Dans les environs du boulevard Léopold III. © capture d'écran Google

A qui profitent les nouveaux quartiers bruxellois ?

Le Vif

Face au boom démographique, les autorités bruxelloises sont obligées d’optimaliser la moindre parcelle de terrain pour construire du logement. Mais à qui va vraiment profiter ce déploiement de moyens publics ?

Bruxelles serait-elle à l’aune d’un big bang urbanistique ? C’est ce qu’annonce le nouveau gouvernement régional. En 2020, la Région bruxelloise devrait compter 120 000 habitants supplémentaires. Ce qui signifie que la Région doit passer de 4 000 à 6 000 nouveaux logements produits par an. Les chantiers annoncés sont nombreux : notamment la transformation de la zone du canal, présentée comme la nouvelle colonne vertébrale de Bruxelles et érigée en symbole du renouveau, ainsi que le développement de dix nouveaux quartiers sur des friches ferroviaires ou des sites à reconvertir. Parmi les espaces retenus: Reyers, Delta, Heysel avec le mégaprojet NEO, Tour et Taxis et Schaerbeek-Formation en complément du développement du canal, le boulevard Léopold III et l’Otan.

Pour réaliser ces ambitions, l’équipe Vervoort prévoit d’importants remaniements institutionnels. Le moment est propice. Car à la suite de la sixième réforme de l’Etat, la Région se voit dotée de nouvelles compétences, suffisamment importantes pour que Rudi Vervoort (PS), ministre-président mais surtout en charge de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et du Patrimoine, voie en cette législature une « seconde naissance » pour la Région, 25 ans après sa création.

Dans sa Déclaration de politique générale, le ministre-président a annoncé une « révolution de la gouvernance », notamment à travers une rationalisation des institutions en matière de développement urbain par exemple, et particulièrement dans la zone du Canal qui, à l’en croire, sera méconnaissable en fin de législature. Ainsi, le 2 octobre dernier, le gouvernement a adopté en première lecture deux ordonnances dont l’objectif est de coordonner les politiques à l’échelle du territoire. Comment ? Par la mise en place d’un outil d' »assemblier ».

Ces ordonnances consacrent, en fait, la création de deux structures para-régionales. D’une part un Bureau bruxellois de planification (BBP), qui réunira tous les acteurs actuels de la connaissance du territoire (Agence de développement territorial, Société d’acquisition foncière…), soit environ 20 organismes concernés. En plus de réunir les acteurs de l’analyse et de la statistique, ce bureau sera aussi appelé à conseiller le gouvernement en amont des projets.

D’autre part, une Société d’aménagement urbain (SAU), créée au départ de la SAF (Société d’acquisition foncière), sera un développeur public foncier chargé de la mise en oeuvre opérationnelle des projets. La volonté de simplification touche également l’exécutif, puisque les compétences urbanistiques (développement territorial, politique de la ville…) seront centralisées chez le ministre-président lui-même, alors qu’elles étaient davantage réparties sous la législature précédente.

Ces deux institutions verront le jour, en principe, durant le premier semestre 2015. Mais à ce stade, on ignore quelle sera l’autonomie du conseil d’administration du Bureau bruxellois de planification. Et d’aucuns pointent déjà le risque d’une éventuelle politisation de cette structure, composée de fonctionnaires et d’agents contractuels désignés sur des bases politiques…

L’enjeu de cette réforme est de taille : il s’agit surtout, pour le gouvernement, de se mettre en ordre de bataille pour mener les négociations qui vont se jouer autour des réserves foncières bruxelloises. Les dix quartiers prioritaires, prévus par la déclaration de politique gouvernementale, correspondent aux derniers espaces de taille restés aux mains de grands propriétaires publics, notamment la SNCB. Laquelle entend bien tirer profit des terrains qu’elle possède dans le quartier Midi et aux abords de la gare Josaphat. Par ailleurs, la Région veut avoir les mains libres dans la zone du canal. Quitte à attribuer elle-même certains permis, en lieu et place des communes.

Reste à savoir à qui vont vraiment profiter ces déploiements de moyens publics. Sur ces pans de territoire, le gouvernement veut surtout construire du logement, public et privé, pour parer au boom démographique. Tout en favorisant l’installation de nouvelles entreprises, d’espaces publics et d’équipements d’intérêt général (écoles, crèches…). En garantissant, au passage, une bonne desserte en transports publics. Sa stratégie ? S’appuyer sur les grands promoteurs immobiliers, en utilisant les partenariats public-privé.

La Société d’aménagement urbain, en d’autres termes la plateforme de mise en oeuvre, pourra acheter, vendre, développer. Elle aura aussi la capacité de créer des filiales en fonction des projets, de monter des partenariats avec le privé au travers de sociétés d’économie mixte. Et pour hâter le pas, la Région déroule le tapis rouge aux promoteurs. Réforme du Code bruxellois de l’urbanisme, assouplissement du règlement d’urbanisme régional, obligation de soumettre les projets à une commission de concertation citoyenne revue à la baisse…

Pour le Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat et ses 52 associations, le constat est sans détours : pour endiguer l’exode urbain des classes moyennes, le gouvernement actuel fait le choix d’aider les ménages à revenus moyens élevés, aux dépens des ménages qui ont le plus besoin des aides publiques. « Le Gouvernement pre?voit de laisser la main aux promoteurs prive?s pour de grands projets dans la zone du Canal et dans les 10 nouveaux quartiers identifie?s. De toute e?vidence, la production de logements publics n’y sera donc pas prioritaire », observe le RBDH. Et de pointer que « les conditions d’acce?s aux cre?dits hypothe?caires du Fonds du Logement seront encore revues a? la hausse. »

A l’ombre des tours résidentielles, des clos et autres îlots de luxe, 44 000 ménages bruxellois sont en attente d’un logement social. Or, le gouvernement n’ambitionne d’en créer que 3 900 d’ici cinq ans, mais « n’indique ni où ni comment tous ces logements seront produits », souligne le RBDH. Sans doute s’agit-il de l’ambition la plus faible de cette nouvelle législature. Sous la précédente, l’accord de majorité prévoyait une moyenne de 15% de logements sociaux dans chaque commune à l’horizon 2020. Dans les faits, seules 1 500 habitations ont été construites en cinq ans.

Enfin, si l’encadrement contraignant des loyers est, depuis longtemps, une des revendications du RBDH, le gouvernement semble y rester sourd. Pour une infime partie des ménages inscrits sur les listes d’attente, le gouvernement prévoit une allocation-loyer encadre?e, c’est-a?-dire une nouvelle allocation-loyer limite?e verse?e si et seulement si le proprie?taire accepte de respecter des loyers de re?fe?rence. « On aide le locataire à payer son loyer mais on ne s’attaque pas à l’essentiel, les loyers excessifs demandés par les bailleurs à Bruxelles », analyse le RBDH. Par ailleurs, le précompte immobilier sera majoré pour les multi-propriétaires. « Le risque est grand que les bailleurs ne répercutent cette hausse sur les prix des loyers », conclut le RBDH. Entretenant ainsi la spirale à la hausse.

Par Rafal Naczyk

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