Paul Sobol © HATIM KAGHAT

75 ans après Auschwitz : « Je ne veux pas de pitié. Je veux que les gens écoutent »

Il y a 75 ans, Auschwitz était libéré. Paul Sobol, l’un des derniers survivants belges de l’usine nazie emblématique, raconte son histoire. « On a braqué une lumière vive dans nos yeux. Et puis : « Raus ! Schnell! »

Immigrés polonais de Varsovie, les parents de Paul Sobol sont arrivés à Bruxelles avec leurs enfants en 1928, après une escale à Paris. Le père Rywen était un syndicaliste rouge. Sous l’occupation de la Belgique par l’Allemagne nazie, il vendait des journaux clandestins. De plus, bien que non pratiquant, il est juif. Il ne quittait pas sa maison sans un Brüsseler Zeitung sous le bras, le journal de propagande de l’occupant imprimé à Bruxelles. Paul Sobol – 93 ans, un peu dur d’oreille, mais parfaitement lucide – sourit. « Vous devez savoir que mon père s’habillait aussi toujours en noir. Il avait un long manteau noir et un chapeau noir. Comme un officier de la Gestapo. Les Feldgendarm n’osaient presque pas le regarder, encore moins vérifier ses papiers. Il sourit. « Oui, si vous vouliez survivre, il fallait du cran. »

Sobol a hérité du cran de son père. C’est le fil conducteur de son histoire de passeur de mémoire. Sobol a survécu un an dans trois camps de concentration, mais il y a perdu ses parents et son frère – il n’a plus que sa soeur. Il est arrivé à Auschwitz, avant de transiter à Gross-Rosen et se retrouver à Dachau. Le 27 janvier, cela fera 75 ans que l’Armée rouge a libéré Auschwitz. Ce camp, où environ 1,1 million de personnes sont mortes, est devenu l’icône de l’Holocauste, de la persécution industrielle de masse, de l’exploitation et de l’extermination des civils juifs. Paul Sobol est l’un des derniers survivants belges des camps nazis.

Monsieur Sobol, comment était votre vie pendant la guerre avant votre déportation à Auschwitz ?

Paul Sobol : Assez insouciante, au fond. En 1942, nous sommes en effet entrés dans la clandestinité, mais grâce à l’anonymat de notre fausse identité, je me promenais à Bruxelles sans souci. Après notre déménagement, je me suis fait de nouveaux amis, avec qui j’allais patiner ou au cinéma. J’ai même rencontré Nelly, que j’ai épousée après la guerre. Bien sûr, la guerre a comme gelé notre vie. Cette dernière ne commencerait vraiment, sentait-on, que lorsque la guerre serait terminée. Mais lorsque nous avons été arrêtés en juin 1944, j’ai vraiment eu un choc. Je n’ai pas du tout compris ce qui se passait.

Vous viviez dans la clandestinité depuis deux ans, n’est-ce pas?

Tout d’abord, les jeunes de dix-huit ans n’étaient pas aussi bien informés à l’époque qu’ils ne le sont aujourd’hui. Nous n’avions pas de smartphones. Et nous n’étions pas des juifs pratiquants. Je n’avais pas d’amis juifs, nous n’allions pas à la synagogue. Mon père a juste commis une bêtise, comme tant d’autres, en faisant inscrire sa famille au registre des citoyens juifs. Je dis bêtise, mais je ne lui en veux pas. Des éminences de la communauté juive ont organisé cet enregistrement pour les Allemands. Comme dans d’autres pays, on a massivement été pris au piège. Lorsque nous sommes arrivés à la caserne Dossin à Malines le 13 juin 1944, après que la Gestapo nous ait arrêtés, je ne comprenais rien à ce que je voyais autour de moi. « Alors, ce sont tous des Juifs ? », ai-je dit.

Que vous rappelez-vous de la caserne Dossin ?

Quand nous sommes arrivés, le débarquement en Normandie avait eu lieu moins d’une semaine avant. Les SS flamands qui nous gardaient avaient peur parce qu’ils ne savaient pas s’ils seraient autorisés à accompagner les Allemands quand ces derniers prendraient la fuite. Ils n’ont donc pas été aussi agressifs qu’à l’égard des prisonniers précédents. Je n’y ai ni vu ni subi de violence.

Le 31 juillet, toute votre famille a été embarquée dans le 26e convoi, le dernier à quitter Malines pour Auschwitz.

Nous avons d’abord été réunis dans la cour, où un SS faisait l’appel. Nous avons entendu nos noms. Six à sept cents personnes se sont vues forcées de monter dans le train, septante pour un wagon à bestiaux. Il y avait un peu d’eau, et des seaux pour faire nos besoins. J’étais stupéfait. « Devons-nous voyager ainsi ? Tout ce que j’avais sur moi était une photo de Nelly. Quand elle a découvert où j’étais, elle était partie à Malines avec un paquet pour mon anniversaire. Ils ne l’ont pas laissée entrer, bien sûr. Mais j’ai reçu le paquet. Il y avait un gâteau, des fruits et, au fond du panier, une photo d’elle. (sourire) Savoir que, malgré tout, quelqu’un à l’extérieur pensait à moi… Pour moi, c’était extraordinaire.

Votre convoi a voyagé pendant trois jours et trois nuits. Aviez-vous une idée de la destination?

Mais non ! Ce voyage était terrible. Nous devions dormir à tour de rôle, car il n’y avait pas de place pour que tout le monde se couche. Nous n’avions presque rien à boire, les seaux pour nos besoins se remplissaient, mais nous ne pouvions pas les vider. Cette puanteur… En chemin, nous avions vu que nous quittions la Belgique pour l’Allemagne et ensuite que nous entrions Pologne. Mais où nous étions? Aucune idée.

Quel souvenir avez-vous de votre arrivée à Auschwitz ?

On a braqué une lumière vive dans nos yeux. Et puis : (crie) « Raus ! Schnell! » Tout devait aller vite. 70 personnes chassées d’un wagon, c’est une débandade. Très vite, notre famille a été séparée. Ma mère et mon petit frère ont dû aller à gauche, mon père et moi à droite. Quand mon père a dit à un gardien de camp qu’on nous avait promis que les familles resteraient ensemble, on lui a dit qu’on nous séparait uniquement pour prendre une douche. Cela m’avait semblé parfaitement normal. Je n’ai appris ce qui est arrivé à ma mère et à mon frère que plus tard. Ceux qui étaient envoyés à gauche étaient immédiatement assassinés dans les chambres à gaz. Trop faibles pour travailler.

Que s’est-il passé pour votre père et vous?

Nous nous sommes retrouvés dans des baraquements où l’obscurité était totale. On ne voyait rien, mais on sentait qu’il y avait foule. (il sort son poing droit) Pendant tout ce temps, je tenais la photo de Nelly à la main. Y compris plus tard, quand nous avons été déshabillés, qu’ils nous ont rasé la tête et qu’ils ont attrapé nos bras pour y tatouer un numéro. Heureusement que c’était mon bras gauche, sinon ils auraient vu mon poing serré. Nous n’étions pas autorisés à garder quoi que ce soit. Tout le système était conçu pour nous faire oublier qui nous étions. En une nuit, on vous transformait en Stück.

Que voulez-vous dire par là ?

Nos gardiens ne nous appelaient jamais Häftling, prisonnier. Ils ont toujours dit Stück. Parce que pour eux nous étions des objets, rien de plus que des matières premières pour le grand complexe industriel qu’était Auschwitz. Nous n’étions même pas prisonniers, encore moins des humains. Les SS nous louaient à IG Farben, Krupp, Siemens… Toutes les entreprises qui gagnaient de l’argent à Auschwitz grâce à notre travail d’esclave. (il réfléchit un instant) Nous sommes arrivés peu après l’Aktion Höss, comme ils appellent le « traitement » – dirigé par le commandant du camp Rudolf Höss – des près de 440 000 Juifs hongrois assassinés et gazés en deux mois. (regard perçant) Quatre. Cent. Quarante. Mille. Avez-vous déjà vu autant de personnes réunies? Vous ne pouvez pas imaginer, jeune homme. Avez-vous été à Auschwitz ?

Pas encore. Une visite à Auschwitz vous aide-t-elle vraiment à mieux comprendre l’Holocauste ? Plus on en sait, semble-t-il parfois, moins on comprend.

Vous ne comprendrez pas mieux là-bas non plus. Pourtant, vous devez y aller. Et vous devez continuer à vous documenter sur ce sujet. C’est ce que je fais aussi. Il y a encore beaucoup de choses qui sortent parce qu’il y a tellement de matériel d’archives. On pourrait dire avec une boutade que la seule chose qui manque à la Solution finale, c’est la signature d’Adolf Hitler. C’est évidemment d’une ingéniosité diabolique : il n’y a pas un seul responsable de l’Holocauste. Tout le monde reçoit ses ordres de quelque part. Et c’était bien plus qu’une idéologie qui s’est emballée. Auschwitz était un projet industriel. Les nazis ont volé tous les pays qu’ils ont envahis: des gens, de l’or, du charbon, des tableaux… Les nazis, c’était une bande de gangsters.

Avez-vous immédiatement été engagé pour travailler?

Non, nous avons été maintenus en isolement pendant un certain temps. Mais pas pour longtemps. Mon père a vite compris qu’il fallait sortir de là le plus vite possible pour avoir une chance de survie. Parce qu’en tant que « pièces de réserve », nous étions encore plus mal nourris que les prisonniers qui travaillaient déjà et donc « rapportaient ». Chaque jour, ils venaient chercher certains d’entre nous, pour changer les Stücks morts. Un jour, quand ils m’ont demandé qui était menuisier, j’ai levé la main sans réfléchir. Je ne sais toujours pas d’où j’ai sorti ce culot. Je n’étais pas du tout menuisier. Je ne savais rien faire. Je me suis donc retrouvé à la tête d’une petite équipe d’une vingtaine de personnes. Nous n’avions pas à travailler dans les usines, mais nous faisions des corvées pour les SS, comme la réparation de leurs casernes ou des villas des officiers. Quand les SS n’avaient pas de travail pour nous, nous devions travailler pour nos kapos, les prisonniers qui nous gardaient.

Que deviez-vous faire pour eux ?

Ils fabriquaient des objets qu’ils pouvaient échanger contre des cigarettes avec les citoyens allemands qui travaillaient dans le camp et aux alentours. Il y avait un monde parallèle à côté du camp. En 1944, la ville d’Auschwitz comptait 12 000 habitants. Comme l’argent n’avait aucune valeur dans le camp, les cigarettes étaient la monnaie de passage. Les cigarettes pouvaient être échangées contre de la nourriture. Un menuisier fabriquait de petites boîtes en bois pour notre kapo. Même si je ne pouvais pas faire de boîtes, ce commerce était mon salut. Je savais dessiner et j’ai pris le risque de commencer à peindre une boîte. Pendant que j’étais occupé, j’ai vu le menuisier qui avait fabriqué la boîte murmurer au kapo, un grand Ukrainien. Il s’est approché de moi, a levé sa batte, prêt à me casser la tête. Quand il a vu ma boîte, il s’est arrêté. Il a cligné des yeux. « Schön », a-t-il dit avec stupéfaction. Il a réfléchi, m’a rendu la boîte et a dit : « Weitermachen. Continuez ». Il s’est immédiatement rendu compte qu’il gagnerait plus de cigarettes avec des boîtes peintes. Plus tard, ce kapo me glissait des cigarettes ou une cuillérée supplémentaire dans la marmite à soupe pour que je puisse avoir une pomme de terre de plus. Bien sûr, il me protégeait uniquement par intérêt.

Vous avez dit que votre mère et votre frère ont été gazés à leur arrivée. Connaissiez-vous l’existence de ces chambres à gaz?

Pas quand nous sommes arrivés, non. La première fois qu’un prisonnier a chuchoté que quelqu’un était mûr pour la chambre à gaz, nous n’avons pas compris ce qu’il voulait dire. Mais cela n’a pas duré longtemps. On s’est vite rendu compte qu’on ne revoyait jamais les gens envoyés à gauche lors des contrôles. Cette prise de conscience était bien sûr écrasante, comme tout dans ce camp qui était incompréhensible. Auschwitz était un laboratoire diabolique où un maximum de personnes étaient assassinées et détruites à un coût minimum.

Comment avez-vous atterri à Gross-Rosen et à Dachau ?

À Gross-Rosen à pied.

A pied ? Il y a plus de 250 kilomètres entre Auschwitz et Gross-Rosen.

Pourquoi pensez-vous qu’on les appelait « marches de la mort » ? Elles duraient trois jours et trois nuits. A Gross-Rosen, nous avons dû dormir dans la neige. Tous ceux qui pouvaient se lever après cela étaient embarqués dans un wagon à bestiaux et emmenés à Dachau, à vingt kilomètres au nord de Munich. Un voyage qui a duré encore plus longtemps que celui d’Auschwitz. Nous avons passé six jours et six nuits dans ce train. Pendant six jours et six nuits, ils n’ont pas ouvert ce train. Nous étions 100 quand nous sommes montés dans notre wagon, quand, nous sommes sortis, nous étions 20. Je ne parle pas de ce qui s’est passé.

Que deviez-vous faire à Dachau ?

À cette époque, nous étions en janvier 1945, les nazis pensaient encore qu’ils pouvaient gagner la guerre grâce à de nouvelles armes telles que les V1 et les V2. Comme leurs usines étaient de plus en plus souvent bombardées, ils en construisaient de nouvelles dans les bois. Nous avons été mis au travail dans une usine dans les forêts au sud de Dachau. Jusqu’à ce que nous ayons pu nous échapper en avril, grâce à un bombardement. Je me suis retrouvé dans une ferme où des soldats français prisonniers de guerre étaient mis au travail. Le 1er mai, les Américains nous ont libérés. Et j’étais là. Enfin libre. Mais seul au monde.

Lorsque vous êtes arrivé à Bruxelles, vous étiez seul. Qu’avez-vous fait alors?

J’ai pu loger quelques jours chez mon ami Robert. En attendant, me disais-je, le retour de mes parents. Seule ma petite soeur est revenue. Quand je l’ai vue, je lui ai dit que j’étais à peine capable de prendre soin de moi. J’étais très gravement malade, suite à mon séjour dans les camps. Quand nous avons compris que nos parents ne reviendraient pas, nous nous sommes reconstruits chacun à notre manière. (silence) Savez-vous qui habitait à côté de Robert ? Nelly. Et savez-vous ce qui est encore plus beau ? Elle s’était engagée à la Croix-Rouge. Pour me chercher.

Elle ne vous avait jamais oublié, comme vous aviez toujours pensé à elle.

Quel bonheur, non?

Comme beaucoup de survivants des camps de concentration, vous n’avez commencé à témoigner de ce que vous avez vécu que plus de 40 ans plus tard. Pourquoi ?

Il y a deux types de survivants. Ceux qui ont pu fermer les portes des camps derrière eux, comme moi, et ceux qui en sont sortis physiquement mais jamais mentalement. Je connais un homme qui disait à chaque fois qu’il recevait de la soupe de sa femme : « Voilà la soupe, pas comme celle d’Auschwitz ». À force, certains ont chassé leurs enfants de la maison, c’est dramatique.

Comment avez-vous pu mettre cela derrière vous ?

Parce que je voulais ce que les nazis avaient voulu me prendre. Vivre. Et je l’ai fait pleinement. Je n’ai jamais parlé d’Auschwitz avec mes enfants. Jamais. Pas un mot. Toujours pas, d’ailleurs.

Vous racontez votre histoire 50 fois par an dans les écoles, mais vous ne l’avez jamais racontée à vos enfants ?

Exactement. Ils connaissent mon histoire, bien sûr. Grâce à Steven Spielberg. Après avoir gagné beaucoup d’argent avec La liste de Schindler, il a créé une fondation pour consigner les récits du plus grand nombre possible de survivants. J’ai été le premier Belge qu’ils ont interviewé en 1987. J’ai fait des copies des deux épaisses cassettes vidéo qu’ils m’ont données. J’en ai envoyé une à mon fils, qui vit en Égypte, et une à ma fille. C’est ainsi que mes enfants, et plus tard mes petits-enfants, ont découvert mon histoire.

Pourquoi ne leur avez-vous jamais raconté en personne, comme vous l’avez fait à des milliers d’écoliers depuis lors ?

Parce que mes enfants ne doivent pas connaître leur père comme une victime. Je ne l’ai pas fait et je ne veux pas! J’étais un homme d’affaires prospère. J’ai donné des leçons de plongée à mon fils, ce qui a fait de lui un expert en plongée à Sharm-el-Sheikh. Je lui ai transmis les bonnes choses que j’ai gardées de ces camps. La rage de réussir, l’envie de persévérer et de succès. Oser prendre des risques. Je les ai préservés du mal.

C’est un exploit surhumain, monsieur Sobol : tirer autant de joie de vivre de l’un des plus grands carnages du 20e siècle.

J’ai réussi à devenir un homme heureux, oui. Grâce à la fille que j’aimais quand j’étais jeune. Nelly et moi nous sommes mariés rapidement et avons eu notre premier fils. C’était improbable pour moi. Un enfant ! Je pouvais reconstruire ma famille. Ensuite, il y a eu notre fille, puis nos petits-enfants, puis même nos arrière-petits-enfants. Ils sont ma victoire sur les nazis. La force que j’avais en moi, je l’ai découverte dans leurs camps. Le cran de lever la main quand ils ont demandé un menuisier. Le cran de se mettre à peindre sur une boîte. Le courage de garder la photo de Nelly coûte que coûte, même si elle ne pouvait pas me protéger dans cet enfer que vous ne pouviez quitter que par la cheminée. Et pourtant, c’est cette image qui m’a permis de continuer. À Auschwitz, à Gross-Rosen, à Dachau. Chaque jour, « Peut-être pense-t-elle encore à moi ? » Cette photo a fait de moi plus qu’un Stück rasé. J’étais quelqu’un qui aimait et était aimé.

Avez-vous parlé à votre femme de ce que vous avez vécu ?

Bien sûr, c’était ma femme. Mais elle est la seule. Quand mes enfants ont vu cette cassette, ils ont voulu m’accompagner à Auschwitz. (soudainement émotif) Je sais qu’ils m’aiment énormément. J’ai mon âge, mais je continue à m’intéresser à eux, à me demander ce qu’ils font. Si je suis heureux, c’est aussi parce que je sais que je les rends heureux.

Comment en êtes-vous venu à témoigner dans les écoles ?

Grâce à ma soeur. En tant que membre de la Fondation Auschwitz, elle a été invitée à visiter le camp. Au début, elle ne voulait pas. « Pour visiter l’endroit où ils ont tué mes parents, pourquoi le ferais-je? » Elle est venue m’en parler et je lui ai proposé d’y aller ensemble. Nous l’avons fait. On n’a fait que pleurer.

Depuis lors, vous avez visité Auschwitz chaque année. N’est-ce pas très lourd ?

Où dois-je aller sinon pour rendre visite à mes parents ? Ils n’ont pas de tombe ici. Auschwitz est leur tombe. C’est là que ma famille a été détruite. C’est là que j’ai vu ma mère pour la dernière fois. C’est pourquoi j’y vais chaque année, même si c’est très dur. Mais la Fondation Auschwitz organise ces voyages de manière excellente. Nous partons avec une centaine de personnes, nous logeons ensemble dans une auberge de protestants allemands. Nous mangeons ensemble, nous parlons et nous écoutons beaucoup, il y a des historiens qui peuvent expliquer comment l’Holocauste a pu se produire. Cette interaction est très enrichissante pour tout le monde. Après ce premier voyage, au cours duquel j’ai beaucoup écouté et raconté mon histoire, le président de la fondation m’a dit d’aller dans les écoles. « Qu’est-ce que j’irai faire là? » lui ai-je demandé. « Des jeunes qui avaient l’âge que vous aviez quand vous étiez dans les camps », a-t-il répondu. Ah bon. Depuis lors, je fais encore 50 conférences par an, encore aujourd’hui. Au début, j’allais en voiture, puis je prenais le train et maintenant je vais en taxi.

Vous disposez d’une technique spéciale pour commencer votre conférence.

Je demande aux étudiants de fermer les yeux. Juste quelques minutes, je dis toujours. En réalité, cela prend 20 minutes. Les yeux fermés, ils écoutent mieux, ils sont plus concentrés sur ce que je dis, ils s’oublient et oublient leurs smartphones. Cela fonctionne. Pendant deux heures, je parle, ils écoutent et posent beaucoup de questions. Je finis toujours par une note optimiste.

Pourquoi ?

Y a-t-il une alternative ? Il faut être optimiste, non ? Certains survivants font des témoignages dramatiques. Ils veulent que les gens les plaignent. Pas moi. Je ne veux pas de pitié. Je veux que les gens écoutent. Parce que je parle au nom de tous ceux qui ne sont pas revenus.

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