© Belga Image

Affaire Wesphael : l’entêtement judiciaire

Accusé de l’assassinat de son épouse, Véronique Pirotton, Bernard Wesphael est emprisonné à Bruges depuis sept mois. Son statut d’homme politique s’est retourné contre lui.

Plus le temps passe, plus le mystère s’épaissit autour du drame de la chambre 602 de l’hôtel Mondo, à Ostende. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre 2013, le député wallon Bernard Wesphael (Mouvement de Gauche, ex-Ecolo), 55 ans, aurait tué son épouse, Véronique Pirotton, 42 ans, qui s’était retirée sur la Côte pour faire le point sur sa vie conjugale en lambeaux et écrire le premier chapitre de son roman. C’est lui qui, en panique, prévient le réceptionniste de l’hôtel que sa femme est morte. Le médecin urgentiste arrive sur les lieux, après le réceptionniste et les deux secouristes, qui, avec Wesphael, ont déjà tenté de ranimer la malheureuse. L’urgentiste – c’est une femme – pense d’abord à un surdosage de médicaments ou à la prise d’héroïne, mais elle ne trouve aucun site d’injection. Sur l’acte de décès, elle écrit « asphyxie », en se basant, dira-t-elle, sur les conversations entendues dans la pièce. Notamment les propos du réceptionniste qui a remarqué, à gauche de la tête de la jeune femme, un sac en plastique blanc qui a servi à emballer les draps de bain réclamés par Véronique Pirotton. Bernard Wesphael déclare qu’en sortant de son sommeil, il a trouvé son épouse inanimée dans la salle de bains, avec ce plastique posé sur la joue gauche.

La juge d’instruction brugeoise Christine Pottiez inculpe aussitôt Wesphael d’assassinat (meurtre avec préméditation). Elle mandate un médecin légiste pour déterminer l’origine de la mort. Celui-ci constate que le visage de la victime est intact et n’est pas particulièrement cyanosé. Les paupières ne portent pas de pétéchies, ces micro hémorragies qui pourraient signaler un étranglement. Les ongles des doigts ne sont pas abîmés. A l’examen gynécologique, pas de lésions reconnaissables. Rien sur la peau du cou et de la nuque. En revanche, une abrasion de la peau à hauteur du contact avec les lunettes, un gonflement hémorragique sur le côté droit de la lèvre supérieure, une vague ecchymose à la lèvre inférieure, trois écorchures sur le genou gauche et une érosion de la peau à l’intérieur de la cheville gauche. Le rapport de descente sur les lieux n’explique pas la mort de Véronique Pirotton. De fait, les indices d’une mort violente ne sautent pas aux yeux.

Lors de la reconstitution, après l’autopsie, les médecins légistes évoqueront 35 lésions traumatiques, qui ne sont pas toutes compatibles avec les explications de l’inculpé. Selon la défense, celles-ci peuvent avoir été causées par les manoeuvres de réanimation des secouristes ou des heurts lors des chutes de Véronique Pirotton. Les images des caméras de surveillance de l’hôtel Mondo montrent, ce soir-là, une femme ivre, titubante, s’appuyant sur son conjoint, l’embrassant sur la bouche, téléphonant en son absence (à l’envahissant Oswald D., redevenu son amant), regagnant leur chambre… Là, ils se disputent, la jeune femme est agitée, racontera Wesphael, des voisins de chambre entendent des gémissements. Le parquet de Bruges soutient que Bernard Wesphael a étouffé sa femme avec le plastique sur lequel on a effectivement retrouvé des traces de sa salive et de son mascara. L’homme l’aurait immobilisée au sol avec son genou. D’où la lésion au foie.

Lui se défend de toute violence, quand bien même il n’y aurait pas intérêt. En effet, dans l’hypothèse basse, des coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, cela se payerait de cinq ans de prison, avec les circonstances atténuantes ; l’assassinat devant une cour d’assises, vingt ans. Mais il n’en démord pas : sa femme s’est suicidée. Pour l’avocat de la famille Pirotton, Me Philippe Moureau, « ce déni occasionne un nouveau traumatisme pour Victor, le fils de la victime. Bernard Wesphael ferait mieux d’expliquer ce qui s’est vraiment passé dans la chambre 602 de l’hôtel Mondo ».

Le contre-rapport de la défense

« La juge d’instruction a délivré son mandat d’arrêt sans connaître la cause de la mort », souligne Me Jean-Philippe Mayence, avocat de Bernard Wesphael. Insatisfaite de l’analyse des résidus d’alcool et de médicaments dans le corps de Véronique Pirotton, qui ont été additionnés sans que leurs interactions (potentialisation) aient été étudiées, la défense a fait appel à ses propres experts. Pour les Pr Jean-Pol Beauthier (UCL) et son fils, le Dr François Beauthier, ainsi que pour le Pr Jan Tytgat, toxicologue (KUL), l’intoxication alcoolo-médicamenteuse létale est l’hypothèse étayée par « le plus d’éléments objectifs pertinents et non contestables ». Le ver – le doute – est désormais dans le fruit.

Près de deux mois après avoir reçu ce contre-rapport, la juge d’instruction Pottiez n’y a toujours pas réagi. Deux chambres du conseil et une chambre des mises en accusation plus tard, les magistrats flamands ont encore validé le maintien en détention préventive du député liégeois, la Cour de cassation n’intervenant que sur des questions de forme. En degré d’appel, la chambre des mises en accusation a toute latitude pour apprécier l' »absolue nécessité pour la sécurité publique » de maintenir un présumé innocent en prison. Le 13 mai dernier, les juges de la chambre du conseil de Bruges avaient agité à huis clos diverses considérations : le risque de fuite à l’étranger (c’est la première fois que cet argument était utilisé dans l’affaire Wesphael), la crainte de donner l’image que la justice ne fait pas son travail ou qu’un député a plus de droits qu’un autre détenu, le souci de ne pas choquer la famille de la victime…

Ce 27 mai, les conseillers de la chambre des mises en accusation reprennent le dossier. Avec un regard neuf ? Plus les mois passent, plus il devient psychologiquement difficile de changer de position. Après avoir communiqué plusieurs fois de façon péremptoire, le parquet de Bruges a été rappelé à l’ordre et se mure dans le silence. Une ligne dure. Ou prudente. Parallèlement, la justice ouest-flandrienne refuse à Bernard Wesphael le bénéfice d’une détention préventive électronique, alors que, selon nos sources, soixante détenus ont déjà profité de ce nouveau système depuis le début de l’année.

L’intégralité du dossier dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

Philippe Boxho, président de l’Ecole de criminologie de l’ULG : « S’il y a confrontation d’experts, c’est qu’il y a doute » La hantise de l’ « affaire communautaire »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire