© Saskia Vanderstichele

Accident de Sierre : « Ce n’était pas un suicide. J’en suis sincèrement convaincue »

L’accident de bus de Sierre demeure un mystère. Le rapport final tant attendu du procureur suisse suscite peu d’espoir. Entre-temps, certains parents ont développé leur propre thèse. Le chauffeur Geert Michiels aurait entraîné 27 innocents dans son suicide. Foutaises, répond Evy Laermans qui défend la mémoire de son mari de toutes ses forces. Entretien avec une veuve qui n’a pas le droit d’être une victime.

L’accident du 14 mars 2012 qui a coûté la vie à vingt-deux enfants et six adultes demeure un mystère. Comment expliquer qu’un autocar moderne puisse s’encastrer dans le renfoncement d’un tunnel à cent kilomètres à l’heure sans qu’il y ait de traces de freinage ?

L’enquête du procureur suisse Olivier Elsig n’est pas encore terminée, mais les rapports intermédiaires ont suscité plus de questions que de réponses. Aucune défaillance technique n’a été constatée. L’autopsie a révélé que les chauffeurs n’avaient pas consommé d’alcool ou de drogue et il est certain qu’ils ont respecté le repos obligatoire entre l’aller et le retour. Mais en juin l’année passée, un détail intriguant a fait surface. Quelques minutes avant l’accident, Geert Michiels avait repris le volant en dépit du schéma qui planifiait le changement de chauffeur quelques heures plus tard. Depuis cette révélation, le drame personnel d’Evy Laermans a tourné au cauchemar public.
Les suspicions proviennent toujours de Lommel qui a connu les pertes les plus lourdes. Dix-sept victimes tuées sur les vingt-huit venaient de l’école primaire ‘t Stekske à Lommel. Les proches des victimes cherchent désespérément une explication alors qu’il est très peu probable que le rapport final du procureur Elsig réponde à ce besoin. Certains parents de Lommel ont développé leur propre hypothèse : le chauffeur âgé de 34 ans, Geert Michiels, se serait suicidé en entraînant 27 passagers dans la mort. Le mois passé, l’émission de VTM Telefacts leur a permis d’expliquer leur thèse sans beaucoup d’objections. Qu’après avoir percuté la bordure, le chauffeur n’a pas essayé de tourner à gauche, mais qu’il a volontairement dirigé son bus vers le renfoncement à droite. Qu’il prenait des antidépresseurs et qu’il avait envoyé un SMS d’adieu à son épouse. Celle-ci a regardé l’émission avec étonnement et indignation.

La jeune femme est plus déterminée que jamais à défendre l’honneur de son mari tué dans l’accident. « Je ne savais rien de ce reportage, je ne l’ai su que quand j’ai été contactée la veille par des journalistes. Ils avaient vu le reportage en avant-première et me demandaient de commenter les accusations de suicide. J’ai dit que je ne souhaitais réagir qu’après l’émission. C’est ce que j’ai fait, j’ai juste refusé la demande du journal télévisé de VTM. Ils diffusent tous ces ragots et ensuite je devrais me montrer dans leur journal ? Hors de question ! »

Vous êtes très combative, dans les médias aussi. Où puisez-vous ce courage ?

Evy Laermans : « Mon mari ne peut plus se défendre. Si je ne le fais pas, qui le fera ? Je comprends que les parents soient torturés par des questions, je me pose moi-même de nombreuses questions. Pourquoi Geert a-t-il repris le volant juste avant le tunnel ? J’espère que le rapport final élucidera cette question, mais je ne me fais pas beaucoup d’illusions. C’était un accident et il est fort probable qu’on n’en connaîtra jamais la cause. Le procureur suisse est resté très prudent jusqu’à maintenant. Il déclare que rien n’indique une défaillance technique, mais il ne l’exclut pas complètement non plus. Il ne peut pas non plus, les dégâts étaient trop importants (…). »

Le fait que Geert prenait des antidépresseurs alimente les rumeurs. Pouvez-vous comprendre que comme il n’y a aucune autre explication, certaines personnes pensent à un suicide?

« Comprendre, c’est beaucoup dire, mais je comprends le mécanisme. Certaines personnes ont du mal à comprendre l’absurdité de la vie. C’est pénible aussi de se résigner à ne jamais savoir le fin mot de l’accident. Certainement quand il s’agit d’un drame de cette ampleur entretenu par les médias. Certains n’arrivent pas à l’accepter et cherchent un bouc émissaire pour expliquer l’inexplicable. Ils s’en sont pris à Geert parce qu’il était au volant par un coup du sort. À partir de ce moment-là, cette hypothèse devient une obsession et tout est interprété dans le but de confirmer ces soupçons. Ce soir-là j’ai envoyé un SMS à Geert lui disant que je l’aimais et il m’a répondu qu’il éprouvait les mêmes sentiments à mon égard. Ils en font un message d’adieu alors que nous échangions constamment ce genre de déclarations. Ce n’était pas un suicide, j’en suis sincèrement convaincue. Oui, Geert prenait des antidépresseurs. Il avait commencé deux ans plus tôt pour accepter les suites de son douloureux divorce, mais au moment de l’accident, il était en train de diminuer la dose. Si ce médicament avait cet effet-là, celui-ci se serait-il manifesté plus tôt ? Geert n’était absolument pas suicidaire. (…) Un suicide ? Quelle idée ? Geert avait entièrement repris sa vie en main. Nous venions de nous marier, nous projetions une grande fête au printemps et nous voulions des enfants. (…) »

« Il voulait arrêter fin mars, pour me faire plaisir. Je n’aimais pas qu’il soit aussi souvent parti les week-ends, et en plus j’étais inquiète. Tout à fait à tort, disait-il en riant, il n’y a pas de moyen de transport plus sûr que l’autocar. L’ironie du sort a voulu que ce soit à cause de moi qu’il ait fait ce voyage fatal. »

Comment ça?

« On a eu une demande de Toptours. Partir lundi soir avec un bus vide pour la Suisse, revenir le mardi soir avec un bus rempli d’enfants. Geert voulait refuser. En principe, il ne roulait que le week-end. Je nous vois encore à la table de cuisine. « Pourquoi pas », je lui ai dit. » À la fin du mois, tu cesses de toute façon. Profites-en tant que tu peux parce que je sais à quel point tu aimes ce boulot. »

Erik Raspoet

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