Jamil Araoud, directeur général de Bruxelles prévention & sécurité, pendant la crise du coronavirus : " Un gros travail de coordination. " © Debby termonia

À Bruxelles, l’enjeu sécuritaire (Zone + Le Vif)

Quatre ans après les attentats de Zaventem et de Maelbeek, la Région de Bruxelles-Capitale s’est emparée des questions de sécurité offertes par la sixième réforme de l’Etat.

Agauche de la colonne du Congrès, le numéro 40 de la rue de Ligne est stratégique pour la sécurité bruxelloise. Derrière sa façade aux couleurs de l’arc-en-ciel, l’Athena 40 (son nom) est sécurisé et badgé de partout. A l’intérieur, les bureaux de Bruxelles prévention & sécurité (BPS) respirent le neuf. Quelques étages plus bas, le futur centre régional de crise et de communication est encore classé top secret. Il est destiné à remplacer la crisis room de la zone de police de Bruxelles-Ixelles d’où ont été gérées les festivités du Nouvel An 2020. Sous commandement unique : une première. Comme le fait que la Stib, la société des transports intercommunaux, ait accepté de partager en temps réel les images de ses caméras de surveillance. Ainsi, donc, les six zones de police ont travaillé main dans la main et tout s’est bien passé. Un succès médiatisé à dessein, pour bien montrer que Bruxelles sait accorder ses violons dans la fête, après avoir enduré le pire, les attentats de mars 2016, et leur projecteur blafard sur les zones de faiblesse du dispositif sécuritaire de la capitale.

Depuis le début de l’épidémie du Covid-19, le Cores s’est déjà réuni à quatre reprises.

La sécurité bruxelloise se construit. A petits pas, par petites touches. Trop lentement aux yeux de certains – les partis flamands qui rêvent de fusionner les zones de police et de transformer le ministre-président en préfet de police. Trop vite pour d’autres, bousculés dans leurs habitudes par l’irruption d’un nouvel acteur : BPS. L’organisme d’intérêt public (OIP) est chargé de mettre en musique les nouvelles compétences en matière de sécurité issues de la sixième réforme de l’Etat et de sa version intrabruxelloise, en 2014. De fait, le pouvoir n’a pas lésiné sur les moyens pour permettre au directeur général de Bruxelles prévention & sécurité de relever le défi.

Peu connu du grand public, Jamil Araoud, 40 ans, est au service de l’Etat et hante les cabinets politiques depuis un certain temps. Son master en sciences politiques (ULB) en poche, il a travaillé pendant sept ans dans le contre-terrorisme au Service général de renseignement et de sécurité (Défense). Il a ensuite été recruté au cabinet de la vice-Première ministre Laurette Onkelinx (PS) comme conseiller  » sécurité, politique étrangère et défense « . En septembre 2014, il rejoint le cabinet du ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, Rudi Vervoort (PS), pour la prévention et la sécurité.

D’un geste large (ce reportage a été réalisé avant la crise du coronavirus), il désigne la skyline à travers les vitres du huitième étage de l’Athena 40.  » Voilà, énumère-t-il, la police fédérale, le Centre de crise fédéral, l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam), les pompiers du Siamu, bientôt la police locale de Bruxelles-Ixelles, le cabinet de l’Intérieur, celui du ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, la Silver Tower où va se regrouper l’administration régionale bruxelloise…  » L’essentiel du pouvoir régalien belgo-bruxellois, rassemblé dans une poignée de rues au croisement du haut et du bas de la ville, tout un symbole.  » Nous sommes un service régional au service de ses partenaires – plus de 25… – et un facilitateur dans la coordination des activités de sécurité « , résume-t-il.

Alain Maron (ministre bruxellois de la Santé, Ecolo), Rudi Vervoort (ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, PS) et Viviane Scholliers (haut fonctionnaire, CDH) en première ligne.
Alain Maron (ministre bruxellois de la Santé, Ecolo), Rudi Vervoort (ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale, PS) et Viviane Scholliers (haut fonctionnaire, CDH) en première ligne.© THIERRY ROGE/belgaimage

Qu’on comprenne bien : la sécurité à Bruxelles n’a pas été régionalisée en 2014, même si rien n’a été fait pour rendre une telle évolution impossible, vu l’avenir incertain de la Belgique : les négociateurs de la sixième réforme de l’Etat y ont veillé. La fonction de gouverneur a été supprimée. La solution de remplacement est biscornue et composite à souhait. Un haut fonctionnaire (c’est le titre de Viviane Scholliers, CDH) est chargé de la sécurité civile (les catastrophes naturelles, les crises sanitaires), sous tutelle fédérale, comme l’était le gouverneur (le titre était resté) d’une province depuis longtemps disparue (Brabant). Il travaille en bonne intelligence avec l’administration régionale. Le Service d’incendie et d’aide médicale urgente (Siamu) a, lui, été rattaché à la Région, alors que partout ailleurs les pompiers dépendent des Provinces et, donc, du ministre de l’Intérieur. Enfin, le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale (Rudi Vervoort, PS) a hérité du maintien de l’ordre, mais à titre subsidiaire, les dix-neuf bourgmestres bruxellois et le ministre fédéral de l’Intérieur restant en première ligne avec leurs polices locales (six zones) et fédérale.

Dans la foulée, Bruxelles a été dotée d’un Conseil régional de sécurité (Cores), rendu indispensable par le caractère urbain de la Ville-Région. Il se réunit à la suite du Conseil national de sécurité, avec le même genre d’acteurs : parquet, Sûreté de l’Etat, Organe de coordination pour l’analyse de la menace, représentants des exécutifs, etc. Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, le Cores s’est déjà réuni à quatre reprises, sous la présidence de Rudi Vervoort. C’est BPS qui assure la préparation, l’organisation et le suivi de ces réunions.

Si ce schéma n’était pas déjà suffisamment compliqué, on soulignerait encore le rôle très ancien (1874), informel et décisif joué par la Conférence des bourgmestres, dont le président actuel est le CDH Hervé Doyen (Jette). C’est à ce niveau-là, entre bourgmestres, que le règlement général de police des communes bruxelloises a été harmonisé. Les conseils communaux et les conseils de police vont devoir l’approuver. Preuve s’il en est que les dix-neuf  » bourguemaîtres  » peuvent s’entendre…

Des critiques pour BPS

 » Je suis arrivé à BPS huit jours après les attentats de 2016, se souvient celui à qui échoit la lourde tâche de donner une apparence de cohérence à ce fouillis institutionnel, Jamil Araoud. D’un certain côté, ces événements nous ont freinés, car ils ont suscité beaucoup de débats sur l’architecture de sécurité et la fusion des zones de police. Monter BPS a été un véritable défi organisationnel ! Le service est passé de quatre ou cinq personnes à une septantaine.  »

Dire que ce nouvel OIP a été accueilli favorablement serait exagéré.  » Nouvelle couche de lasagne bruxelloise « ,  » création purement politique « ,  » inefficacité « ,  » dirigisme  » font partie des reproches entendus, parfois contradictoires.  » Il y a beaucoup de structures dont les rôles et les missions ne sont pas encore clairs, ce qui engendre des incompréhensions « , observe le député fédéral bruxellois Gilles Vanden Burre (Ecolo), membre de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats.  » Les résultats de BPS ne sont pas à la mesure de l’argent dépensé, tranche Vincent De Wolf, bourgmestre d’Etterbeek et député bruxellois de l’opposition (MR). Prenons les drones : BPS en a acheté cinq en avril 2016, pour 200 000 euros, sans s’être concerté avec les zones de police. Ils sont restés au hangar pendant un an et demi, parce que personne n’était formé à leur pilotage.  » Jamil Araoud balaie la critique :  » Ce temps a été mis à profit pour recruter et former des pilotes en partenariat avec la police fédérale. L’équipe drones est placée sous la responsabilité du directeur-coordinateur de la police fédérale de Bruxelles, Luc Ysebaert. Aujourd’hui, elle est disponible 24 heures sur 24 et, pour mémoire, 85 % des moyens de BPS sont utilisés par les zones de police.  »

Les résultats de BPS ne sont pas à la mesure de l’argent dépensé.  » Vincent De Wolf (MR)

Mis en service le 27 septembre 2018, à l’occasion d’un match de la coupe de Belgique RSCA-Antwerp, ces petits appareils bourrés de technologie ont effectué 197 sorties en 2019, que ce soit pour guider les pompiers en opération, surveiller des manifestations (gilets jaunes, Marathon de Bruxelles…) ou sécuriser des perquisitions ou procès sous tension (tuerie du Musée juif). Depuis juin 2019, ils interviennent à la demande de Bruxelles Mobilité et fournissent un support aux opérations de contrôle en collaboration avec les zones de police.  » Nous travaillons actuellement à certaines évolutions technologiques, notamment, grâce à l’acquisition et au déploiement de drones immersifs pour des opérations spéciales ou établir la photogrammétrie des accidents de la route, ce qui permettra à terme de libérer plus rapidement la voirie.  » Un savoir-faire désormais reconnu.  » Les acteurs privés de grandes sociétés nous demandent un retour d’expérience dans le domaine aérien « , glisse Jamil Araoud.

Le pouvoir régalien belgo-bruxellois Les principales institutions administratives, politiques et sécuritaires concentrées dans quelques rues de Bruxelles, entre le haut et le bas de la ville.
Le pouvoir régalien belgo-bruxellois Les principales institutions administratives, politiques et sécuritaires concentrées dans quelques rues de Bruxelles, entre le haut et le bas de la ville.© infographie : dirk billen

Autre critique entendue en commission des Affaires intérieures du parlement bruxellois : la gestion d’Athena 40.  » A ce jour, seuls trois de ses huit étages sont occupés par BPS et le futur centre de crise et de communication intégré, indique Vincent De Wolf. Il est prévu que la centrale téléphonique du Siamu les y rejoigne, de même que les dispatching de la Stib et de la zone de police Bruxelles-Ixelles, mais le Siamu traîne des pieds.  » Ni son directeur général, Tanguy du Bus de Warnaffe, ni le secrétaire d’Etat bruxellois qui en a la tutelle, Pascal Smet (SP.A), n’ont accepté de répondre aux questions du Vif/L’Express. Le ministre-président l’a fait, sur un ton légèrement excédé :  » Ce sont des discussions qui commencent à tourner en rond et qui traduisent une certaine résistance au changement, analyse Rudi Vervoort. Notre rôle est de rappeler que les engagements pris sous le précédent gouvernement, et par écrit avec le Siamu, seront appliqués de la manière la plus consensuelle possible, certes, mais la ligne est tracée au niveau politique.  »

 » L’inoccupation de ce bâtiment, c’est du gaspillage, déplore le député libéral ! La location coûte 2,1 millions d’euros par an, alors que cinq étages sont totalement inoccupés.  » Jamil Araoud, qui se dit  » très soucieux des deniers publics « , rappelle que le propriétaire les a dispensés du paiement du loyer de la première année d’occupation en 2017.  » On ne pouvait pas laisser passer l’opportunité de ce bâtiment, mais on a dû faire face à des procédures complexes de marché public « , appuie Rudi Vervoort. Tous les travaux ne sont pas encore terminés.

L’élément psychologique, ensuite. Certains bourgmestres goûtent peu d’être  » by-passés « .  » En 2018, Jamil Araoud est arrivé en Conseil régional de sécurité bruxellois avec les 200 pages du Plan global de sécurité et de prévention que nous, les députés et bourgmestres bruxellois, n’avions jamais lu, épingle Vincent De Wolf. Je me suis insurgé… On ne fait pas des choses comme ça.  » Le ministre-président Vervoort relativise :  » Les bourgmestres sont mécontents quand BPS ou un ministre s’adresse directement aux chefs de corps des polices locales, même pour des questions très techniques. J’ai donc conseillé de les mettre en copie et je n’ai plus entendu de récriminations.  » Immobilisme ou souplesse de bon aloi ? La crise actuelle permet de tester cette nouvelle architecture de sécurité.

L’embryon d’une école de la sécurité à Haren

L’Ecole de la prévention et de la sécurité de la Région bruxelloise n’ouvrira qu’une partie de ses installations en mai prochain.

Toutes les provinces, à l’exception de celles de Luxembourg et du Brabant wallon, ont leur campus de la sécurité. Pas la capitale.  » Le MR a soutenu l’idée d’une école régionale de la sécurité, rappelle le député-bourgmestre Vincent De Wolf (MR), car il y a un manque flagrant d’infrastructures à Bruxelles. Les pompiers, par exemple, doivent s’entraîner dans le Brabant flamand et les stands de tir pour les policiers sont dispersés sur tout le territoire. Cela concerne 9 000 personnes : 5 200 policiers, 1 000 sapeurs-pompiers, 1 200 secouristes et ambulanciers, 1 200 agents de prévention. Jusqu’en 2016, le projet était piloté par le gouverneur bruxellois. Depuis que Bruxelles prévention et sécurité l’a repris, il y a beaucoup de problèmes.  »

A terme, quatre institutions se retrouveront sous le label Brusafe dans un domaine de 2,5 hectares connu sous le nom de Blue Star, à Haren (Bruxelles-Ville), non loin de l’Otan : l’école de police (Erip), l’école de secouriste-ambulancier (Ifamu), l’école du feu (CFPB) et l’école d’administration publique (Erap). Le campus sera fréquenté par 400 à 500 élèves quotidiens, en formation initiale ou continuée.

Le budget pour cette nouvelle infrastructure était annoncé à 30 millions d’euros.  » Le ministre-président parle aujourd’hui de 6,5 millions d’euros « , relève Vincent De Wolf. Une première inauguration aura lieu début mai prochain : trois des six bâtiments du Blue Star sont prêts, avec leurs salles de cours dernier cri (simulateur, réalité augmentée…) et deux stands de tir. Les trois autres devraient être démolis et refaits, quand la Porte d’Ulysse (accueil des migrants en transit) aura été transférée dans l’ancien immeuble de BeTV, chaussée de Louvain. Foin de ces critiques.  » La réunion sur un même site de l’ensemble des métiers de la sécurité sera unique en Belgique et un vecteur d’emplois pour les Bruxellois « , affirme Alain Goergen, administrateur délégué de Brusafe, ancien responsable du recrutement à la police fédérale.

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