fondée par les Soeurs de la charité en 1886, qui abrite près d’une centaine de petits  » dans un esprit évangélique « , tout en assurant  » le respect des convictions de chacun « . Ou l’asbl Siloé, créée en 1903 par la congrégation de la Sainte-Famille de la délivrance, et encore l’asbl Home Saint-François, né sous l’égide de soeurs franciscaines, lesquelles logent au sein de leur conseil d’administration des nonnes et des abbés.

Un esprit chrétien

Rachid Madrane, ministre PS de l'Aide à la jeunesse.
Rachid Madrane, ministre PS de l’Aide à la jeunesse.© DIETER TELEMANS/ID PHOTO AGENCY

L’une des plus actives s’appelle l’Association chrétienne des institutions sociales (Acis), devenue l’un des principaux opérateurs de l’immobilier catholique. Les Filles de la croix ont cédé la propriété et la gestion de la Maison du Sacré-Coeur à l’asbl Acis, l’objectif étant pour la congrégation d’assurer à cet immobilier un avenir cohérent avec son histoire et dans un esprit chrétien. Ce dont se prévaut Acis, implantée en Belgique et en France, dont les statuts mentionnent que  » le but est de contribuer à l’exercice et au développement de l’action chrétienne dans les activités et institutions hospitalières, médico-sociales et caritatives « . Pour ce faire,  » le représentant des évêchés francophones – lequel est membre de droit – détient un droit de suspension « . L’Acis chapeaute cinq maisons d’accueil créées par des religieuses, soit près de 170 enfants et adolescents en difficulté, au côté de ses multiples activités, telles que des hôpitaux psychiatriques, des centres pour handicapés et des maisons de retraite, représentant 80 institutions, 5 800 bénéficiaires, 4 700 employés et un chiffre d’affaires de plus de 200 millions d’euros.

« De véritables lobbies »

Les structures privées  » cumulent  » très souvent plusieurs missions. Elles agissent ainsi dans tous les champs de l’aide à la jeunesse. Par exemple, l’asbl Abbé Edouard Froidure possède une palette d’organisations regroupées au sein d’une fédération, notamment quatre pensions abritent des mineurs placés par les autorités, deux instituts prennent aussi en charge le suivi en famille et un établissement s’occupe de jeunes présentant des troubles de comportement. Ce qui représente une capacité d’accueil d’une petite centaine de jeunes.

Ce déséquilibre au profit des catholiques gêne-t-il ? Sans doute, si l’on en juge par les réactions recueillies par Le Vif/L’Express auprès d’interlocuteurs de poids, agacés par les soutiens financiers publics qui leur sont accordés et en l’absence d’une sorte de pacte scolaire.  » On ne peut plus mesurer l’influence de l’Eglise aux seuls effectifs des pratiquants, résume un spécialiste. Ici, le catholicisme fait partie du paysage.  »

Cela pèse-t-il sur la façon dont se dessine la politique de l’aide à la jeunesse ? Ces associations se sont structurées sous forme de fédérations patronales et, selon les mots du ministre,  » agissent, il est vrai, comme de véritables lobbies « .  » Mais leur influence dépend de l’attitude du politique responsable « , tranche Rachid Madrane. Avant d’ajouter que toutes les grandes avancées législatives en matière d’aide à la jeunesse depuis 1965 sont le fait de socialistes.

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