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Affaire Chodiev : Armand De Decker a-t-il servi Sarkozy ?

Dans son dernier numéro, Le Canard Enchaîné a jeté un beau pavé dans la mare parlementaire belge. Selon l’hebdomadaire satirique français, au printemps 2011, l’examen d’une proposition de loi aurait été accéléré à la Chambre et au Sénat pour servir les intérêts économiques de l’ancien président français Nicolas Sarkozy. Le vice-président du Sénat Armand De Dedecker (MR) aurait pu servir de facilitateur. Celui-ci s’en défend.

De quoi s’agit-il ? Selon Le Canard, le président du Kazakhstan aurait conditionné un important marché pour la société aéronautique EADS à un petit service particulier. Nazarbaïev aurait demandé à Sarkozy de sortir trois de ses amis de leurs ennuis judiciaires en Belgique : il s’agit du milliardaire Patokh Chodiev impliqué, avec deux autres hommes d’affaires kazakhs, dans le dossier de corruption Tractebel.

Le journal français raconte que la justice belge a résisté à toute pression. Restait alors la solution législative. Ainsi Claude Guéant, ancien conseiller de l’Elysée, Jean-François de Rosaies, conseiller de l’ombre du premier, et Catherine Degoul, principale avocate à Paris de Chodiev, auraient pris langue avec Armand De Decker (MR), vice-président du Sénat. Objectif : s’assurer que la proposition de loi sur l’extension de la transaction pénale à une série de délits (notamment financiers) serait vite votée pour s’appliquer aux Kazakhs.

Armand De Decker se serait-il arrangé pour que cette loi soit rapidement adoptée ? Il s’en défend et s’en explique : « Quand j’ai quitté la présidence du Sénat, en juillet 2010, j’ai repris mes activités d’avocat, nous dit-il. J’ai alors reçu un appel de Me Degoul et de Me Tossens, avocat bruxellois, pour que je les rejoigne dans la défense de Monsieur Chodiev. Il s’agissait d’un vieux dossier lié à l’affaire Tractebel, datant de 1996, et qui risquait, pour le ministère public, de se heurter au délai raisonnable. On est vite arrivé à la conclusion qu’il valait mieux une transaction. C’est Me Degoul qui a contacté le parquet pour cela. Pour le reste, je n’ai même jamais rencontré Monsieur Chodiev en personne. »
A cette époque, on savait qu’un projet de loi traînait dans les cartons du ministère de la Justice pour étendre la transaction pénale. « La presse en fait écho. Il y avait un fort lobby parlementaire flamand, notamment VLD, pour défendre ce texte qui arrangeait les diamantaires anversois, poursuit le sénateur De Decker. Moi, je ne suis intervenu en rien dans l’adoption de cette loi. » Il est vrai que si Armand De Decker est membre suppléant de la commission Justice du Sénat qui examiné le texte, son nom n’apparaît pas dans les débats.

Cela dit, lorsqu’on réexamine les travaux parlementaires sur la transaction pénale, on ne peut s’empêcher de constater la rapidité avec laquelle celle-ci a été votée. La proposition a été déposée à la Chambre le 11 février 2011 et a été adopté le 17 mars avant d’être envoyé (le 18 mars) au Sénat qui avait déjà commencé à l’examiner le 16 mars, soit avant l’adoption par les députés (comme le permet le règlement du Sénat). Le 14 avril la loi était promulguée et entrait en vigueur le 16 mai.

Un parcours très rapide certes, mais qui n’est pourtant pas si exceptionnel. « Sauf qu’ici il s’agissait d’une modification importante du code d’instruction criminelle qui méritait un débat de fond bien plus important, se souvient la sénatrice Zakia Khattabi (Ecolo), qui a fait rapport de la loi au nom de la commission Justice. Nous étions plusieurs, y compris dans la majorité, à nous étonner de l’urgence donnée à ce texte. Tout le monde pensait, à ce moement-là, que c’était à cause du lobby diamantaire. »
Mal ficelée, la nouvelle loi sur la transaction a d’ailleurs du faire l’objet d’un premier toilettage technique moins de deux mois après son entrée en vigueur : une loi de réparation a été adoptée le 11 juillet 2011. Entretemps, fin juin, Patokh Chodiev et ses compères avaient été les premiers à bénéficier d’une transaction pénale nouvelle version, négociée avec le parquet de Bruxelles qui a abandonné ses poursuites contre la somme de 23 millions d’euros, payée en août 2011.

Alors, la loi sur la transaction a-t-elle a été précipitée pour servir les diamantaires anversois ou bien le milliardaire Chodiev ? Sarko a-t-il fait la loi en Belgique, comme l’écrit Le Canard Enchaîné ? Armand De Decker reconnaît connaître de longue date Jean-François de Rosaies. Mais cela ne prouve évidemment rien. Il fait aussi partie de la même confrérie promouvant notamment l’Armagnac dans le Gers qu’Aymeri de Montesquiou-Fezensac, député du Gers et représentant du président Sarkozy pour l’Asie centrale, également cité par le journal français comme intermédiaire. « Mais cette confrérie compte des milliers de membres (Ndlr : 3 000) et je ne connais Monsieur de Montesquiou que de nom. »

Il reste sans doute beaucoup de questions dans cette affaire, notamment sur la succession parfaite des faits pour le milliardaire kazakh. Une chose est certaine en tout cas. Quelques jours après la transaction signée par Chodiev et le parquet de Bruxelles, le président kazakh signait les contrats de vente de 45 hélicoptères par EADS. Sarkozy était satisfait.

Thierry Denoël

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