" L'agriculture biologique est avant tout un mouvement de société ", rappelle Mac Fichers. © hatim kaghat pour le vif/L'Express

« Acheter bio, un acte politique »

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Pour Marc Fichers, secrétaire général de Nature et progrès, le succès du bio mène à un ultime combat : mettre fin aux aliments sans visage, déconnectés de leurs producteurs. Quitte à avancer bien au-delà des normes européennes.

Il y a quarante ans, leur plaidoyer trouvait bien peu d’échos. Les précurseurs du bio ? Une poignée d’idéalistes alors marginaux, malmenés par les agriculteurs et les consommateurs perplexes. Depuis, leurs valeurs ne cessent de gagner les champs et les assiettes. Progressivement mais aussi par sursauts, au lendemain de scandales comme la crise de la dioxine, en 1999.  » Aujourd’hui, quand je donne une conférence, je sais que tout le monde sera d’accord avec moi « , sourit Marc Fichers, secrétaire général de Nature et progrès Belgique, fondée en 1976. Fort de son succès croissant, le bio n’en reste pas moins menacé par ceux qui tentent d’en assouplir les règles.

Après des années de négociations, l’Europe a voté la révision de son règlement bio, qui entrera en vigueur en 2021. Qu’en pensez-vous ?

Ce texte touche à des fondamentaux, et nous ne sommes pas d’accord. L’agriculture biologique, c’est avant tout un mouvement de société. Il est né dans les années 1970 de la rencontre entre des consommateurs et des producteurs, préoccupés par les dégâts environnementaux, économiques et sociaux de l’agriculture dite industrielle. Ils auraient pu en rester là, les uns consommant ce que les autres produisent. Ça ne s’est pas fait comme ça. Ensemble, ils ont jeté les bases d’un nouveau modèle agricole. Parmi les consommateurs qui s’intéressent au bio, les centres d’intérêt varient. Mais tous le choisissent parce qu’il est garanti sans pesticides et sans produits chimiques de synthèse. C’est à ce socle commun que le nouveau règlement européen pourrait porter atteinte.

De quelle manière ?

Au début des discussions, le texte proposé par la Commission européenne était presque un copier-coller de la réglementation wallonne, l’une des plus strictes d’Europe. Chez nous, si un organisme de contrôle décèle la présence de pesticides dans un champ bio, même en quantité infime, le lot est déclassé. On peut ainsi toujours garantir au consommateur que le produit qu’il achète est vraiment bio. Cette mesure-là n’a finalement pas été retenue dans le nouveau règlement européen, à la suite de l’intervention de lobbies. Il va aussi faciliter la circulation de produits bio sur de longues distances. Or, une analyse de dix ans nous a montré que la majorité des pollutions en pesticides dans les produits bio sont dues à leur transport.

Mais les contrôles resteront tout aussi sévères en Belgique.

En Belgique, d’après les positions actuelles, on devrait en effet pouvoir garder une réglementation plus stricte.

Il n’y aura donc pas davantage de pesticides dans les futurs produits bio commercialisés chez nous…

En théorie, c’est vrai. Dans la pratique, nous avons des craintes. C’est un peu la dynamique du village gaulois : la Belgique, encerclée par un règlement plus laxiste, devra continuer à contrôler tous les produits entrants selon ses normes plus strictes. En 2013, une étude menée auprès des consommateurs européens avait pourtant confirmé qu’ils souhaitaient un renforcement des règles du bio. Ce que l’on dit aujourd’hui à l’Europe, c’est qu’elle n’a rien compris au secteur bio pour proposer ce texte-là, parce qu’elle risque de semer le doute au sein de la population.

L’Europe n’a rien compris au secteur bio, pour proposer un texte comme celui-là

Comment y remédier ?

De son côté, la Belgique devrait maintenir son niveau d’exigence sur la base de l’actuel règlement européen. Et la position de Nature et progrès va encore plus loin : en ce qui concerne nos producteurs, on se prépare à mettre des normes techniques sur notre label pour garantir, avec des contrôles supplémentaires, la réalité du zéro phyto même après 2020.

Vu tous ces labels, doit-on en déduire qu’il existe plusieurs types de bio ?

Je n’aime pas cette vision qui tend à opposer un bio  » plus  » et un bio  » moins « . Je dirais plutôt qu’il existe un bio avec des strates différentes, qui dépendent du comportement d’achat du consommateur. Celui qui entre dans le circuit bio cherche d’abord un produit sans pesticides ni produits chimiques de synthèse. Pour cela, il peut se contenter d’aller chez Lidl ou Aldi. Puis, il prêtera attention à d’autres aspects : le goût, l’équilibre alimentaire, la composition des produits, leur provenance… Jusqu’à la strate ultime, que nous résumons en une phrase :  » Mes aliments ont un visage.  » Le producteur doit être associé à son produit jusque dans l’assiette du consommateur.

Vous parlez d’un critère local ?

Nous préférons parler d’un critère humain. Quand je parle de circuit court, je ne suis pas nécessairement dans la cour de la ferme. Je n’ai aucun problème avec un fromage vendu en grande surface, tant qu’il est associé au nom de son transformateur, directement identifiable. Le secteur de la transformation est industriel quand il ne s’inscrit pas dans l’agriculture biologique, quand il considère le producteur comme un simple fournisseur d’ingrédients et le consommateur comme un pouvoir d’achat. On ne parle alors plus d’agriculture, mais de produit. S’il est réduit à cela, le bio ne m’intéresse plus du tout.

Se dirige-t-on vers un bio à deux vitesses avec, d’une part, des aliments de qualité et, de l’autre, une course aux moindres coûts ?

Je pourrais dire oui, mais ça ne ferait pas avancer les choses. En tant que responsable d’une association, je vais plutôt changer ma stratégie. Quand nous étions entre nous, quand il n’y avait que 700 agriculteurs bio en Wallonie et de rares magasins de circuit court, Nature et progrès s’adressait au public de l’agriculture conventionnelle. A l’avenir, le règlement européen va accroître la présence des produits bio dans les grandes surfaces et la part de marché du hard discount. Soit… Quel sera notre travail à ce moment-là ? De nous tourner vers les consommateurs un petit peu intéressés au bio, pour continuer à les faire cheminer vers des produits  » mes aliments ont un visage « . Ce n’est pas une vision positive. C’est une réaction face à un combat que nous n’avons pas gagné.

Aujourd’hui, des tentatives se multiplient pour autoriser des systèmes de ventilation forcée dans les poulaillers. Ne craignez-vous pas un dévoiement du bio ?

Pas du bio en général, peut-être dans certaines filières. La ventilation dynamique des poulaillers est en effet une pure aberration. Quand on l’interdit, on est obligé de limiter le nombre de poules par bâtiment, sinon il y a trop d’ammoniac. C’est un système moins industriel, qui nécessite de s’orienter vers des oeufs avec une plus-value. Or, cette plus-value ne peut être obtenue que dans les circuits courts… Mais le problème dont vous parlez apparaît dans des systèmes alimentaires qui n’ont de toute façon aucun avenir. J’en reviens aux fondamentaux du bio : un mouvement de société qui vise à changer l’entièreté de l’agriculture. De nombreux consommateurs vont continuer à s’interroger sur leurs valeurs. Or, nous changeons bien plus la société en achetant un produit bio qu’en allant voter, car c’est un acte politique au quotidien.

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